Appui et levier

Les Carnets de Badia Benjelloun

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Appui et levier

Il aurait plutôt dit « Depuis un point où je puisse me tenir fermement, je ferais mouvoir la Terre ».  Peu importe qu’il ne l’ait pas formulé précisément ainsi mais Archimède, fils de Phidias de Syracuse, élève de l’école d’Alexandrie, a énoncé le principe qu’une faible force peut se décupler par un effet de levier exercé depuis un appui.

L’ingénierie financière de Wall Street tout en ayant l’air d’avoir inventé un moteur perpétuel semble basée sur ce principe de physique pré-newtonienne.

Le capitalisme à ses débuts a transformé le mode d’échange entre les hommes qui de  Marchandise ->  Argent -> Marchandise, est devenu Argent -> Marchandise -> Argent. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et singulièrement depuis le début des années 70 du siècle dernier, les flux financiers mondiaux circulent fermement branchés sur l’étalon qui s’est substitué à l’or, le dollar étasunien. 

Dans un premier temps, le FMI et la Banque mondiale ont agi comme prolongement financier - et donc politique - de l’armée des Usa.  Elles ont assuré d’abord le pillage des pays du tiers-monde par des mesures ‘d’aide’, c’est-à-dire d’endettement suivies de restructurations et d’austérité avant que ces mêmes mesures ne s’étendent aux vieux pays capitalistes du continent. Un scrupule gênait encore le soldat US, mercenaire de Wall Street. Le petit caillou dans sa chaussure, c’était le système soviétique qui ne vantait pas le profit comme unique horizon social et la jouissance sans entrave immédiate comme morale sociétale. Il s’est effondré en 1991, en grande partie à cause à la longue guerre idéologique (et des sanctions du COCOM!) menée souterrainement en Europe occidentale par des stipendiés de la CIA.

Naissance sur ruines à crédit

La position dominante des USA a été amorcée lors de la première guerre inter-impérialiste d’importance, dite Première Guerre mondiale. Le rejeton colonial britannique en Amérique s’est attribué au cours de cette lutte destructrice un rôle de créancier. Ils ont fourni argent et armement mais n’ont pas effacé l’ardoise après la difficile paix qui a démembré l’empire ottoman et autrichien, en même temps que s’ instaurait le régime des Bolcheviks. Les Rouges ont su triompher grâce à un projet socialiste mais également patriotique car ils ont empêché le dépeçage de la Russie. Le général Broussilov  comme tant d’autres ont transcendé leur appartenance de classe pour défendre leur patrie.  L’Angleterre et surtout la France, afin d’honorer leurs créances vis-à-vis des banques privées étasuniennes, vont être d’abord intransigeants dans leur exigence vis-à-vis de l’Allemagne pour percevoir les réparations de guerre.

A la veille de la crise économique mondialisée de 1929, les USA représentaient près de la moitié de la production industrielle mondiale et plus de 12% des importations mondiales. Comme ce qui allait se produire en 2007-2008 lors de l’éclatement de la bulle des subprimes, la crise américaine d’inadéquation entre la production et la capacité de résorption par le marché, typique d’une surproduction, aura des conséquences mondiales. Elle se répercutera de manière rapide, durable et profonde en Europe centrale, en Allemagne surtout de manière retardée et plutôt brève en France et en Angleterre. Cette géographie a fait dire qu’elle a eu deux épicentres, les Usa et l’Allemagne.

L’Angleterre, devant la menace d’une révolte sociale, a détaché la Livre sterling de l’or, ce qui entraîna une dépréciation de sa monnaie de 30%. L’ampleur de la dette allemande interdisait toute manœuvre monétaire sous peine de réévaluer le service de cette dette. L’hyperinflation de 1923 avait détruit l’épargne et le pays vivait sous perfusion de prêts américains à court-terme. Le  plan Dawes  signé en 1924 aménageait les versements des réparations de guerre dues par l’Allemagne et émettait un emprunt sur le marché obligataire américain qui alimentait en capitaux l’économie du pays défait. Un comité de financiers étasuniens présidé par  Owen Young  révisa alors cet échéancier en 1929 (peu de temps avant la ‘crise’) et rééchelonna cette dette réduite sensiblement. Lors de la conférence internationale tenue à Lausanne en 1932, l’Allemagne fut exonérée de 90% des réparations de guerre dues contre 3 millions de marks-or payables en un versement unique différé. Hitler n’a jamais honoré le paiement qui devait avoir lieu en 1935. Les dettes commerciales françaises et britanniques, elles, restaient dues.

Ainsi, le nouvel ordre mondial était pour ainsi dire déjà mis en place, celui dicté par les impératifs de la préservation des intérêts des banques privées étasuniennes qui ont financé la reconstruction allemande et facilité son réarmement. La contamination massive de l’économie allemande par le cataclysme étasunien de 1929 a créé des conditions sociales objectives pour la montée du nazisme et ainsi de la guerre inter-impérialiste  suivante.

Sortie de crise, à crédit encore

La guerre de 1939-1945 fut le point culminant de la sortie de crise pour les USA, initiée par la politique de Roosevelt du New Deal. La loi-prêt-bail de 1941 a fourni à crédit du matériel aux Alliés. L’économie américaine fut littéralement dopée, elle a fourni  300 000 avions, 100 000 chars. Elle a construit 2/3 des bateaux de commerce des alliés, compensant largement les destructions opérées par les sous-marins allemands.

Le budget fédéral est passé de 9 milliards de dollars en 1941 à 100 milliards en 1945, les dépenses militaires suivirent une évolution courbe strictement parallèle, l’écart entre les deux courbes minime témoignait du fait que plus de 90% de la dépense fédérale était alors consacrée à la guerre. Plus de 40% du coût de la guerre fut financé par l’impôt, le chômage est tombé à 1,2%, les femmes furent recrutées et la ségrégation raciale a reculé à l’usine.

La loi-prêt-bail de 1941 a fourni à crédit du matériel aux Alliés.

Au sortir de l’affrontement contre les pays de l’Axe dont l’essentiel des destructions et du prix du sang a été payé par l’Union soviétique, les USA concentraient dans leurs mains 2/3 du stock  mondial de l’or et étaient largement créanciers. Ils purent aisément établir un dispositif monétaire et financier dans leur sphère d’influence où allait circuler leur dollar comme monnaie-étalon, d’échange, de réserve et de mesure.

Déjà la  Banque des Règlements Internationaux  entrée en activité à Bâle en mai 1930 était née de la volonté étasunienne de faire passer la question des Règlements de guerre du plan politique au plan commercial a converti la dette en obligations à émettre dans le public. Une première tranche de 200 millions de marks à 5,5% a été émise dès juin 1930 par un consortium de banques. Cette banque allait exister pendant toute la guerre pour assurer, malgré la guerre sur les autres fronts, les flux financiers du 3e Reich vers les USA, en particulier ceux de Ford Allemagne, avec un directeur citoyen des USA et un vice-directeur citoyen du 3e Reich.

La BIRD, Banque internationale pour la reconstruction et le développement, qui allait va devenir la Banque mondiale, ainsi que le FMI sont le fruit de la conférence internationale tenue en juillet 1944  à Bretton Woods, dans les New Hampshire aux USA. Les délégués de 44 pays étaient présents alors même que la guerre n’était pas finie. L’ONU, appendice politique d’un système qui allait être dominé par les USA, ne sera créée qu’un an après. Juste après les préoccupations de la Reconstruction - les principaux dégâts infligés aux villes ouest-européennes des pays alliés furent le fait de l’aviation britannique et surtout étasunienne, la BM allait octroyer des prêts d’infrastructure à long terme. Ils allaient vpermettre de faire travailler les firmes d’ingénierie américaine dans les secteurs des ports, des routes qui allaient faciliter la pénétration commerciale des USA sans égard pour les intérêts de développement réel du pays emprunteur. Le FMI prête à court terme des devises. Dans les deux cas, les transactions se font en dollars et tout est fait pour protéger les créanciers et subventionner les investisseurs étrangers.

Les dirigeants les plus importants qui se sont succédé à la tête de la Banque mondiale ont tous eu un cursus avec un passage obligé par le ministère improprement appelé de la Défense, en réalité de la Guerre.  John Mc Cloy, gouverneur de 1947 à 1949, a été assistant du Secrétaire d’Etat à la Guerre. Robert Mc Namara  fut Secrétaire à la Défense de 1961 à 1968, lors de l’engagement le plus intense contre le Vietnam avec l’emploi du fameux agent orange, puis présida la BM de 1968 à 1981.  Paul Wolfowitz  secrétaire adjoint à la Défense sous G. W. Bush de 2001 à 2005 et auteur des justifications juridiques de l’invasion de l’Irak en 2003 est éloigné du gouvernement grâce à une promotion comme président de la BM avant d’en être destitué en 2007 pour népotisme et de laisser la place à Robert Zoëllick, néoconservateur aussi radical que lui. 

Marshall, les voilà

Les accords sur le commerce General Agreement of Tariffs and Trade, GATT, menées sous l’impulsion de l’ONU ont recueilli la signature de 23 pays en 1947, ils seront 80 dès 1971. Les parties contractantes s’engageaient à ne pas augmenter les droits de douanes dans un premier temps limités aux produits industriels. Services, propriété intellectuelle et agriculture seront discutés et introduits ultérieurement. Les tarifs douaniers passeront de 40% en 1947 à quelques 15% dans les années 1970. En réalité, les flux commerciaux dans le contexte de la souplesse du GATT se sont organisés au bénéfice des nations les plus puissantes et les plus efficaces économiquement, singulièrement les Usa, aggravant la divergence qui pénalise les anciens pays colonisés.

Le Gatt vient en complément du plan que le Général Marshall a exposé devant le public de Harvard le 5 juin 1947, programme de dons et de prêts en direction de l’Europe occidentale dont la durée s’étendra jusqu’en 1952. Il fallait la soutenir car elle s’enfonçait dans une situation économique ‘angoissante’ par manque de crédits et de creusement des déficits commerciaux. Et, du coup, la menace d’une révolution communiste était à alors à l’ordre du jour, au moins en France et en Italie. L’excédent de dollars allait y être investi avec un bon rendement mais également, voire surtout, il s’agissait pour le capitalisme prédateur étasunien de pratiquer l’endiguement de l’influence communiste de l’Union soviétique. $13, 6 milliards furent mis à disposition de l’Europe occidentale, sous forme de dons de matériels surtout. Ils ont ancré l’Allemagne à l’Ouest, principal objectif du plan avec le relèvement de l’Allemagne occidentale comme point central de la reconstruction européenne. Les gros capitalistes allemands qui avaient fait des bénéfices faramineux sur le dos des populations serviles exploitées et exterminées pendant la période nazie s’en tiraient à bon compte, utiles qu’ils étaient devenus pour le nouvel impérialisme émergent.

Toute l’architecture de la domination étasunienne est alors en place : BRI, Banque mondiale, FMI, additionnés du plan Marshall et de l’abolition des frontières en tant que barrières commerciales et bientôt financières. Le monde occidental fasciné par le mode de consommation étasunien est plus en plus perméable à la culture et la ‘contre-culture’ nord-américaines. Devenu le bac à sable des entreprises étasuniennes, il se lancera à l’assaut idéologique du socialisme réel édifié dans les pays atteints tardivement et peu par l’industrialisation.

Cette période d’excédent commercial et budgétaire allait s’achever avec les dépenses du Pentagone qui se sont perpétuées puis amplifiées. Le Complexe militaro-industriel qui avait édifié cette suprématie en effaçant la Grande Dépression grâce à l’entrée en guerre des Usa était en position de perpétuer son activité et sa domination.

L’appui a cinq côtés et des ruines

Cette entité prédatrice, contre laquelle même le président Eisenhower allait mettre en garde lors de son discours ...de départ, s’est aidée de la prolifération d’agences de renseignements et de services de contre-espionnage dont la fonction revenait non à ajuster une politique de défense à des réalités objectives recueillies ou même provoquées mais à justifier des agressions décidées préalablement.

La Guerre de Corée (1950-1953) allait inaugurer ce qui très improprement fut appelé la Guerre Froide, soit 3 millions de morts, surtout coréens mais aussi dont 900 000 soldats chinois et 33 000 Etasuniens. Le nord de la Corée fut, comme prévu par les stratèges du Pentagone, ramené à l’âge de pierre pour servir de leçon aux autres nations asiatiques, en particulier par les Coréens du Sud mais aussi les Vietnamiens. De part et d’autre du 38ème parallèle s’affrontent le monde communiste et le monde capitaliste. l’URSS est entrée en guerre contre le Japon qui avait fait de la Corée une réserve d’esclaves. Le monde capitaliste incarné par les Usa -s’est attribué la qualité de ‘libre’. Il a fait tourner à plein régime la production d’armements et a attisé la peur des Rouges à l’échelle nationale, accélérant la chasse au communiste ou au simple libéral au travers du maccarthysme, et, au niveau international, avec l’élaboration de la théorie fantasmée de ‘l’effet domino’. Si un pays devient communiste, c’est toute la région qui tomberait avec lui dans son camp. Cet élargissement à l’Asie de la politique de l’endiguement du communisme a été l’occasion du renforcement de l’OTAN avec admission de deux nouveaux membres, la Grèce et la Turquie. En principe réservé aux ‘démocraties’, l’OTAN dans les faits ne s’embarrassait pas, quand c’était utile, de s’ouvrir aux régimes militaires ou monarchistes les plus répressifs.

L’une des conséquences les plus durables et significatives à l’échelle planétaire de la guerre de Corée fut  l’entrée des USA dans le régime des déficits budgétaires. Son coût de 69 milliards (à mettre en rapport avec les 13 du plan Marshall qui a servi de moyen pour coloniser 16 Etats européens) entraîna une dégradation des finances publiques avec un endettement à long terme dont elles ne sortiront jamais. Ce phénomène s’est accompagné d’une augmentation sans précédent des profits des aciéries, d’une santé remarquable du marché boursier, d’un chômage très bas et d’une hausse insolente du PIB. L’essor de l’industrie de l’armement était alors fulgurant, mise au point de la bombe à hydrogène et production des bombardiers B52. Les activités de la CIA se sont multipliées, en particulier les stratégies de guerre psychologique. L’adoption du document  NSC-68  impliquait que les Usa acceptent de devenir une nation militarisée ‘en temps de paix’ et pouvait consacrer plus de 20% de leur PIB à des dépenses militaires. Celles-ci ont bondi de 13 milliards au début de la guerre à 50 milliards trois ans plus tard.

La Corée n’a été qu’une entrée en matière, sans elle, la guerre du Vietnam n’aurait pas vu le jour. Les Usa sont bien entrés dans une économie de guerre permanente, cette fois non plus à l’échelle du Far West mais de la planète entière, les dépenses militaires sont restées élevées après la guerre de Corée, stabilisées à 9% du PIB jusque dans les années 60, après le pic de 13% en 1952-1953. Les économistes se réjouissaient des options politiques de la guerre froide car elles étaient une incitation keynesienne pour l’économie.

Victoire du Vietnam, la machine à débit

Le coût global de la guerre au Vietnam reste difficile à évaluer ($140 milliards ?), ce flou constituera une règle pour tous les engagements ultérieurs, de nombreuses dépenses sont masquées sous d’autre titres comme les aides administrées par le Secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères, certaines sont secrètes tandis que d’autres sont malaisées à évaluer, comme le coût indirect des blessés et des traumatisés psychologiques graves,  environ 700 000 pour le Vietnam. Néanmoins, on estime que la ‘Défense‘ a absorbé dans ces années 60-70, 45% à 50% du budget fédéral soit près de 77 milliards en 1970.  Cependant la stimulation par l’économie de guerre porte en elle-même des distorsions car elle se concentre sur certains secteurs avec tension sur la main d’œuvre qualifiée et hausse des prix des industries lourdes. La croissance sera moins vigoureuse par rapport aux pays européens et au Japon ce qui se traduisit par la perte de leur suprématie commerciale. Responsables de 46% des exportations mondiales en 1950, les Usa voient leur contribution baisser à 20% en 1970. Ils présentaient une balance commerciale excédentaire jusque dans la fin des années 60, ils accusent depuis 1971 (- $1,7 milliards) un déficit qui va devenir chronique (-$ 5,8 milliards  dès 1972).

Le ralentissement économique relatif allait entraîner un afflux de capitaux en dollars vers l’Europe sans modification de la politique monétaire étasunienne. Kennedy et Johnson avaient déjà demandé aux Européens de ne pas exiger la convertibilité or. La masse de dollars en circulation dans le monde atteignait  cinq fois le stock d’or de la Fed. Nixon a dû trancher en août 1971 et détacher le dollar de l’or, mettant fin à l’un des principes de Bretton Woods. Nixon a procédé à deux dévaluations successives, l’once d’or était passée de 35 à 38 puis 42 dollars. C’est bien cette faiblesse du dollar qui a induit les chocs pétroliers et a encouragé les pays de l’OPEP à multiplier le prix du baril libellé en dollar.

Cette époque de stagnation relative de l’économie américaine a connu un processus inflationniste entamé depuis 1962, dû au moins à deux raisons. L’à-coup de l’accélération des dépenses liées à la guerre et une politique monétaire de la Fed qui contrecarrait les politiques fiscales et budgétaires en augmentant le crédit et la masse monétaire.

Déficit budgétaire et déficit commercial étasuniens sont les deux moments d’une force qui a fait tourner l’économie mondiale. Les Usa impriment du billet vert pour acheter des biens fabriqués pour pas cher ailleurs, détruisant leurs infrastructures industrielles, main d’œuvre et son savoir-faire compris. Lequel billet revient à la maison, transformé en titres et bons du Trésor que l’Etat fédéral propose sans cesse sur le marché pour couvrir les frais officiels du Pentagone en expansion constante - en temps de guerre ou non - car il s’agit de maintenir et d’entretenir environ un millier de bases avec son personnel civil et militaire. Le Pentagone est le plus gros  propriétaire foncier : plus de 2 millions  d’hectares. Chalmers Johnson (1931- 2010) avait acquis une expertise certaine  à démasquer les artifices utilisés pour réduire la taille de l’empire militaire étasunien. Pour l’exercice de 2008, 23 milliards étaient dissimulés dans le département de l’énergie alors qu’elles allaient à des applications militaires, comme minerai et ogives, les crédits d’assistance militaire pour l’Egypte, Israël, le Bahrein etc pour 25 milliards sont rangés dans le budget du Département d’Etat, retraites et crédits aux anciens combattants, et surtout les activités paramilitaires du Renseignement sont tenues secrètes. Le budget global consenti par le Congrès à l’administration de la Maison Blanche en 2009 était de  533 milliards  de dollars, les dépenses dissimulées comptent pour un bon 1/6 de cette masse. Quant à la partie totalement occultée car comptabilisée nulle part, elle a représenté entre 1998 et 2005 quelques  21 000 milliards  d’après les travaux de Mark Skidmore et Catherine Austin Pitts… 

Le délabrement industriel obligea alors l’Etat fédéral à adopter des programmes d’aide sociale de plus en plus lourds, afin d’éviter les émeutes (comme celles de 1965). Additionnés aux allègements fiscaux, règle d’or du néolibéralisme entrepris depuis Reagan, le déficit budgétaire ne put que s’aggraver et requérir l’émission d’obligations sous forme de Bons du Trésor.

La classe ouvrière européenne et japonaise puis  chinoise à partir de la politique d’ouverture de Deng Xiaoping travaillent désormais pour assurer le mode de vie non négociable à l’Américain, se fait extraire une plus-value convertie en Dette consentie à l’Etat fédéral des Usa qui ne sera jamais remboursée. Laquelle Dette assure une certaine paix sociale au cœur de l’Empire et surtout permet les dépenses militaires qui maintiennent l’hégémonie de la Nation d’exception.

Les pétrodollars ont joué un double rôle annexe mais loin d’être négligeable dans la création de cette machinerie monétaire. Le dollar américain est la devise instituée dans le négoce du baril extrait par les pétromonarchies et la non réinjection du produit de la vente dans le circuit financier anglo-saxon sera apprécié comme un acte de guerre. C’est à peu près dans ces termes que furent accueillies les hausses du prix de l’énergie fossile détenue par les principaux producteurs, singulièrement les Séoud et les autres roitelets et émirs du golfe. Les autres pays en excédent commercial avec les Usa recyclent les dollars qu’ils ont perçus, sous la contrainte de voir monter les taux de change de leur propre monnaie qui risquerait d’être appréciée en cas de cumul trop important de dollars. Or une monnaie trop onéreuse est défavorable aux exportations.

Guerre permanente déléguée aux mercenaires 

La guerre de Corée puis celle du Vietnam commencée dès 1954 par le soutien aux dirigeants politiques du Sud-Vietnam ont bien été les circonstances que se sont données les Usa pour construire le modèle économique de guerre permanente sur le plan national et international contre le communisme, dont les dangers expansionnistes ont été exagérés à dessein bien avant l’invention de guerre préventive des néoconservateurs. Tout un arsenal juridique concernant la sécurité intérieure et les pouvoirs budgétaires accrus accordés à l’exécutif ont été revus à la baisse, la guerre du Vietnam et le Watergate y ont chacune contribué, de même la montée continue du déficit et les gels des crédits (impoundment) votés par le Président.  En 1974, la loi dite  Congressional Budget Act permet au Congrès d’exprimer sa propre position budgétaire indépendante de celle de l’exécutif. Un organisme indépendant d’analyses et d’études fut créé, le nombre de commissions s’est multiplié, il en est des fiscales, des budgétaires et des dépensières. La complexité des procédures et leur décentralisation sous prétexte de limiter le pouvoir budgétaire de la Maison Blanche a paradoxalement favorisé le financement occulte et incontrôlé du Pentagone et des entités connexes du Renseignement et des Opérations spéciales. C’est dans ce contexte de rationalisation et de relatif contrôle budgétaire que de plus en plus à des sociétés militaires privées ont été incorporées dans l’organisation de la sécurité intérieure et la défense nationale. Dés les années 90, l’outsourcing ou l’externalisation des services aux armées étasuniennes s’est étendue. Lors de la guerre du Golfe de 1991, le ratio était d’un privé pour 100 soldats, il est passé de 1 à 10 pour l’invasion de l’Irak en 2003. Les acteurs privés représentent actuellement au moins 20% des forces étasuniennes dans l’Orient arabe et sans doute plus en Afrique. Les services privés ont concerné la logistique, le maintien du matériel, l’entretien et la sécurité des bases militaires. Puis d’autres compétences comme les systèmes d’armes et le renseignement leur ont été attribués au prétexte d’une meilleure efficacité et flexibilité que les modes conventionnels. Les guerres de l’information offensive leur sont dévolues et ils jouent un plus grand rôle dans la configuration des guerres asymétriques. La nouvelle architecture militaire ne s’est pas accompagnée d’une évolution des instruments de contrôle politique comme le déplorait le Government Accounting Office dès 2003. Dans  un rapport au Sénat, il dénonçait un manque de visibilité, une opacité de la chaîne de direction, des dérives financières et l’absence de supervision à propos des sociétés militaires privées en Irak. Une thèse en Droit public  soutenue à Lille en 2014 par Babou Cissé développe cet aspect des activités militaires et sécuritaires aux Usa au regard du droit est aisément consultable. Les entreprises militaires privées se voient confier des tâches comme l’intégration entre militaires et civils, soit le Pentagone, le Secrétariat d’Etat et l’USAID dans les phases de reconstruction. Les ONG ont aussi recours à des sociétés militaires privées. Des privés interviennent dans des opérations de contre-terrorisme auprès de groupes paramilitaires de la CIA. Le Lieutenant-colonel Marie-Dominique Charlier, chargée d’études à l’Irsem est intervenue six mois de février à août 2008 comme conseiller politique (political advisor ou polad) auprès de la chaîne de commandement de l’OTAN en Afghanistan. Les Usa avaient en effet réussi  le coup de force  de transférer la direction de la Force Internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) mandatée par l’ONU à l’OTAN en août 2003, sans que nul ne se soit soucié de tenter une protestation, l’hegemon devenu indiscutable. Le rapport  qu’elle a pu établir à partir de ses observations qui n’ont souffert d’aucune limitation de déplacement, fait rare, est fort instructif. Elle y fait le constat implacable du ratio1 soldat/ 1 contractor, de l’absorption de toute « l’aide » à la reconstruction par les SMP et surtout de l’absence de volonté de ces SMP d’accomplir la tâche de formation de l’armée afghane pour ne pas se priver de leur source de revenus. Elle conclut par une formule judicieuse, plutôt qu’à l’externalisation de certaines fonctions militaires, on assiste à l’externalisation de la guerre. Ce sont ces mêmes SMP qui élaborent les doctrines politiques à l’usage de l’OTAN et l’Etat fédéral étasunien, on ne peut douter qu’elles feront en sorte que durent la guerre et leurs profits.

Tous les services de renseignement, CIA, DIA, NSA ainsi que des réseaux clandestins sont désormais truffés de hordes de ‘contractants privés’. En 2006,  42 milliards soit 70%  de ce que le gouvernement fédéral consacre à la surveillance et à l’espionnage étaient aux mains de sociétés mercenaires qui employaient 17 500 agents à plein temps. L’idéologie technologiste alimente un besoin insatiable en enregistrement et conservation de données. A peine 5% sont traduits en une forme analysable. Science Applications International Corporation, SAIC, gratifie 42 000 employés à San Diego avec de très hauts salaires et remplace la NSA dans la collecte des signaux pour le renseignement. Les livres de comptabilité qui traitent des dépenses pour Blackwater devenu Xe puis Academi et maintenant revendu, Dyncop & Triple Canopy sont tenus hors de vue, autorisant la dissimulation du coût des guerres.

Ce transfert vers le privé de l’arme et de l’espionnage a commencé sous Reagan mais a connu sa plus ample expansion sous Clinton. Bush et Dick Cheney n’ont permis son accélération en ajoutant une rationalisation idéologique au phénomène de la disparition de l’Etat au profit du privé après le 9/11. Dans le même temps, la CIA, la NSA et le DIA perdaient leurs capacités fonctionnelles et ne pouvaient plus les transmettre aux nouvelles recrues. Le règne des incompétents est advenu en leur sein. Mais surtout, une telle complexité incontrôlée met le renseignement de la puissance hégémonique à la portée et au service de n’importe quel maître chanteur, manipulateur et surtout Etat étranger.

Le monde Post-soviétique, sino-américain

Depuis la Grande Dépression résolue grâce à la guerre mondiale deuxième du nom, le système capitaliste s’est incarné dans une entité qui lui avait sauvé la mise, l’économie de guerre. Quand il n’a plus eu affaire à l’ennemi communiste qui nourrissait son destin d’affrontement permanent et contre lequel il a formé des bataillons de propagandistes créateurs de fantasmes, il a dû bricoler quelque chose de confus et de diffus. Le démembrement de la Yougoslavie et la première guerre du Golfe qui a coûté la vie à 500 000 enfants irakiens en raison de l’embargo en ont été le coup d’envoi.

Dix ans plus tard, l’Afghanistan et de nouveau l’Irak allaient consacrer la mise en application de la ‘Création de Réalité’ et de la guerre préventive et sans fin contre non un État ou un groupe d’États, ce qui aurait permis de mesurer son succès et ses effets, mais contre un mode opératoire, le terrorisme de préférence ‘islamiste’. Sans opposition aucune par ailleurs aux États et entités ‘islamistes’ qui se sont soumises à l’empire et qui sont dans une large mesure d’ailleurs les pourvoyeurs du terrorisme takfiri.

L’entité étasunienne sous-jacente à ce fonctionnement a alors connu une maturation et a acquis des caractères plus tranchés du prédateur qui finit par devenir sa propre proie. La disparition de l’armée étasunienne et du renseignement sous un enchevêtrement inextricable d’intérêts privés a transformé le Centre du capitalisme mondial en un  nouvel Erysichthon

Le passage de la prospérité avec la période du fordisme, une industrie nationale au sens classique du 19ème siècle et des infrastructures robustes, fut bref. L’industrie financière de plus en plus exubérante et la fuite d’un coût exorbitant de la force de travail en rapport avec un logement et des soins de santé onéreux ont concouru à laisser la périphérie s’occuper de fabriquer des voitures, du vêtement et bientôt les pourtant indispensables à la machine prédatrice ordinateurs. L’arroseur serait-il désormais arrosé ?

Au Centre échoue la tache de produire seulement l’environnement culturel qui allait faire passer son rôle de gendarme du monde en défenseur des ou plutôt de ‘La Liberté’ et d’imprimeur-cliqueur de monnaie papier comme émetteur de ‘richesse’ ...virtuelle. Tout le monde s’apercevait des maladresses de la justification de la destruction de l’Afghanistan et de l’Irak mais à personne n’est venue l’idée qu’il ne s’agissait pas de ruses suprêmes mais d’une incompétence la plus ordinaire. Le monde a été unifié économiquement sous la houlette de Wall Street mais des différences de potentiel culturel persistaient malgré le laminage d’Hollywood, de l’Université et des mass médias.

Dans l’ouverture de la Chine à l’économie de marché, l’aide militaire aux Usa en Asie était incluse dans le packaging. Le conseiller à la Sécurité nationale de l’administration Carter, Zbigniew Brzezinski, n’a pas été seulement l’inspirateur de l’attraction de l’URSS dans le traquenard afghan en 1979. Il avait œuvré pour cela à neutraliser l’influence du Secrétaire d’Etat Cyrus Vance favorable à un apaisement des tensions avec Moscou et à l’avancée des négociations de la réduction d’armement Salt II. Brzezinski était déterminé à jouer la ‘China card’ déjà largement amorcée par Kissinger. Il déclarait lors de sa visite à Pékin en mai 1978 : « Nous avons été alliés par le passé. Nous devrions collaborer de nouveau face à une menace commune. Car l’une des caractéristiques principales de notre époque – caractéristique qui nous amène à nous unir – est l’émergence de l’Union soviétique comme puissance mondiale. » La rupture des Chinois avec la Grand Frère soviétique allait se traduire par un revers d’alliance visible déjà quand la  Chine et les Usa soutiennent les Khmers rouges au Cambodge contre l’ours russe et le chat vietnamien à faire saigner tous les deux. On ignore encore l’ampleur de l’implication active chinoise auprès des moudjahidines afghans. On sait cependant que la Chine a été le premier fournisseur d’armement soviétique à l’intermédiaire pakistanais. Il a bien fallu les aides conjuguées des Séoud, du Pakistan et de la Chine pour faire durer dix ans l’intervention soviétique en faveur du gouvernement de Babrak Karmal puis de Najibullah. Décembre 1979 - février 1989 la guerre la plus longue de l’URSS a généré une démoralisation escomptée par l’architecte du plan afghan. Plus que l’engagement matériel et financier pour soutenir Kaboul, il a participé d’un bon poids dans la dislocation de l’URSS en 1991.

La création de zones économiques sociales sur le littoral chinois pour faciliter le transport des matières premières et les exportations allaient donner du répit à l’économie étasunienne mise en difficulté par une  inflation et un chômage élevés  au milieu des années 70 alors qu’une seconde  période récessive  allait s’ouvrir au début des années 80. La Chine donnait aux entreprises étrangères une exonération d’impôts, un régime d’extra-territorialité aux employés des firmes étrangères et offrir l’exploitation d’une main d’œuvre très bon marché en échange de l’ouverture de la Chine au marché mondial. Elle prévoyait de sortir de l’autarcie jusque là pratiquée par le Parti communiste chinois pour effectuer un rattrapage technologique et industriel rapide. Ce n’était là que l’un des volets de la réforme économique préconisée après la mort de Mao et l’élimination de la bande des quatre.

Deng Xiaoping avait entamé en effet une réintroduction de secteurs capitalistes au niveau de la paysannerie dont une partie de la production qui excédera le quota rétribué par l’Etat sera vendue sur un marché libre. La création d’entreprises communales et villageoises sous contrôle des gouvernements locaux mais orientés vers le marché a permis une production très dynamique et variée absorbant une main d’œuvre abondante tout en empêchant un exode rural massif, malheur social des pays en développement. Quarante ans après, la Chine a bien enrayé le processus de la divergence qui condamne les pays du tiers-monde à ne jamais connaître le développement des pays ‘riches’. Cette malédiction est le fruit d’un échange inégal structuré par la domination financière/ et militaire des plus anciennement industrialisés qui vivent une situation de rente. Cette performance inédite, conduire un milliard d’humains hors de d’une économie majoritairement paysanne, s’est réalisée dans une grande stabilité politique, avec des pertes humaines très réduites en comparaison des coûts représentés par l’industrialisation britannique par exemple, au Royaume uni même et dans les territoires colonisés. Les millions de morts cambodgiens et afghans offerts en sacrifice à ‘l’amitié’ sino-américaine sont inclus dans la comptabilité du bond économique chinois.

Levier en forme de bulles 

Est-ce l’éclatement de la bulle des  dot.com  qui aurait fait planifier par les Usa leur intervention en Afghanistan bien  avant le 11 septembre 2001 ? La Guerre perpétuelle est déclarée et la Fed a stimulé le secteur immobilier par des taux d’intérêts très bas, repoussant à 2007 l’éclatement de l’immobilier à risque. L’attelage sino-étasunien poursuit sa course de guingois, la Chine injectant ses gains en dollars dans les obligations émises par le Trésor américain, perpétuant les dépenses militaires du Gendarme du monde. 

En arrière-plan, l’or sur le marché international connaî  une hausse de 630%  entre 2001 et 2012 et l’arrêt de la progression de son cours à partir de cette année ressemble à s’y méprendre à une manipulation des cours. L’interdit sur la thésaurisation en or lancé par les Usa à ses partenaires commerciaux obligeait le monde à n’utiliser que le dollar comme réserve, il avait commencé à être levé. Le témoignage de Jerome Powell, gouverneur de la Fed devant le Congrès, lui a permis de réitérer la semaine passée son opposition au retour à une  monnaie garantie par l’or. Une telle garantie rendrait impossible le jeu de la création monétaire sans borne dans le cadre du Quantitative Easing ou assouplissement monétaire auquel se livre la Fed et la BCE. Powell a néanmoins cité les tensions sur le commerce international comme source d’inquiétude pour la vigueur de l’économie mondiale.

L’acquisition de stocks d’or par les banques centrales de pays “émergeant” est une tendance qui se maintient et  se précise. La  Russie  se débarrasse de ses dollars contre de l’or,  la Chine  après une petite pause s’est remise à en acheter. La Dette fédérale en hausse constante a atteint des niveaux tels que n’importe quel investisseur comprend qu’elle ne sera jamais payée et que le rendement des Bons du Trésor - limités par la politique de la Fed qui maintient les taux d’intérêt au plus bas niveau historique depuis des années - est insuffisant pour en rendre le risque attractif. Comme valeur de réserve, le dollar ne semble justement plus fonctionner comme valeur de réserve. Les pays qui le peuvent préfèrent effectuer leurs transactions bilatérales dans leurs monnaies nationales respectives. Les dernières sanctions étasuniennes prononcées à l’encontre de l’Iran ont provoqué des  tentatives de mesures  de pays alliés, en particulier de l’Union européenne et de l’Inde pour tenter de contourner le dollar dans leurs transactions.

L’Europe s’est lancée dans l’élaboration  d’un système alternatif  de paiement à SWIFT. Elle a annoncé en janvier 2019 la création du canal  INTEX  (instrument in support of trace exchange) pour l’instant limité aux échanges humanitaires car au-delà du contrôle des flux de compensation monétaire, les USA peuvent prohiber l’accès d’entreprises étrangères qui bravent leur oukase au marché étasunien. Des géants comme Total, Siemens, Daimler, Renault ne peuvent pour l’instant de se couper de leur débouché.

Une série de banques russes ont de leur côté adhéré au système international de paiement mis au point par la Chine,  CIPS, afin de faciliter les échanges entre les deux pays. En contrepartie, le régulateur de la Banque centrale de Russie souhaite que les partenaires chinois prêtent plus d’attention au système russe de transfert rapide de messages financiers - SFPS, réseau mis au point dès 2014 en réponse à la menace étasunienne de déconnecter la Russie de Swift. 

Donc les canaux d’échange hors dollar existent, les Banques centrales diversifient leurs réserves en devises, affectionnant particulièrement l’or, tout ceci indique une avancée vers la dé-dollarisation de l’économie-monde. Mieux, les déclarations intempestives et inconsidérées du Président Trump concernant la manipulation de sa monnaie par la Chine à la baisse pour faciliter ses exportations sont un véritable encouragement à délaisser l’achat des Bons du trésor étasunien. L’une des manières employées pour ne pas laisser s’envoler sa monnaie nationale pour un pays qui commerce avec les USA est d’acheter de la Dette étasunienne. A plusieurs reprises, le  FMI et le Trésor étasunien  soucieux de la désaffection pour les Bons du trésor ont répliqué publiquement qu’il n’existait aucune preuve d’une manipulation des cours. Bien au contraire, la Chine table sur une stabilité de sa monnaie dont elle espère qu’elle  acquerra un statut  de monnaie de réserve et lutte contre toute spéculation à sa baisse car elle induirait une fuite des capitaux des  places boursières chinoises. Celles-ci ont été bien chahutées en 2018 quand les indices composites de Shanghai et de Shenzhen ont perdu respectivement 24% et 33% dans un environnement de guerre commerciale avec un ralentissement de la croissance du PIB et un resserrement du crédit destiné au placement.

Il apparaît clairement grâce à la crise iranienne, plus que celle du Venezuela, que deux vecteurs sur trois de l’édifice financier et monétaire étasunien sont en train de rompre. Techniquement, le statut de monnaie de réserve et d’échange du dollar est en train d’être perdu, d’autant que les crypto-monnaies et l’or peuvent le concurrencer sans l’aspect martial d’une guerre entre monnaies nationales. 

La troisième force de nature giratoire, elle fait tourner la finance et ça donne le vertige, est celle de la dette et du déficit budgétaire étasuniens. Cette machine permet à un Etat de faire la guerre en la faisant payer par ses victimes (c’est classique), ses alliés (des précédents historiques existent aussi) mais aussi ses adversaires présents et futurs (un peu moins). Elle fonctionne ainsi depuis la guerre de Corée, soit soixante-dix ans, ce qui représente la durée approximative de la domination d’Athènes au travers de la ligue de Délos (478-404). L’originalité de la situation étasunienne tient au fait que le ‘Reste du Monde’ réinvestit son surplus dans le marché américain afin d’assurer aux Américains la possibilité d’acheter ses marchandises tout en contribuant au financement du Pentagone.

Plus d’appui ni de levier

En raison d’une politique fiscale favorable aux entreprises censée relancer la production et d’un gonflement du budget du Pentagone (40 milliards de plus en 2018 et 20 autres additionnels en 2019), le déficit a atteint 5% du PIB, soit le niveau exceptionnel de la Seconde Guerre mondiale et des années 2008-2009. En 2019-2020, il atteindra 6%, territoire encore inexploré et il sera difficile de prétendre comme l’a fait avec arrogance désinvolte Dick Cheney en 2004 ‘Deficits don’t matter’. Les dettes souveraines, recherchées comme placement sécurisé malgré leur faible rendement, sont un instrument important du système bancaire mondial car elles sont les meilleures garanties pour un emprunt et une protection formidable quand il s’agit de défendre sa monnaie nationale quand elle est attaquée. (Leçon de la crise financière asiatique des années 90). Cependant elles ont été ternies par la crise de 2008 d’autant que les Banques centrales se sont transformées en banques de défaisance pour les banques privées dites « too big to fail ». Les prêteurs vont exiger des taux plus importants, ce qui conduira soit à une politique d’austérité soit à une inflation, augmenter encore davantage la masse monétaire pour dévaluer la dette. Emprunter a donc ses limites. Une anomalie majeure avait été perçue dans les comptes de la Fed dans la publication trimestrielle du  Bulletin du Trésor  de décembre 2018. Des  investisseurs indéterminés  qui ne sont ni la Fed, ni les banques, ni les assureurs, ni les étrangers emprunteraient à court terme (3 000 milliards depuis 2015, c’est-à-dire à la fin officielle du programme d’assouplissement monétaire) pour acquérir des actifs à maturité longue ou moyenne avec un écart de taux ridiculement bas. Seules des Banques centrales ou leurs intermédiaires peuvent ‘trouver’ des sommes aussi importantes pour un papier à rendement négatif à 10 ou 30 ans. Ce stratagème a tout l’air d’un schéma où le Trésor s’achète à lui-même, aidé d’un dispositif écran des obligations qui déterminent le taux du crédit hypothécaire à 30 ans. Désormais, en plus des B52, de la bombe H, des ‘regime change’, des assassinats politiques, les Usa emploient du maquillage et des tours de magie pour sauver leur Ponzi. Pour combien de temps ?

Réduire le budget du Pentagone ? Impensable, le Secrétaire à la Défense qui est en train d’être confirmé par le Sénat   n’est qu’un lobbyiste, il a servi Raytheon avant l’État fédéral et continuera dans cette voie pour retourner au Conseil d’administration d’une des unités privées du CMI (Complexe militaro-industriel). Le  précédent candidat  au remplacement de Mattis avait servi 31 ans Boeing.

En effet, ce genre de toilettage et d’arrangements mystérieux dans les livres de comptes ne peut rester occultés que par la force des baïonnettes. La Syrie et l’Iran démontrent que la supériorité de l’armement de nouvelle génération russe rendent  inconsistant l’hypothèse d’une guerre éclair et encore moins d’un débarquement d’intimidation ou punitifs.

Faire des coupes dans la partie non discrétionnaire de l’Etat, c’est-à-dire les dépenses dans le social, retraites, éducation et soins médicaux pour les plus démunis? Ce serait relancer une guerre sociale qui couve déjà. Les révoltes des quartiers populaires (et donc noirs) dans les années 60 avaient déterminé une relative expansion du budget social fédéral difficile à comprimer.

Le Bureau du Budget au Congrès  a publié ses perspectives  à long terme. Dans une projection à 30 ans, si les dépenses et les réductions d’impôts continuaient à évoluer selon le rythme actuel, la dette triplera. Elle est déjà insoutenable, les intérêts payés en 2018 représentent plus que les budgets de l’aide médicale, du département du logement ainsi que de l’aide alimentaire sur un déficit record de 779 milliards. Sur les quatre premiers mois de 2019, ils ont connu une hausse de 10% pour la même période en 2018 et vont s’établir à 591 milliards pour 2019, ce qui rapproche considérablement la charge de la dette du déficit !

La pluralité contre le global

 Quand crèvera-t-elle cette bulle de la dette publique des Usa et avec elle le ballon de baudruche de sa puissance en déclin ?

 Le symptôme Trump qui souhaite redresser l’économie étasunienne en augmentant les tarifs douaniers et en faisant des cadeaux fiscaux a aggravé les déficit de la balance commerciale car les Américains ont acheté tout bonnement aux Chinois ce qu’ils ne produisent pas ou plus. Avant même son intervention intempestive sur les tarifs douaniers, le volume et la valeur mondiale des biens surtout et des services échangés ont connu  une contraction  en 2015 et 2016, il faut souligner que ce sont les échanges Sud-Sud qui ont fait progresser le commerce mondial ces dix dernières années. La valeur des biens échangés exprimée en pourcentage du PIB mondial n’avait cessé de progresser depuis les années 70 atteignant  le pic mirobolant de 51%  en 2008, elle est en 2018 de 46% selon la Banque mondiale. En traduction très imparfaite, une marchandise produite sur deux est destinée à l’exportation, un tel niveau est inédit dans l’histoire, expression à la fois de l’interdépendance entre les nations et de l’énormité  gargantuesque du transport international. L’activité parasite de la distribution prend une importance en proportion de ce trafic, que le droguiste-fleuriste-libraire-etc. géant Jeff Bezos soit devenu l’homme le plus riche du monde rend compte de cette aberration.

Tant que le désordre et le pillage éhonté ne concernaient que des contrées lointaines, tellement exotiques qu’elles en devenaient improbables, la vie en Occident pouvait sembler harmonieuse. La Grèce, pays européen et appartenant à l’Union européenne, est devenue exsangue pour s’être faite vampiriser par les banques françaises et allemandes et sa bourgeoisie qui voit ses comptes bancaires gonfler en Suisse. La Deutsche Bank sur l’autel de laquelle a été sacrifié le peuple grec, ses millions de jeunes chômeurs et ses retraités avec une pension amputée, n’y a gagné qu’une rémission de courte durée dans une situation de soins palliatifs alors que pauvreté et l’émigration des Grecs est durable. Blanchiment d’argent, fraudes, abus, falsification de comptabilité, voici le  menu des principales banques  que les Banques Centrales ont voulu sauver en instituant l’austérité. 

Le mouvement des Gilets Jaunes en France, acéphale mais persistant et profond dit que la polarisation entre les 1% et les 99% est criante au cœur du capitalisme et n’est plus vivable. Leurs fins de mois de plus en plus difficiles les empêchent de cesser leur protestation de plus en plus politique. En plus de revenus décents, ils s’indignent de la privatisation des biens publics et de la disparition des services publics et réclament plus de démocratie réelle. La répression qu’ils subissent est à la mesure de leur mise en danger d’un système jusque là confiant dans sa pérennité. Quand on interroge les Français, ils déclarent ne plus se contenter d’une vie par procuration, celle prodiguée par les symptômes ‘people’ comme Monarc 1er. Pour 39% d’entre eux, une  révolution est nécessaire  pour changer une situation devenue intolérable.

Sous quelle forme le monde va-t-il sortir de cette lente agonie quand des symptômes comme Trump, vulgaire homme de cirque qui a fait fortune en escroquant des banques, parviennent au pouvoir politique et occupent la scène médiatique ? Le  parking-cimetière  de Boeing 737 Max et les dégâts irréversibles portés à la diversité des espèces témoignent que le technologisme ne peut plus nourrir la croyance qu’il sauvera l’humanité. Vu de l’Occident, croulant entre une population vieillissante et son incapacité à gérer paisiblement ses émigrés, le monde nouveau tarde à s’en dégager. En dehors et en dépit des points de conflits, nombreux et entretenus désespérément par les avatars de la CIA, l’Afrique et l’Asie se transforment à vue d’œil. Les anciens émergeants et les puissances moyennes s’y déploient. La Chine s’adapte à sa position de première puissance économique acquise après avoir été l’alliée objective des Usa contre l’URSS,  elle équipe avec profusion ceux qui en sont restés dépourvus de voies de communication (pour que s’y déversent ses marchandises ?). C’est la Russie qui, une nouvelle fois, sous sa forme poutinienne, a fait barrage à la barbarie occidentale responsable du délitement de l’Irak et la Libye (etc.) singulièrement en Syrie et au Venezuela.

Certains nationalismes, ceux qui protègent les territoires et leurs habitants de l’intrusion déstabilisante d’une économie-monde qui asservit et prolétarise tout ce qu’elle contamine sans chercher à se projeter comme force conquérante au-delà, participent à cette recomposition.

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