Bismarck en culottes vertes

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Bismarck en culottes vertes

12 septembre 2023 (16H00) – Je commence par du sérieux : une conférence de presse commune des deux ministres des affaires étrangères d’Allemagne et d’Ukraine, à Kiev puisque Annalena (le prénom est de rigueur pour des esprits si proche) est venue faire hier une petite visite de courtoisie et de soutien inconditionnel chez ses amis d’Ukraine. Je vous mets juste un passage du RT.com consacré à la chose, sur la question précise du Taurus KEPD 350, des missiles de croisière de nationalité germanique, que l’Allemagne s’est trouvée dans l’amicale et vertueuse position de devoir en faire don à l’Ukraine.

A l’affirmation fuyante de la ministre allemande selon quoi la décision n’est pas prise et que l’on en débat, fuse la réponse  de l’Ukrainien, fulgurante et sans faux-fuyants ; réponse que je résume de cette façon, intentionnellement de façon un peu leste, parce qu’ils l’ont bien mérité après tout... Donc, de la part d’un ministre (ukrainien) une autre (l’Allemande) : “De toutes les façons, Annalena, vous baisserez la culotte, alors pourquoi attendre. ?”

Il (l’Ukrainien) veut dire par là, sur un ton extrêmement direct et sans prendre de pincettes, que lorsque l’oncle Tom joue à l’oncle Sam et dit à Annalena ce qu’il faut faire, et au galop encore ! Le chancelier Bismarck baisse sa culotte qu’il a effectivement de couleur verte. C’est fascinant, ce qu’on peut balancer aux Allemands sans qu’ils bougent le petit doigt, dès qu’un yankee élève la voix par Ukrainien interposé, ou bien via une van der Leyen quelconque mais de bonne fortune, – bref, un festival d’arrogance et de servilité...

« Lors d'une conférence de presse conjointe avec la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, lundi à Kiev, il a été demandé au ministre ukrainien des affaires étrangères Kuleba si sa rencontre avec Mme Baerbock lui avait donné “l’espoir” que Berlin puisse faire don de missiles de croisière Taurus KEPD 350 à l'Ukraine dans un avenir proche.

» “Je ne dirais pas qu'Annalena est allée au-delà de la position officielle du gouvernement allemand”, a-t-il répondu. Se tournant vers Baerbock, M. Kuleba a ensuite déclaré : “Vous le ferez de toute façon. Ce n'est qu'une question de temps“.

» “Nous respectons vos discussions, nous respectons vos procédures, mais il n'y a pas un seul argument objectif qui s'oppose à ce que vous le fassiez. Plus vite ce sera fait, plus ce sera apprécié”

Si l’on voulait prendre une logique féministe, notamment pour réclamer pour ce genre une place plus importante dans la conduite et la décision politique, il y aurait de fameux exemples à citer. Pensez à Thatcher, à Indira Gandhi, à Golda Meir ; si l’on veut se montrer plus cultivé, on remontera dans le temps passé et les exemples abondent : Élisabeth Première et Victoria, Catherine II la Grande, Anne et Marie-Thérèse d’Autriche, les Médicis, Christine de Suède. Mais aujourd’hui, les féministes triomphent, et qui nous offre-t-on en exemple ? Annalena, certes, comme excellent stéréotype de la femme politique, conduite à une fonction prestigieuse sans qu’on sache pourquoi ni comment tandis qu’elle-même laisse entendre que la nature des choses et des êtres a parlé.

Je vous accorde volontiers que ce n’est pas plus flambant du côté masculin, en Occident-poussif je précise, et que le spectacle est consternant. Cela ne retire rien à ce triste constat que le triomphe des femmes se marie étroitement avec le triomphe de la médiocrité et de la néantisation qui règle aujourd’hui la marche de notre monde. Annalena en est un triste exemple, d’ailleurs à l’image de son pays.

Comme l’Allemagne, elle est à la fois arrogante et servile, du point de vue de la communication, et absolument nulle du point de vue de la politique. On pourrait même dire, autrement, qu’elle est à la fois et en même temps arrogante et naïve en plus d’être servile. Dans ce cas, la naïveté va avec la servilité et permet de dissimuler cette servilité derrière une sorte d’élan infantile et plein d’admiration pour les grands exemples transatlantiques, pour mieux s’aligner, ou bien plutôt pour s’aligner d’abord, et alors  pour mieux admirer. Ainsi en est-il de leurs rapports avec les USA, – et avec l’Ukraine par conséquent. Mais que nous importe ! Nous-mêmes sommes bien assez occupés avec  nos séances  de prosternation complaisante.

L’arrogance vient du vernis idéologique dont on se farde pour avoir l’air de véhiculer une pensée pleine de forces et de vertus diverses. Annalena et l’Allemagne agissent au nom des droits de la femme, des droits des minorités, des droits de la modernité sociétale, des droits du wokenisme (on ne parle pas des hommes ni des autres, bien compris ça). Annalena et l’Allemagne sont irrésistibles, comme une contre-offensive ukrainienne., 

Lisez le texte qui suit, qui vous donne quelques nuances du personnage. Admirez sa logique stratégique : avec l’invasion infâme de février 2022, Annalena avait annoncé que l’on allait isoler tambour battant la Russie (en plus de la détruire de diverses façon) ; cela ne devait pzs faire le moindre pli. Elle s’est réjoui bruyamment de la destruction de NordStream, qui lui semblait aller dans le sens des aiguilles d’une montre pour isoler la Russie et la mettre à genoux non ? Glou glou glou... Et puis bref et tant pis, ça n’a pas vraiment marché. La Russie, aujourd’hui, est tout sauf isolée.

Annalena a remis son ouvrage et sa logique sur le métier et elle a poursuivi son action salvatrice. Puisque cela n’avait pas marché avec la Russie, eh bien l’on allait isoler la Russie et la Chine en même temps ! D’autant que ce serait au niveau mondiale ! Pas si bête, n’est-ce pas, il y a là comme une manœuvre de génie à la Thucydide, non ? Une sorte de maître-contrepied stratégico-tactique ou tactico-stratégique, c’est selon. La petite Annalena, il faut pouvoir la suivre, elle vous met vite à genoux… Christoforou en a fait une des animatrices préférées de son ‘clown-world’... Mais qu'importeau bout du compte: il ne semble que l'on puisse trouver à dire une énormité telle qu'elle vous ferait s'exclamer.

Voilà, on s’arrête là. Lisez le texte ci-dessous, si vous voulez quelques précisions sur la première femme ministre des affaires étrangères de l’Allemagne. Dites-vous bien que tout cela se passe en 2023, alors que la civilisation américaniste-occidentaliste est à son zénith, que l’avenir brille de tous ses feux, que l’optimisme et la satisfaction contagieuses règnent... Le plus étrange est qu’il faut suivre ces choses, ces aventures politiques comme de vieux cadavres défilant au fil de l’eau, avec le plus grand sérieux. Vous comprenez pourquoi, souvent exténué d’ennui et de lassitude, j’en viens à invoquer des forces extérieures à nous et d’en-dessus de nous, pour expliquer certains évènements qui manifestement sont d’un autre monde que celui de la gentille Annalena.

(Ce texte est du magazine d’information allemand ‘Zuerst’, du 11 septembre 2023, traduit et mis en ligne le même 11 septembre par ‘euro-synergies.hautetfort.com’.)

PhG — Semper Phi

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“Isoler” mondialement la Russie et la Chine

Berlin/Moscou/Pékin. Un an et demi après le début de la guerre en Ukraine, les observateurs politiques s'accordent à dire que deux des principaux objectifs de la politique étrangère allemande, formulés par la chef de la diplomatie verte Annalena Baerbock en réaction à la "guerre d'agression" russe, ont échoué avec fracas. Il n'a pas été possible d'"isoler" la Russie sur la scène politique internationale, comme Baerbock l'avait déjà formulé quelques jours après le début de la guerre en février 2022, ni de "ruiner" l'économie russe. Au contraire, alors que l'économie russe devrait croître jusqu'à 1,5 pour cent en 2023, l'économie allemande se contractera d'au moins 0,3 à 0,5 pour cent.

La ministre verte des Affaires étrangères est cependant loin de tirer les leçons de cette décevante involution. Au contraire, elle s'obstine à poursuivre sa politique étrangère désastreuse qui, depuis un an et demi, n'a fait que réduire le poids politique de l'Allemagne dans le monde et ruiner ses relations avec de nombreux partenaires internationaux.

Dans un discours prononcé ces jours-ci au ministère des Affaires étrangères de Berlin devant des diplomates et des représentants de l'économie allemande, Baerbock a esquissé son programme de politique étrangère. Elle continue de miser sur un "découplage" complet, non seulement de l'économie allemande mais aussi de l'économie mondiale, de la Russie et de la Chine. Ces deux pays, qui font désormais partie des principales puissances économiques mondiales, doivent être isolés dans le commerce mondial. Et Baerbock n'a aucun doute sur le fait qu'on y parviendra.

La ministre des Affaires étrangères des Verts n'a apparemment toujours pas digéré le fait que l'Allemagne et la Russie ont entretenu des relations économiques stables pendant des décennies - ce qui a longtemps été une épine dans le pied des milieux transatlantiques. Elle a sérieusement affirmé dans son discours de Berlin que "nous continuons à payer cher la dépendance fatale au gaz et au pétrole russes dans laquelle l'Allemagne s'est engagée".

L'objectif doit désormais être de contourner complètement les produits et les matières premières en provenance de Russie et de Chine - tout en restant compétitif. Il doit s'agir de ne pas laisser "l'organisation d'un monde en réseau et l'organisation de la mondialisation" à "la main prétendument forte des autocrates" - ce qui, dans la diction des bien-pensants allemands, désigne avant tout les gouvernements de Moscou et de Pékin.

Par exemple, Baerbock a l'intention d'exclure la Chine du processus de création de valeur dans la production de lithium. Elle propose que le processus de transformation du lithium se déroule à l'avenir en Australie et non plus en Chine, comme c'est le cas actuellement. "Et on se demande : pourquoi n'en a-t-on pas discuté au cours des dernières décennies ?" Peut-être parce que les relations commerciales sino-allemandes se sont développées dans le passé de manière avantageuse pour les deux parties. La ministre verte des Affaires étrangères n'est toutefois pas accessible à de tels arguments.

Elle n'a pas non plus été sensible à l'ironie dont elle a récemment fait l'objet en Australie. M. Baerbock n'a pas pu effectuer le voyage prévu de longue date à la mi-août, car l'avion du gouvernement allemand est tombé en panne et a dû faire demi-tour au-dessus de l'océan Indien. Dans son discours à Berlin, elle a maintenant rapporté de manière totalement indolore ce qu'on lui avait transmis de Canberra : "Madame Baerbock, malgré votre avion en panne, la foi en l'ingénierie allemande reste intacte en Australie". Croira qui voudra.

La confiance de Baerbock dans la capacité de l'Allemagne à influencer l'économie mondiale au point de réussir à isoler complètement la Chine et la Russie sous la direction de l'Allemagne reste intacte. Mais elle perd alors de vue les faits. Les analystes et les économistes du monde entier ne doutent plus que l'économie allemande - jusqu'à récemment la plus forte d'Europe et la troisième du monde - est en train de sombrer rapidement. L'annonce que l'industrie automobile allemande, qui était jusqu'à présent le moteur de l'économie allemande, a produit en juillet près de 10% de moins que le mois précédent, a fait grand bruit. De nombreux secteurs se préparent à réduire leur production en Allemagne et à la délocaliser à l'étranger.

L'ancienne locomotive économique de l'Europe est depuis longtemps en récession. L'Allemagne n'a déjà plus le poids nécessaire pour "isoler" un autre pays du monde. Seule l'Allemagne s'isole de plus en plus avec sa politique de catastrophe - alors que la Russie et la Chine travaillent avec détermination à la formation d'un futur grand bloc africain-eurasien et intensifient leurs relations commerciales avec de nombreux pays du Sud et de l'Est.

Baerbock est une femme de conviction. Il n'y a pas d'autre moyen d'interpréter le fait que la principale préoccupation de sa "politique étrangère basée sur les valeurs" est la confrontation avec la Russie et la Chine et une nouvelle division du monde en deux. Baerbock veut faire revivre la confrontation Est-Ouest de la guerre froide. Il n'est pas nécessaire d'être prophète pour prédire que la réalité va lui jouer un mauvais tour. Au final, ce ne sont pas la Russie et la Chine qui en pâtiront, mais l'Allemagne.