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369831 décembre 2015 – Pour moi qui n’ai pas l’habitude de sacrifier à cette tradition des vœux et des bonnes résolutions, voire des prédictions pour une année nouvelle, 2016 fait exception. Cette attitude qui déroge tient à des motifs personnels et à des motifs métahistoriques, et ces deux sortes de motifs se rencontrant et se mêlant intimement. Je ne vois pas de circonstance, – cette intimité du personnel et du métahistorique, – qui rencontre plus ma raison d’être et ma façon d’être, ce sentiment que l’être n’est lui-même que lorsque le plus intime de lui-même rencontre les grands courants collectifs du monde inspirés et suscités par des forces supérieures. Cela satisfait autant cette “âme poétique” qui trouve dans la beauté et l’intuition les traces indubitable de la transcendance, que l’esprit générateur d’une pensée que je voudrais cohérente et qui, elle aussi mais par d’autres voies, conclut à la vitale nécessité et à l’incontestable présence de la transcendance.
Voici donc 2016 que je salue, pour la force symbolique rassemblée par les concordances du symbolisme des dates (des “anniversaires” comme l’on dit platement) qui y sont présentes. 2016, c’est le dixième anniversaire de ma découverte de Verdun. (De “notre“ découverte de Verdun puisque nous fûmes plusieurs et que je ne peux nous oublier, tous comme nous fûmes : chaque fois que je dis “je” à propos de Verdun, il ne faut pas oublier que je dis “nous” également puisque cette aventure s’est faite pour moi, également, au nom d’une amitié commune transcendée par une ferveur commune.) 2016, c’est bien entendu, – j’allais dire “également” et je devrais dit “surtout”, alors je ne dis rien que l’adverbe de l’évidence, – le centième anniversaire de la bataille de Verdun. Qui pourrait s’étonner que je mette les deux ensemble pour faire de 2016, comme une basse continue de mon travail et de mes réflexions, le réceptacle d’une profonde méditation et d’une nostalgie infinie, qui susciteront ce qu’il reste de meilleur en moi. J’aime profondément, j’aime infiniment, qu’à la fureur du texte que j’écrivis hier succèdent, comme je l’écrivais justement à la fin de ce texte, l’harmonie, l’apaisement, l’équilibre et l’ordre de celui que j’écris ici et maintenant, comme si “ici-et-maintenant” n’avaient plus la moindre importance ni la moindre existence, comme si ce texte d’“ici-et-maintenant” était écrit pour dépasser décisivement la circonstance d’“ici-et-maintenant”. Ce texte du jour n’a rien à voir avec les impératifs du présent du jour, il suggère qu’il se trouve hors du Temps pour faire mieux saisir ce que certaines choses d’apparence temporelle recèle d’absolument, d’infiniment intemporel jusqu’à laisser deviner l’éternité.
C’est en 2006 qu’eut lieu ma et notre première visite à Verdun. Elle fut suivie de beaucoup d’autres, et d’un livre, Les Âmes de Verdun, dont vous voyez en permanence la couverture en page d’accueil, qui n’eut aucun succès selon les normes en cours comme il sied aux ouvrages qui refusent les règles conformistes et les ukases de leur temps lorsque ce temps est cette époque misérable et indigne au-delà de tout ce que nous aurions pu imaginer avant qu’elle ne survint. Je pense que c’est un très beau livre, dans tous les sens du mot “beauté”, – celui de la pensée qu’il inspire, de l’âme collective qu’il dévoile, de l’esthétique superbe dont il est habillé. Cette aventure, survenue sur le tard pour la plupart des aventuriers, reste dans mon âme et dans ma pensée comme un présent sublime que la transcendance nous a offert à nous tous, les aventuriers de Verdun, et pour l’un d’entre nous ce que je crois pouvoir me permettre de présenter comme le dernier et peut-être plus beau présent que lui aura fait la vie avant qu’il ne la quitte pour d’autres horizons. Verdun, c’est un paysage terrestre orné d’une beauté achevée qui en fait un monde hors de notre monde, parcouru, chargé, magnifié comme par un chant de gloire venu d’ailleurs, de la présence de ces milliers, de ces centaines de milliers d’âmes de ces jeunes gens morts de Verdun, qui nous chuchotent qu’ils ne sont pas morts en vain et que la permanence de leur présence signifie au visiteur qui sait la déceler que la mort n’est en rien la tragédie nihiliste qu’en font nombre de nos tristes et piètres contemporains. Je ne sais si notre époque de l’imposture mérite Verdun-aujourd’hui, si précieusement conservé et haussé à sa vraie mesure par la beauté du site, – et dire cela c’est dire que je suis fixé à cet égard. Verdun-aujourd’hui ne mérite rien de cette époque, mais plutôt, symboliquement, ce sublime quatrain de Péguy écrit mystérieusement et énigmatiquement composé (en 1913), comme une prémonition du salut du poète qui perdrait lui-même la vie dans la bataille et “divine surprise” de la Marne de septembre 1914, à la gloire de toutes ces jeunes âmes mortes et ressuscitées :
« Mère, voici vos fils qui se sont tant battus,
» Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
» Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
» Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée. »
Je dois à Verdun un choc général qui a généré un courant nouveau et plus haut de mes réflexions, basé sur un bouleversement complet de ma conception de l’histoire, en y découvrant l’élan vers l’Histoire, ou histoire devenue métahistoire, au point où dans ma nomenclature intime, je n’hésite pas à parler de l’“intuition de Verdun” qui est de la catégorie des plus hautes intuitions. Aujourd’hui, confrontant la beauté et la sublimité de Verdun et sa puissante influence sur l’âme poétique d’une part, le goût pour le travail de la métaphysique qui s’est emparé de moi d’autre part, je suis devenu adepte de cette conception qu’expose si bien Gustave Thibon (**) observant qu’il était venu à la métaphysique par la beauté de la poésie. Alors, il m’a semblé bienvenu de poursuivre la publication d’un travail déjà présent dans un texte récent du Journal dde.crisis, sur la “nostalgie infinie”, et qui, finalement, annonçait ce que je propose aujourd’hui, c’est-à-dire la suite-et-fin de ce passage de La Grâce de l’Histoire/Tome II sur cette “nostalgie infinie” comme messagère de l’éternité, avec le souvenir magnifié et transcendé de Verdun... Ainsi écrivai-je le 1er décembre, sur quoi s'enchaîne la suite ci-dessous :
« ...Je termine l’extrait à l’endroit où j'en suis de ma nième relecture pour garder un texte soumis à autant d’attention et d’intérêt de ma part ; je termine tout de même en laissant les trois premières lignes d’un nouveau paragraphe indiquant que la deuxième référence manifestant cette conception de ma nostalgie, après l’“Algérie-perdue”, est ce que j’ai coutume de nommer l’intuition de Verdun”. Que le lecteur ait également à l’esprit que la “nième relecture” n’empêche nullement qu’il y pourrait bien sûr y avoir une “nième + 1” relecture avec de nouvelles corrections, et peut-être bien une “nième + 2”, et ainsi va la vie... »
____________________
« ... De façon je crois très significative pour l’importance que j’accorde aux événements liés à ces souvenirs, je donne une place d’intensité égale, pour ce qu’il doit à la nostalgie également fixée dans le temps courant en échappant à son flux, et par conséquent libérée du Temps, à l’épisode de ce que je nommerais pour la sublimité de la chose “l’intuition de Verdun”. Il en a déjà été beaucoup question, – de Verdun, dans tous les cas, – dans le Premier Tome de La Grâce. Le Mystère et la beauté de “l’intuition de Verdun” sont que ce souvenir prend la même consistance d’éternité que celui de ma jeunesse. On voit bien, pour tout dire et le dire simplement, que “le temps ne fait rien à l’affaire”... Hors cela, on comprend tous les aspects favorisant la manufacture d’un souvenir qui prend cette dimension d’éternité telle que je la ressens : la bataille de Verdun, la place de cet événement dans l’histoire et la place que je lui assigne dans ma conception de l’Histoire, l’interprétation que j’en offre, l’origine de cette démarche qui est un contact physique avec la nature et la nature devenue commémoration de Verdun, dans le silence et la solitude d’une nature grave et très belle, et alors ce que disait Daniel-Rops de Rodin revient à l’esprit (« Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice... » ) ; car la “matière rétive” est, dans ce cas, la nature originelle de la bataille accomplie, furieusement torturée, anéantie par le déchaînement, du Verdun de l’année 1916 ; puis, depuis ces Temps Terribles et jusqu’à nous, mais comme nous invitant à dépasser le Temps, la nature de Verdun apaisée, renée, sublimée par elle-même et développant comme un asile pour les “volontés créatrices”, où je me suis ressenti parfaitement, où j’ai trouvé mon aire, et de ma “volonté créatrice” transformant la “matière rétive” et faisant d’un monde physique une métaphysique sans lui ôter ses caractères fondamentaux, sublimant la matière, l’élevant, la faisant antimatière en la faisant métaphysique. (Où l’on voit que, comme suggéré plus haut, rien n’est dit sur la matière, et que la Matière qui est le Mal dans notre époque terrible jusqu’à en être son Tout, si elle est toute cette époque terrible, n’est pas toute la matière. Il faudra bien y revenir, – je l’espère, pour le Tome III de La Grâce, – et se plonger dans l’épreuve incroyable de la définition de la matière, et comment ce que je nomme “Matière” avec ue majuscule n’est pas toute la matière.)
» Verdun est un havre, une épopée fixée et apaisée dans les doublures du Temps, qui s’est posée et repose dans la douceur de l’âme poétique. C’est une matière unique, qui n’est absolument plus rétive en rien, qui est l’accommodement même du monde et qui se fond dans l’univers, une matière absolument désincarnée et ainsi sortie de sa fonction même de matière, – autrement dit, lorsque la matière n’est plus Matière ... Ainsi, le souvenir de Verdun avec celui de l’Algérie pour former une structure convaincante, le souvenir dont la nostalgie ravive en moi la permanence de sa nécessité, sinon de sa bouleversante signification, le souvenir constitue la clef du Temps et la forme du passé lorsque l’un et l’autre s’unissent pour former la perspective infinie dont je parle. La nostalgie ne m’invite plus à me retourner, elle m’imprègne de cette vérité que tous ces attributs ne concourent qu’à une chose, qui est de saisir l’inévitabilité de l’éternité. Il s’agit de cette passerelle unique qui s’ouvre à l’âme poétique, et l’émotion qu’est la nostalgie, qui serre le cœur parce qu’elle est chargée de cette révélation que l’éternité se trouve être l’essence même de la révélation.
» Ces deux souvenirs porteurs d’éternité, révélateurs de la véritable essence du passé lorsque le passé se débarrasse de la prison du Temps, ne sont dans mon âme poétique, interprétés par mon esprit, ni des limites, ni des nécessités, ni des exceptions. En un sens, tous les souvenirs et le passé dans son entièreté renvoient nécessairement à ces caractères qui sont ceux qui enfantent l’intuition de l’éternité. Disant cela, nous ne faisons que nous débarrasser des encombrements de l’existence humaine, des scories des émotions, de la fragmentation extrême de la mémoire immédiate comme du nivellement des actes et des choses qu’impose le temps vécu à son rythme, qui nous enferme et nous impose son présent qui s’enfuit aussitôt qu’on le croit saisi, absolument insaisissable... Nous transformons notre passé séquentiel, fragmentaire, émotionnel, nivelé, en une intuition de l’éternité, et notre nostalgie qui est le véhicule initial producteur de l’énergie nécessaire à cette transmutation de la perception, à cette sacralisation de la perception, nous conduit également sur la voie de ce qui devient l’Histoire providentielle en devenant elle-même, notre nostalgie, cette “nostalgie infinie”. Il ne s’agit de rien de moins que du véhicule qui va réussir l’assimilation des événements courants qu’il importe d’interpréter à une lumière nouvelle, du passé sacralisé par la nostalgie, enfin de l’éternité dont l’intuition nimbe l’ensemble. Cet ensemble ayant été peu à peu constitué et mis en place, ayant écarté le Temps, ayant deviné les traces de l’éternité, la conscience se développe alors puis avec une puissance inouïe d’un événement extraordinaire, soudainement réalisé, comme une de ces évidences qui n’attend qu’une circonstance fortuite révélatrice d’un fondement du monde pour enfin se révéler dans toute sa sublime splendeur ; cet événement extraordinaire, c’est l’absence du Mal. Effectivement, le souvenir d’une vie où l’on eut à subir si souvent les attentes affreuses de la proximité du Mal, lorsqu’il est transmuté par la nostalgie-infinie comme j’ai tenté de le montrer, lorsqu’il laisse voir l’intuition sacrée de l’éternité, rend compte enfin de cet événement extraordinaire de la disparition du Mal, donc de l’absence du Mal dans ce souvenir...
» Ainsi en vins-je à conclure à ce point, avant d’aborder des espaces nouveaux ainsi dégagés pour combler d’une fécondité renouvelée mon âme poétique, que l’absence du Mal, qui est d’abord retrait du Mal à cause des étapes intermédiaires de l’initiation de l’intellect nimbé de l’intuition haute, est la garante et la gardienne à la fois, et la marque enfin de l’éternité. Il s’agit de la garantie paradoxale, non de la durée mais de la non-nécessité de la durée, cela correspondant à la disparition du Temps et de la durée dans l’éternité. Dans cette vision, la perception que transmet la nostalgie-infinie de ce qu’est l’éternité entraîne l’intuition que l’éternité s’est débarrassée de ce qui est désigné comme la Matière dans ce récit, que l’éternité ne peut être l’éternité que si “ce qui est désigné comme la Matière dans ce récit” n’a plus aucune existence ; cette intuition est logique dans la mesure évidente où “ce qui est désigné comme la Matière dans ce récit” est absolument liée au Temps et à la durée.
» Cette absence de nécessité de la durée correspondant, en termes accordés au rythme et aux caractères de notre humanité, à la disparition du Temps lui-même, constitue effectivement une sorte de certitude de l’absence du Mal par disparition. L’absence du Temps caractérisant l’éternité fixe comme condition sine qua non l’absence de la Matière (“ce qui est désigné comme la Matière dans ce récit”), et l’absence de la Matière fixe absolument l’absence du Mal, – en fait la destruction du Mal en ceci que l’absence de la Matière entraîne celle du Mal, par destruction du Mal. (Cela dit dans sa complexité apparente et sa simplicité fondamentale, nous parlons de “destruction du Mal” plutôt que d’“absence du Mal”, parce que le Mal se conçoit par rapport à l’Histoire encore déterminée par le Temps que nous vivons, et que le Mal existe donc, et qu’on ne peut ainsi parler pour caractériser sa non-présence dans l’éternité de son absence mais pour notre compte à nous humains, de “sa destruction”.) Puisque le Mal c’est la Matière (“ce qui est désigné comme la Matière dans ce récit”) il n’y a plus de Mal, puisqu’il y a absence de Matière dans la composition et dans le paysage de l’éternité. Voilà établies à la fois la référence fondamentale et la définition nécessaire de l’Histoire providentielle, c’est-à-dire quand l’Histoire et la Providence ne font plus qu’un. »
Note
(*) Le lecteur curieux des péripéties et des réflexions de cette aventure humaine, intellectuelle et spirituelle, trouvera sur ce site, en interrogeant le moteur de recherche avec le mot “Verdun”, toutes les références possibles sur les détails des circonstances, des méditations, des réflexions sur cet événement. Bien entendu, outre Les Âmes de Verdun, La Grâce de l’Histoire fait une place considérable à Verdun.
(**) On peut voir et entendre Thibon notamment dans le très beau documentaire Il était une foi, diffusé en 2013 par la chaîne Histoire, et rediffusé en ce moment (plusieurs diffusions) sur la même chaîne.
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