A quoi sert Elon Musk ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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A quoi sert Elon Musk ?

9 septembre 2023 (20H50) – Ces jours derniers, on a beaucoup parlé d’Elon Musk. D’ailleurs, depuis pas de temps il est dans le collimateur, parce qu’il a débarrassé Tweeter de son manteau de censure pour en faire un ‘X’ où il est permis d’écouter Tucker Carlson éclater de rire et d’écrire fort poétiquement et sans craindre la répéttion “J’écris ton nom, Liberté”. Dernièrement, le nœud s’est encore resserré sur sa bonne réputation, et notamment ces jours derniers avec cette affaire de ‘SpaceX’ et de l’Ukraine, suite à la parution d’un bouquin sur Elon-X.

Par exemple, on va citer deux réactions. On pourra ainsi mesurer l’émoi dans des camps opposés, tout en ayant quelques détails sur cette affaire, juste pour se rappeler de quoi l’on parle. D’abord, le Russe Medvedev, comme d’habitude impitoyable pour les ennemis de la Russie, spécialement américanistes, pour cette  fois entonnant une rengaine différente.

« Ce message [de Medvedev] intervient après que CNN a publié des extraits du livre du biographe Walter Isaacson sur Musk, dans lequel il détaille les raisons derrière la décision de l’homme d’affaires.

» “Si ce qu'Isaacson a écrit dans son livre est vrai, alors il semble que Musk soit le dernier esprit équilibré en Amérique du Nord”, a écrit Medvedev, actuellement vice-président du Conseil de sécurité russe, sur son compte en anglais sur X (anciennement Twitter) jeudi.

» “Ou, à tout le moins, dans une Amérique neutre en matière de genre, c'est lui qui a des couilles”, a ajouté le responsable.

» Selon des extraits du livre d’Isaacson, cités par CNN, Musk a secrètement ordonné à ses ingénieurs de désactiver le service Starlink près de la Crimée l’année dernière afin de saboter une attaque ukrainienne prévue contre la flotte russe de la mer Noire. “Starlink n’était pas censé être impliqué dans des guerres. Il est là pour que les gens puissent regarder Netflix, se détendre, se connecter à l’école et faire de bonnes choses pacifiques, pas des frappes de drones”, aurait déclaré Musk. »

Vous voyez, quelque chose de vraiment révolutionnaire, de fracassant (ce qu’écrit Musk). La réaction de Medvedev est assez classique, pas trop provocatrice...  Mais enfin, Medvedev c’est Medvedev, – un Russe, quoi ! Et cette attitude de Musk, pour les gens de Mister Z, c’est pire qu’une attaque par surprise de Poutine. D’où cette indignation épouvantable d’un des hommes-lige de comédien du Grand Studio de Kiev..

« Le PDG de SpaceX, Elon Musk, a “commis” et “facilité le mal” en refusant de permettre une attaque de drone ukrainien sur la Crimée l’année dernière, a affirmé Mikhaïl Podoliak, un haut collaborateur du président Vladimir Zelensky. Musk affirme qu’aider Kiev à mener une frappe aurait rendu son entreprise “complice d’un acte de guerre majeur”.

» “Parfois, une erreur est bien plus qu'une simple erreur”, a écrit Podoliak jeudi sur la plateforme Musk's X (anciennement Twitter).

» “En empêchant les drones ukrainiens de détruire une partie de la flotte militaire russe via l'interférence de Starlink, Elon Musk a permis à cette flotte de tirer des missiles Kalibr sur des villes ukrainiennes”, a-t-il poursuivi.

» “En conséquence, des civils et des enfants sont tués. C’est le prix d’un cocktail d’ignorance et d’ego démesuré... »

On rajoute quelques précisions, reprises par Eric Zuesse citant un autre journal, et observant que « Joe Biden voulait monter jusqu’à la Troisième Guerre mondiale, mais Elon Musk a dit non ». Gardez bien en mémoire la formulation, qui forme le titre de l’article de Zuesse, et ainsi semblant donner un rôle remarquable et extraordinaire au milliardaire-X (et l’on sait l’importance du titre dans l’évolution de l’influence sur les lecteurs, et Zuesse ne l’ignore pas non plus.)

« Dans l'extrait publié par le Washington Post jeudi, Isaacson écrit qu'en septembre de l'année dernière, "l'armée ukrainienne tentait une attaque furtive contre la flotte navale russe basée à Sébastopol en Crimée en envoyant six petits sous-marins drones bourrés d'explosifs, et elle utilisait Starlink pour les guider jusqu'à la cible".

» Musk avait “parlé à l'ambassadeur russe aux États-Unis... (qui) lui avait explicitement dit qu'une attaque ukrainienne contre la Crimée entraînerait une riposte nucléaire”, écrit Isaacson. »

Comment transformer un milliardaire en militant

Le titre de l’article de Zuesse est intéressant, comme je l’ai précisé, parce qu’il donne une impression assez différente de ce que nous dit le texte. Zuesse expose une situation où il voit un Musk plutôt pris dans une mauvaise affaire avec cette demande de mettre ‘StarX’ à la disposition des Ukrainiens au-dessus de Sébastopol. Certes, il réagit vigoureusement, mais ce n’est pas précisément un homme maître du temps qui dit “Non” au président des États-Unis et interdit l’attaque contre la base navale de Sébastopol.

On notera aussi que Musk lui-même ne réagit pas contre des interprétations proches de celle de Zuesse, mais pour lui en faire le plus vif reproche, comme ce Podoliak. Musk ne montre aucune véhémence mais il ne dément absolument pas l’idée qu’il est intervenu pour empêcher une attaque. Peut-être que cela ne lui déplaît pas, après tout, d’être considéré comme un ‘milliardaire militant’ totalement en contradiction avec la bienpensance des élites du Camp du Bien. D’ailleurs, il est bon ami de Carlson, outre de le soutenir au nom de la liberté de parole ; comme Carlson, il s’affiche beaucoup plus contre les conformismes, c’est-à-dire aussi bien contre les caciques républicains antiTrump que contre les démocrates. Ces deux-là, Musk et Carlson, pourraient bien nous lancer finalement une affaire commune, de communication, d’influence, d’un type tout à fait nouveau ; Robert Kennedy les rejoindra.. ;

Le père de Musk a déclaré qu’il craignait que son fils se fasse assassiner. Musk ne se promène jamais sans ses gardes du corps et parle ouvertement de cette “insécurité illégale”, où l’on craint ouvertement de se faire descendre par la CIA ou le FBI. De ce point de vue-là qui est celui de la réputation, de l’image, les USA et le système de l’américanisme ne dissimulent plus rien de leur extraordinaire état de délabrement. En conséquence, des personnages qui, en d’autres circonstances, seraient restés sur la réserve, peuvent se laisser entraîner dans des affirmations d’engagement politique, – et là aussi, je parle de notre “milliardaire-militant”.

Avec Musk, c’est un vrai tournant dans la mesure où il tend de plus en à rejoindre une tendance vraiment très déstabilisatrice pour le Système. Il rompt violemment, quoiqu’avec un sourire aimable, la “tradition” qui veut qu’un milliardaire des High Tech soit nécessairement un bon petit soldat progressiste, wokeniste, sociétal. On ne l’attendait pas là et il n’est pas temps de lui tresser des lauriers ; juste temps de remarquer, encore une fois, une fois de plus, que les choses vont toujours très-très-vite, et toujours dans un genre surprenant, là où on ne les attend pas.

Ce n’est pas là faire un héros de Musk, ce qui est un problème secondaire pour mon propos. C’est poursuivre notre tâche de suivre à la trace, toujours plus essoufflé, les foucades et les embardées de cette époque.

Extension du domaine de la guerre nucléaire

Et puis il y a autre chose, qui est également dans le titre du texte de Zuesse. Lui cite la “Troisième Guerre mondiale” ; même si Musk ne le fait pas dans le rapport de son comportement publié par Isaacson, on est évidemment conduit à y penser. Tout est présent dans l’épisode, comme une voie tout à fait concevable de lancer une attaque qui serait nécessairement ressentie comme une très grave extension de la guerre, et qui conduirait très vite à la riposte dont parle l’ambassadeur russe.

Et tout cela est passé sans coup férir. On ne s’est pas exclamé, pas nécessairement l’un ou l’autre d’ailleurs, mais bien à propos de cette circonstance où nous sommes passés très proche d’un engrenage dont l’issue sur l’emploi du nucléaire est non seulement envisageable, mais certainement proche d’être probable. Une attaque contre Sébastopol, dans le cadre d’une appréciation symbolique, c’est un super-Pearl Harbor antirusse. Dans ce cas, le très-prudent Poutine se transformerait avec toute la brutalité d’une telle attaque, en garant de l’existence de la Russie. Considérant un tel enchaînement, il serait avisé de comprendre que nous n’avons pas du tout l’avantage, et que cela vaut bien autant sinon encore plus pour les Etats-Unis. (L’ambassadeur russe le précise à Musk : la riposte russe serait nucléaire et elle frapperait également, et même particulièrement les États-Unis.)

Or, devant toutes ces données, ces faits et rien d’autre, sans chercher à poser un jugement moral (qui est responsable de quoi ?) mais en tenant compte simplement de ce qui aurait pu se passer, dans une occurrence où aucun des facteurs de détonation n’est supprimé, – eh bien, sur le sujet du risque nucléaire rien qu’un silence indifférent ! Il faut donc en conclure que nous sommes arrivés à un point où nous ne craignons plus la guerre nucléaire, où nous ne la tenons plus comme une indescriptible calamité, où c’est truc comme un autre, infiniment moins grave que la barbarie russe écrasant la vertu ukrainienne. On sent bien cette glissade folle depuis le début d’‘Ukrisis’, où l’on converse dans les salons de l’emploi du nucléaire tactique, – facilement contrôlable n’est-ce pas ?

A toutes ces interrogations d’un autre temps sur la fin nucléaire des temps, nous préférons nos narrative et nos simulacres, nos gémissements incroyablement puant d’hypocrisie sur les souffrances où nous avons une part considérable, sinon exclusive, de responsabilité. Les folles du transformisme, bien plus inquiètes de la vertu zélenskiste que du champignon nucléaire, parlent de “nationaliser” ‘StarX’ et Musk lui-même ; aux États-Unis, créateur du capitalisme et paradis des grandes fortunes capitalistiques et individuelles, – bonne chance, les amis !  Nous vivons dans notre océan d’opium, dans les vapeurs de la vertu et de la satisfaction de soi, comme sous la dépendance d’un univers infini d’addiction générale à nos propres addictions idéologiques. Notre pensée somnole dans un océan de larmes odorantes de contrition.

Nous sommes dans la gigantesque fumerie de nos simulacres, qu’on ne vienne donc pas nous déranger. Le dernier qui s’endort ferme la porte.