Âge de l’impunité ou Âge du déchaînement ?

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Âge de l’impunité ou Âge du déchaînement ?

Parlant des USA, – What Else ?, comme dirait l’éventuel futur gouverneur de la Californie, – Tom Engelhardt décrit, dans sa dernière analyse du 13 juillet 2014 (sur TomDispatch) l’exceptionnelle impunité dont jouit cette exceptionnelle nation dans ses actes les plus scandaleux, y compris et précisément à l’encontre d’elle-même en un sens. Il veut parler des actions illégales, arbitraires, à peine clandestines, qui font de cette puissance partout présente et imposant une loi totalement invertie, la productrice systématique d’une attitude extraordinaire de mépris pour ses propres lois. La loi qu’imposent les USA est donc, selon un processus d’inversion complètement universel aujourd’hui, celle du non-respect de ses propres lois qui se voudraient d’ailleurs universelles (voir la BNP). Engelhardt débute par cette anecdote d’un fonctionnaire US chargé d’enquêter en Irak sur Blackwater et ses mercenaires, menacé directement de mort, “les yeux dans les yeux”, par le représentant de cette société, et voyant aussitôt la représentation diplomatique du pays et du gouvernement qu’il représente et qui l’a mandaté, prendre complètement le parti de celui qui bafoue ainsi la loi de ce pays et profère des menaces de mort contre un fonctionnaire, et cela dans la plus complète impunité... L’anecdote qui a la force du symbole date de 2007, – et combien, depuis, la perversion invertie de l’empire n’a fait que se déchaîner davantage.

«For America’s national security state, this is the age of impunity. Nothing it does – torture, kidnapping, assassination, illegal surveillance, you name it – will ever be brought to court. For none of its beyond-the-boundaries acts will anyone be held accountable. The only crimes that can now be committed in official Washington are by those foolish enough to believe that a government of the people, by the people, and for the people shall not perish from this earth. I’m speaking of the various whistleblowers and leakers who have had an urge to let Americans know what deeds and misdeeds their government is committing in their name but without their knowledge. They continue to pay a price in accountability for their acts that should, by comparison, stun us all.

»As June ended, the New York Times front-paged an account of an act of corporate impunity that may, however, be unique in the post-9/11 era (though potentially a harbinger of things to come). In 2007, as journalist James Risen tells it, Daniel Carroll, the top manager in Iraq for the rent-a-gun company Blackwater, one of the warrior corporations that accompanied the U.S. military to war in the twenty-first century, threatened Jean Richter, a government investigator sent to Baghdad to look into accounts of corporate wrongdoing.

»Here, according to Risen, is Richter’s version of what happened when he, another government investigator, and Carroll met to discuss Blackwater’s potential misdeeds in that war zone:

»“Mr. Carroll said ‘that he could kill me at that very moment and no one could or would do anything about it as we were in Iraq,’ Mr. Richter wrote in a memo to senior State Department officials in Washington. He noted that Mr. Carroll had formerly served with Navy SEAL Team 6, an elite unit. ‘Mr. Carroll’s statement was made in a low, even tone of voice, his head was slightly lowered; his eyes were fixed on mine,’ Mr. Richter stated in his memo. ‘I took Mr. Carroll’s threat seriously. We were in a combat zone where things can happen quite unexpectedly, especially when issues involve potentially negative impacts on a lucrative security contract.’”

»When officials at the U.S. Embassy in Baghdad, the largest in the world, heard what had happened, they acted promptly. They sided with the Blackwater manager, ordering Richter and the investigator who witnessed the scene out of the country (with their inquiry incomplete). And though a death threat against an American official might, under other circumstances, have led a CIA team or a set of special ops guys to snatch the culprit off the streets of Baghdad, deposit him on a Navy ship for interrogation, and then leave him idling in Guantanamo or in jail in the United States awaiting trial, in this case no further action was taken.»

Engelhardt décrit donc la puissance formidable et l’impunité extraordinaire dont disposent ces divers acteurs de la puissance américaniste. Ce triomphe est celui de l’inversion systématique, où tout ce qui est structure est bafoué, attaqué, nié, moqué et transgressé, jusqu’à ce que la destruction, – la déstructuration et la dissolution, – s’ensuive. Ainsi Engelhardt parle-t-il du triomphalisme de cette forme de puissance, forme ultime parce que déchaînée et nihiliste, littéralement sans foi ni loi et pour un objectif compulsif de complète entropisation. Effectivement, actant ce triomphe et ce triomphalisme à l’image de quelques situations indéniables et significatives engageant les deux principales sources de puissance qu’il identifie (le National Security State et le Corporate Power), Engelhardt en déduit paradoxalement, – mais paradoxe qui ne peut nous étonner puisque dans la logique de la dynamique que nous décrivons depuis longtemps, – l’effritement accéléré, l’effondrement de la puissance américaniste...

«...In both cases, no matter how you tote it up, it’s been an era of triumphalism. [...] And yet that only begins to tell the strange tale of our American times, because if that power is ascendant, it seems incapable of being translated into classic American power. The more successful those two sectors become, the less the U.S. seems capable of wielding its power effectively in any traditional sense, domestically or abroad. [...]

»All in all, the situation is puzzling indeed. Despite much talk about the rise of a multi-polar world, this still remains in many ways a unipolar one, which perhaps means that the wounds Washington has suffered on numerous fronts in these last years are self-inflicted.

Just what kind of decline this represents remains to be seen. What does seem clearer today is that the rise of the national security state and the triumphalism of the corporate sector (along with the much publicized growth of great wealth and striking inequality in the country) has been accompanied by a decided diminution in the power of the government to function domestically and of the imperial state to impose its will anywhere on Earth.»

... Effectivement, nous ne sommes pas dans un monde multipolaire comme on l’annonce partout en croyant encore que la situation du monde répond à la raison et à ses arrangements, mais dans le processus de destruction du monde unipolaire, – en attendant cette destruction, le monde est “antipolaire”, c’est-à-dire rétif à quelque ordre que ce soit tant que la source unique du désordre ne sera pas détruite jusque dans ses fondations ... Et cette source s’y active, puisque sa surpuissance active magnifiquement et avec une efficacité à ne pas croire son autodestruction (« the wounds Washington has suffered on numerous fronts in these last years are self-inflicted»). Mais certes, l’on comprend finalement que ce n’est pas “Washington” dont il est question mais le Système ; ce n’est pas le triomphalisme (sinon celui des pauvres esprits totalement invertis qui croient encore exister) mais l’inversion, enfin ce n’est pas l’impunité mais le déchaînement.

Donc, l’Âge du déchaînement et non l’Âge de l’impunité... Sinon dans ceci que le déchaînement entraîne l’impunité, puisqu’il s’agit de l’unipolarité à laquelle rien ne résiste, et à laquelle rien ne doit résister puisque cette unipolarité travaille en état de surpuissance à son autodestruction. “Déchaînement” (des USA dans ce cas) signifie, déchaînement de la politique-Système, déchaînement du Système, et enfin tout cela nous faisant remonter à la logique originelle du “déchaînement de la Matière”. La situation générale rend compte de cet état de fait, chaque jour d’une façon plus appuyée, plus circonstanciée. On le voit notamment avec la situation Obama-Merkel, où le président US se retrouve, lors d’une conversation téléphonique avec Merkel, dans une situation où il ignore l’arrestation du premier agent double de la CIA, n’en dit donc mot à Merkel, se trouve devant la chancelière dans une position de duplicité (refus d’aborder le sujet) ou de dérision (la CIA n’en faisant qu’à sa tête, ne l’informent pas de la chose, ne l’ayant pas informé du recrutement de l’agent double, etc.). (Voir ce même 14 juillet 2014.) Il s’agit effectivement du déchaînement de la politique-Système. WSWS.org détaille cet aspect des relations USA-Allemagne sous le titre de “Obama et la CIA – Qui gouverne à Washington ?”, le 12 juillet 2014. WSWS.org fait un parallèle avec l’affaire du U-2 du 1960, où Eisenhower fut surpris par la destruction d’un U-2 au-dessus de l’URSS, une mission conduite par la CIA sans qu’il en fut avisé : ce fut une énorme crise internationale (annulation du sommet des quatre puissances à Paris, en mai 1960) et l’affaire suscita chez Eisenhower le fameux discours sur le complexe militaro-industriel du 17 janvier 1961 (voir le 10 août 2005). Aujourd’hui, cette sorte de circonstance n’a pas de quoi provoquer une crise, ni susciter le moindre discours chez Obama ; c’est business as usual.

Par conséquent, nous nous trouvons ainsi particulièrement à l’aise, avec notre schéma “déchaînement de la Matière”-politique-Système, pour décrire la dynamique générale en cours. Plus que jamais, nous estimons qu’une alternative à ce déchaînement n’est possible que lorsque l’autodestruction engendrée par la surpuissance aura été menée à une phase d’automaticité achevée, rendant effectivement l’autodestruction inéluctable et sans retour. D’ici là (d’ici cette destruction), la stratégie antiSystème de résistance doit être absolument relative à la dynamique de déchaînement, pour l’utiliser par tous les moyens contre elle-même (technique classique du “faire aïkido” [voir le 2012]). C’est une stratégie parfois difficile à accepter et à appliquer, mais c’est la seule raisonnable.


Mis en ligne le 14 juillet 2014 à 10H51

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