Virtualisme BAO vs réalité russe

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Virtualisme BAO vs réalité russe

Après la réunion d’Istamboul, des “Amis de la Syrie”, le sentiment général au niveau européen, notamment sous l’influence de la France qui poursuit son attitude maximaliste, est que le plan Annan peut être manipulé de façon à exercer une pression décisive sur le régime Assad. Le corollaire obligé de cette étrange conviction est que les Russes ne cessent d’évoluer vers cette position européenne et s’éloignent de plus en plus du régime Assad, déçus par ce qui serait l'incapacité de ce régime à rétablir définitivement l’ordre en Syrie. L’idée générale est, plus que jamais, que le sort du régime Assad est scellé, notamment et essentiellement par le biais de l’évolution russe, avec cette thèse du rapprochement russe des positions BAO. (L’illusion, ou plutôt le phantasme, est si fort à cet égard que, vendredi encore, deux jours avant la réunion d’Istanboul, la position officieuse des diplomaties européennes étaient que les Russes participeraient finalement à cette réunion, concrétisant d’une façon claire ce rapprochement. On a pu observer que les Russes n’étaient pas à Istanboul, mais non, cela ne dérange pas en rien la poursuite de la narrative.)

Il se confirme, toujours de ces mêmes sources européennes que nous avons consultées, que des unités des forces spéciales russes se trouvent en Syrie, notamment à Tartus comme nous l’avions signalé, mais aussi en de nombreux autres points du pays. Progressant dans la connaissance de la chose, on observe que le rôle de ces unités ne se borne pas à une position statique mais à une participation active aux opérations, en soutien et souvent en position d’encadrement et d’entraînement des forces syriennes dans l’action antiterroriste. Les mêmes milieux européens, toujours se référant à la même logique étrange, – ou faut-il dire plus que jamais “accros” à cette même logique ? – estiment que cette présence est en train de permettre aux Russes de se rendre compte que “l’armée syrienne n’est pas bonne et qu’ils ont misé sur le mauvais cheval”. Cela sous-entend une fois de plus, par conséquent, qu’ils rejoindront rapidement – dans quelques semaines, tout au plus, le temps de boucler leur rupture avec Assad, – le camp des vainqueurs, et des vainqueurs vertueux, savoir “les Amis de la Syrie” représentant la légalité internationale… On en est même, dans ces milieux, à préparer la force internationale (notamment sa composition avec un dosage minutieux des nationalités : sera-ce un général norvégien qui la dirigera ?) qu’on déploiera en Syrie, lorsque Assad aura ignominieusement chuté et qu’il s’agira d’aménager la transition en donnant le pouvoir à l’organisation qui a été désignée comme représentative du peuple syrien ; et sans doute des forces spéciales russes, déjà sur place pour cette mission dont elles ne se doutent pas encore, participeront-elles à cette force internationale des “Amis de la Syrie” …

Cette étrange narrative du bloc BAO semble ne rencontrer aucun obstacle qui puisse la décourager, malgré tout ce que la réalité russe met sous ses pas. En même temps que se développaient les supputations ci-dessus, un communiqué du ministère des affaires étrangères russe condamnait sèchement la réunion d’Istanboul et les décisions qui y ont été prises. (Voir notamment Xinhua, le 3 avril 2012. On peut aussi lire les déclarations du porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, le 29 mars 2012, sur ce que les Russes pensent de l’étrange affirmation des “Amis de la Syrie” s’arrogeant le monopole de la représentation de la légalité internationale, et par conséquent leur complet contrôle de la mission Annan.)

PressTV.com a diffusé le même 3 avril 2012 une rapide interview du commentateur politique Vyacheslav Matuzov, qui expose bien la position de la Russie concernant cette réunion d’Istanboul. Il faut bien entendu comparer cette position avec l’interprétation que les milieux européens et du bloc BAO donnent de la position russe.

Press TV: «Why is Russia so opposed to the joint Arab and Western countries’ plans in Syria?»

Matuzov: «First of all, Russia took a very clear stance towards the meeting in Istanbul. It is counterproductive from the Russian point of view and the Russian Foreign Minister absolutely declared that it is against the mission of Kofi Annan that Russia supported – fully – Annan, uncompromised. So when this meeting in Istanbul occurred, the results were awful because the meeting acknowledged all opposition forces as a sole representative of Syrian people. In this phrase, it excluded absolutely official authorities that Kofi Annan was organizing dialogue with them. The second thing that was bothering Russia is the open door for arms supply for the Syrian opposition that was not acceptable from our point of view. And the third thing is the deadline for Kofi Annan’s mission, for the [timing of his mission].

»I think that there are two points from the Western side. They are approving, formally, Kofi Annan’s mission; but on the ground, they are opposing it and are putting a deadline for Kofi Annan’s mission. That means that after some time, they will declare it [illegitimate].

»I think that Russia is absolutely right, the Russian Foreign Minister rejects any deadlines for Kofi Annan’s mission because the situation is very complicated in Syria, and Kofi Annan has asserted that this mission should continue to find the ways out from very [complicated positions] that he should take. So in many things, Kofi Annan needs support and Russia is ready to give this support to Kofi Annan.

Press TV: «When you say the question of arming the opposition, NATO's chief has said that the alliance is opposed to providing arms to the Syrian opposition and warned that it would fuel a proliferation of weapons in the region. If the situation is so dire, why do you think that some countries like Saudi Arabia, Qatar and some Western countries are seeking to arm the Syrian opposition?

Matuzov: «Not only arms but a great [amount] of money, and all these things are together with economical, financial and military support.

»I think that [there is] one scenario we will face right now because behind all these efforts is one single point. It is the position of the United States of America – contradictory position of the United States reflects through the positions of Turkey, through the position of the NATO organization, Rasmussen, and through the position of Saudi Arabia and Qatar because if we combine all these positions in one place, we will find that is the real American position.

»It is multi-faced. It is not aiming at achieving some results in the political process. It takes a course for overthrowing the Syrian regime and overthrowing the Syrian president. It is unacceptable from the international law positions. It is unacceptable from the Russian stance, from the Russian point of view. I think that Sergei Lavrov is absolutely clear when he rejects all these points.»

La situation est extrêmement bizarre dans cette façon dont le bloc BAO, les milieux européens particulièrement pour notre cas, interprètent d’une façon obstinée la position russe, et cette position telle qu’elle est pourtant exprimée dans un sens clairement et irréfutablement contraire. Il y a là une sorte de négationnisme, – le mot est d’une considérable actualité, – et un “négationnisme en temps réel” si l'on veut de la réalité diplomatique en cours, qui doit être scrupuleusement séparée de toute aspect propagandiste. Ce que nous décrivons plus haut est un sentiment général existant dans les bureaucraties concernées, sentiment basé sur une “perception” constituant un reflet radicalement déformé de la position russe. Cette “perception” est inconsciemment forcée, exposée sans possibilité d'être discutée, constituant une construction virtualiste que rien ne semble devoir entamer. Elle va de pair avec diverses hypothèses sur des “plans” derrière le plan Annan ou des “pièges” tendus aux Syriens par le plan Annan, lui aussi (Annan) annexé par cette interprétation virtualiste qui considère qu’il va de soi que la mission Annan constitue nécessairement un outil des conceptions générales du seul bloc BAO. Là aussi, il s’agit d’une affirmation ex abrupto qui constitue un déni de la réalité. (Notre appréciation sur ce qu’il reste du virtualisme aujourd’hui est toute entière concentré dans l’attitude des directions politiques américanistes-occidentalistes [voir le 21 décembre 2010] ; d’où la propension de ces directions à aussi bien soutenir l’organisation d’un montage du système de la communication pour donner une représentation adéquate pour elles de la situation en Syrie, et leur acceptation empressée et sincère de son montage comme représentation irréfutable de la réalité.)

Les Russes se confirment comme parfaitement informés et attentifs à cette schizophrénie du bloc BAO, et, par conséquent, au fait que la ”politique” qui en découle ne peut être décrite par la raison ; cette schizophrénie étant alors le résultat d’une attitude maniaque de la psychologie, écartant la réalité au profit de la narrative, malgré toutes les manifestations de cette réalité (précisément dans le cas de la position russe, pour ce que nous avons vu ci-dessus). La description que fait Matuzov de la “position américaine” qui n’est même plus définie comme une tromperie, ou une manœuvre, mais simplement comme une addition de contradictions qui semblent perçues comme ne se contredisant pas entre elles, est significative de cette prise de conscience. («It is the position of the United States of America – contradictory position of the United States reflects through the positions of Turkey, through the position of the NATO organization, Rasmussen, and through the position of Saudi Arabia and Qatar because if we combine all these positions in one place, we will find that is the real American position.») L’inquiétude palpable des Russes est, bien entendu, que cette situation de la position du bloc BAO, qui refuse toute réalité n’actant pas la justesse de sa position et son succès final avec l’appui des Russes, et la “politique” qui en découle ne peuvent être décrites autrement que hors de tout contrôle et donc sans guère de place laissée aux arguments de la raison. On comprend que les effets d’une telle dynamique sont imprévisibles et peuvent être dévastateurs.

 

Mis en ligne le 4 avril 2012 à 06H25

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