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32852 octobre 2016 – Je me suis confié la charge considérable d’annoncer une nouveauté dans l’arrangement du site, avec l’installation structurelle d’un ami de dedefensa.org qui, depuis le mois de mai, nous a honorés d’une présence très vivace, pleine de feu et extrêmement régulière. L’activité de Nicolas Bonnal dans le cadre d’Ouverture Libre a conduit les instances dirigeantes variées et nombreuses du site dedefensa.org à conclure, dans toute leur sagesse majestueuse, qu’il serait plus logique et mieux approprié qu’il disposât de son propre blog : ce seront Les Carnets de Nicolas Bonnal, rubrique qui devrait être mise en place cette semaine si nos oracles ne se trompent pas. (Sinon juste un petit retard possible mordant un tout petit peu dans la semaine suivante, mais non, sérieusement je ne crois pas, mais enfin, la prudence... Bref, comme dit PhG, on verra.)
Sur Bonnal, je ne vais pas trop m’étendre, d’abord parce que notre auteur, prolifique et touche-à-tout, a l’honneur insigne de disposer d’une page Wikipédia (il m’a promis qu’elle avait été vérifiée et qu’elle ne s’égare pas trop) ; ensuite parce qu’il m’a fait, à moi, le grand honneur de me demander de préfacer son prochain livre, sur Tolkien qui est l'un de ses grands amis (Le salut par Tolkien) ; et ainsi ai-je pensé que la meilleure façon d’une présentation adaptée serait alors de reproduire cette préface, – ce qui est fait ci-dessous...
Les Carnets de Nicolas Bonnal pourraient être rejoints dans le futur par Les Carnets d’un autre personnage, si bien que l’on arriverait à une rubrique du type Les Carnets de dedefensa.org constituée de quelques blogs des amis. Ce n’est pas une révolution qui bouleversait dedefensa.org, je tiens aussitôt à le préciser avec la plus grande force... C’est une adaptation mesurée, qui renvoie bien plus, bien évidemment, à la recherche de la qualité qu’à la soumission au “règne de la quantité”. Bref, on comprend ce que je veux dire et mon sentiment est bien que le site s’en trouvera renforcé pour ce qui est de sa qualité, sans être en aucune façon défiguré dans sa forme et pour son orientation.
Voici donc le texte où PhG, dit Semper Phi, tentait de préfacer le livre de Nicolas Bonnal sur Tolkien.
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Il y a nombre d’“écrivains”, pour lesquels l’emploi de ce mot n’est dans mon esprit que pure convenance (d’où les guillemets), qui le sont par devoir respectable, par sentiment d’humanité, par esprit de rangement, par goût du compte-rendu, par nécessité de faire comprendre des travaux divers (scientifiques notamment), par habileté de communication, par équipement de type moderniste pour d’autres activités (les hommes politiques, chez nous, qui se croient obligés de faire œuvre littéraire, sans doute pour bien mériter de “la patrie de l’intelligence”) ; enfin, l’on me comprend et l’on me voit venir. Il y a les autres, les vrais, ceux chez qui l’on sent que s’il leur était ôté cette disposition de l’écrit, leurs vies ne seraient qu’un désarroi sans fin, une errance sans but, une vie sans raison d’être ni finalement sans goût de vivre. Être écrivain de cette sorte, ce n’est pas dépendre d’un “art” ni suggérer la question du classement, ce tic de l’époque, jusqu’au “génie” ou pas ; c’est une Passion, et plutôt celle du Christ (cela sans la moindre allusion religieuse) que celle dont on parle dans les magazines, à la fois un calvaire coupé de moments ineffables de sublimité, une soif de perfection qui se moque du parfait qu’elle prétendrait étancher puisque n’ignorant rien de sa propre imperfection qu’il (l’écrivain) mettra toute une vie à décrire.
Je m’aperçois que je parlerais aussi bien pour moi mais je crois que ces phrases seront prises pour eux par tous ceux qu’elles concernent, qu’elles ont leur place dans cette préface parce que le peu que je connais de Bonnal m’invite à penser qu’il est de cette sorte-là. Sinon, eh bien c’est simple, je n’aurais pas accepté de faire cette préface, et d’ailleurs il ne me l’aurait pas demandée, et tout serait bien ainsi dans le meilleur des mondes postmodernes... Car, on s’en doute bien, il est question de postmodernité, fille de gare et d’infortune issue du lit devenue puant de la modernité soi-même dont on nous rebat les oreilles depuis l’épisode essentiel du feuilleton dit “hybris du sapiens”, épisode “Renaissance-Les-Lumières”.
Reprenons ... Je connais bien peu Tolkien, je connais Nicolas Bonnal depuis peu, et encore par téléphone, lui entre Espagne sûrement et Monaco me semble-t-il, moi cloitré dans un coin de Belgique où je ne me suis jamais senti chez moi parce qu’il y a longtemps que je ne puis espérer trouver quelque “chez moi” que ce soit dans le monde tel qu’ils nous l’ont cochonné. (Donc, rien contre la Belgique précisément, où je vis dans un petit coin pas désagréable et qui plus est cul-de-sac donc sans guère de passage, d’un lieu général [communal] indescriptible de médiocrité.) Je n’ai aucune notoriété de notre-temps, et par conséquent aucune place, – ce qu’à Dieu ne plaise après tout, – ni dans leurs salons, ni dans leurs TV, ni dans leur presse extraordinairement pervertie, invertie, diabolique à force de déformation immonde de la vérité du monde ; je suis un écrivain exceptionnel par l’incontestable succès en matière d’échecs peu communs de librairie considérés du point de vue qui sied à cette époque. Par conséquent, on pourrait s’interroger : quelle mouche a donc piqué Bonnal de s’adresser à un Grasset pour faire une préface ? Allez le lui demander (à Bonnal), quant à moi j’ai mis un certain temps à chercher à comprendre et puis il m’a semblé comprendre et désormais je suis assez sûr de moi pour y aller.
Nous vivons des temps affreux, le Dark Age postmoderne, des Temps Sombres comme la Nuit au bout de laquelle Céline ne parvient même pas à terminer son voyage, parce que le “bout de la Nuit”, de notre-Nuit est un gouffre sans fond où plus jamais le jour ne naît. Telle est la situation qu’on en pourrait juger en observant avec lucidité les choses du temps courant et leur puissante signification dissolvante dont l’effet inéluctable serait entropisation et néantisation. (Je tiens au conditionnel qui est le fait de ma croyance autant que de ma conviction.) Tel est bien, pour ce que j’en ai entendu, le sens des observations et des analyses que Bonnal fait de l’œuvre de Tolkien et autour de l’œuvre de Tolkien, mais il les fait avec un tel entrain, un tel sens de la dérision, voire de la jubilation de la dérision que l’on comprend que son travail d’écrivain est une contribution à un combat du désespoir qui pourrait tourner de manière inattendue et nullement un constat de désespoir accepté sans combattre. Il y a une façon d’observer l’entreprise de néantisation du Diable en se moquant avec entrain, montrant ainsi, à côté du tragique total de la chose, tant de juste considération du ridicule et de la dérision des effets de cette chose que l’on comprend aussitôt combien autant la forme et la tactique de l’attaque que l’attaque elle-même sont efficaces. Comme dit le dessinateur de bandes dessinées Scott Adams qui s’est fait chroniqueur de l’élection présidentielle en cours aux USA, “Devil doesn’t like to be jockeying” et, par conséquent the Devil a une réaction de fureur, et comme la fureur est plus mauvaise conseillère encore que la colère il montre ce que Guénon avait finement remarqué à son propos, et ce propos que je ne me lasse jamais de citer : « On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser échapper toujours quelque [bouffonne et colossale] sottise, qui est comme sa signature... »
(J’ai pris sur moi l’audace de renforcer la citation de Guénon des qualificatifs “bouffon et colossale” pour qualifier la “sottise” du Diable car je pense que confronté à la situation présente, qui est directement métaphysique-historique et non simplement historique, il y aurait songé devant l’ampleur de cette sottise du Diable réagissant à cette Résistance qui lui est opposée, qui porte de plus en plus la conscience qu’elle est l’outil principal capable d’accélérer comme il faut par les effets de son action le terme inéluctable du Cycle qu’a décrit Guénon et dont nous sommes au terme de la phase ultime de la Chute. Ainsi ai-je été amené à penser que ces deux qualificatifs n’altèrent en rien la rigueur proverbiale du propos de Guénon car cette sottise du Diable, qui accentue d’une façon disproportionnée, – bouffonne et colossale, – les effets de ce trait de la sottise, vont contribuer notablement à provoquer l’échec par effondrement de son entreprise si ce n’est en train d’être fait, comme l’on dit de l’autodestruction venue d’un surcroit de puissance [de surpuissance].)
Tout cela, pourrait-on croire, semblerait s’éloigner de l’œuvre immense de Tolkien, qui est le sujet de ce livre dont traite cette préface. Ce serait un faux-semblant car ce n’est pas le vrai. Tolkien et son œuvre immense étaient et restent partie de cette belle et suprême bataille contre le Diable, de cet Armageddon dans laquelle nous sommes entrés depuis quelques années, et c’est de cela que nous parlons puisque modernité et postmodernité s’avèrent être “l’œuvre au noir“ du Diable que tous nos petits marquis persifleurs des salons dégustent avec le délice qui sied aux enchaînés qui, pris d’amour pour leurs entraves, se croient ainsi libérés.
J’aime bien, j’aime beaucoup la façon dont Bonnal a l’art d’aborder l’œuvre de Tolkien dans son essence révolutionnaire, dans le sens précis du terme qui renvoie au mouvement spatial d’une révolution où le terme est de revenir à l’origine, soit à l’essence de la Tradition, la tradition originelle dont nous sommes tous les obligés et la descendance, et que nous avons ignominieusement trahis, nous-mêmes, – je veux dire cette civilisation que je désigne comme une “contre-civilisation”, – en nous faisant inconsidérément un ingrédient non négligeable dans le chaudron de son œuvre au noir (du Diable). Bonnal est là pour faire tourner vinaigre le chaudron. Il chevauche autour et dans l’œuvre de Tolkien en chevau-léger, souple, le verbe rapide, son carquois pleines de citations comme autant de flèches qu’il décoche joyeusement sur les cibles innombrables qui s’offrent à lui, –la marchandisation de Tolkien depuis les films fameux, la caricature technologique et postmoderniste de Tolkien, le fric et le marketing de Tolkien saisi par Hollywood & Cie, les commentaires suffisants des tolkeniens de la vingt-cinquième heure postmoderniste, les interprétations-bidon de Tolkien. Bonnal sabre dans tout cela, à belles dents, ce chevau-léger assez hussard pour passer souplement de l’arc au sabre. (“Hussard”, hein, autre terme cavalier utilisé pour la littérature rebelle de l’immédiat après-guerre qui lui irait comme un gant.) Il écrit comme il vous parle au téléphone, à 180 à l’heure, alternant citations et affirmations joyeusement péremptoires, sautant d’un sujet l’autre, donnant tel nom, tel autre nom à une telle vitesse (j’ai renoncé à l’interrompre pour lui signaler que tel auteur ou tel auteur dont il me dit un mot et que je suis censé connaître m’est inconnu parce que je suis un érudit bien approximatif, tandis que sa culture à cet égard m’ébahit) ; vous avez l’impression du désordre, de la confusion, et pour mon compte il s’agit de vices souvent irrémédiables pour l’écrit ; mais non, et mystérieusement comme c’est le cas de l’écrire, vous finissez par entendre le propos, à comprendre le sens, vous distinguez bientôt de façon lumineuse qu’il y a un ordre derrière l’apparence du mouvement, et tout est dit. Il y a de l’alchimie là-dedans (l“œuvre au noir” bien comprise). Une fois de plus, le Mystère de l’écrit est accompli et il doit être écrit qu’il est un écrivain “de cette sorte” (voir plus haut).
Par conséquent, Bonnal ne nous assomme pas avec une description précise de cette œuvre immense et que l’on devine sublime, et donc indescriptible, – Tolkien, je le vois bien, cela se lit, cela ne se décrit pas. Il voit bien, Bonnal, et insiste à suffisance à propos de ce “monstre” qu’est devenue l’œuvre de Tolkien par rapport à son créateur, et qui lui a ainsi échappé pour vivre sa propre vie, énorme, cosmique ; Tolkien le voyait bien, et il s’en effrayait considérablement car ce phénomène de votre œuvre qui vous échappe parce que vous être un écrivain de la sorte que je disais plus haut, cette rupture brutale entre l’œuvre et l’écrivain est une partie non négligeable de la Passion-calvaire qu’est sa vie. C’est bien plus terrible que de voir s’éloigner comme la nature le veut un enfant devenu mûr, c’est perdre par sacrifice nécessaire une partie de soi-même, comme la surnature de l’Esprit l’exige. L’on sort si souvent épuisé de cette amputation que l’on croit que l’on va céder, pourtant il faut poursuivre et l’on poursuit. Il y a quelque chose du destin là-dedans, qui n’est pas de notre empire. L’écrivain comme je l’entends, qu’il soit chevau-léger comme Bonnal ou cuirassier plutôt lourd sans excès, qu’il ait un “style” qui est une façon d’envisager l’œuvre plutôt que l’écrit lui-même, qui le distingue bien entendu et le fait différent de tel autre écrivain, l’écrivain est d’abord un être qui croit, un croyant même s’il est plongé dans le désespoir (bis repetitat : rien de religieux là-dedans, “croyant”, celui qui a la foi, laquelle vient de fides, – “confiance”). Je crois donc évidemment que Bonnal est un croyant, comme je le suis moi-même, nécessairement ; de l’ordre du destin, vous dis-je, et qui vaut même pour ceux qui l’ignorent pour leur compte.
La conclusion de Bonnal, qui ne concerne pas Tolkien mais d’abord la Grande Crise de notre Fin des Temps, où Tolkien a évidemment sa place puisqu’il l’avait non seulement vue mais qu’il en avait senti le poids terrible et catastrophique, sa conclusion dis-je est très pessimiste. Difficile de ne pas l’être, pessimiste, sauf pour les “croyants” sans nécessité de confiance, qui croient selon le minimum syndical au Veau d’Or mis au goût du jour, entre paillettes, traders, bons-sentiments policé (genre-flic plus que de belle politesse civilisée), drones à-la-Obama et cliquetis à peine audible du robot-Google qui s’approche d’un pas très “rock’n’roll”. Simplement, il faut s’entendre sur le mot (“pessimiste”) à la lumière des temps de la Fin des Temps, et je dirais le mien là-dessus, qui n’est peut-être pas naturel à l’esprit de cette confrérie. On disait avant (temps de la Guerre froide, notamment) que “l’optimiste est un pessimiste mal informé” ; on dirait aujourd’hui que “l’optimiste est un pessimiste qui, à aucun prix, absolument à aucun prix et jusqu’à la folie s’il le faut, ne veut être informé” ; et fou, il le devient aujourd’hui s’il ne l’est déjà évidemment, car alors l’optimiste se retrouve, comme disait Maistre à son frère Nicolas à propos d’une époque (1785) qui ne voyait rien venir du terrible bouleversement qu’on sait, comme quelque chose qui est « écrasé par le poids du rien » sans en rien sentir ni n’en avoir nulle conscience, transformé en flaque ou en tâche sans s’en aviser. Aujourd’hui, le pessimiste n’a pas lieu d’être mis dans une catégorie, ni même, paradoxe des paradoxes, de se montrer pessimiste au sens le plus sombre qui suppose désespoir sans retour et amertume, ni même désenchantement un peu détaché ; c’est simplement un mot mis sur “lucidité”, “liberté de jugement”, “refus du Diable”, “Résistant jusqu’au bout”, et il est simplement la condition de la continuation du “goût de vivre” en connaissant la Vérité du monde, ce que je nomme plus humblement la “vérité-de-situation”. Mon Dieu, “vive les pessimistes” car eux seuls savent ce que c’est que vivre l’aventure terrible que nous vivons.
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