USA-OTAN-Turquie : le S-400 comme hypercrise

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USA-OTAN-Turquie : le S-400 comme hypercrise

L’extraordinaire comportement des États-Unis officiels de l’administration Trump, leurs extraordinaires exigences aussi bien financières que formelles, leur extraordinaire mépris pour les “laquais” ou “esclaves” (Erdogan dixit) qui constituent l’amical surnom des amis et alliés, leur extraordinaire désintérêt pour toute forme d’approche diplomatique et de légalité internationale, et par conséquent leur extraordinaire brutalité de l’action unilatérale vis-à-vis des autres sont les causes du principal sinon de l’essentiel exclusif de l’aspect catastrophique que prend “la crise des S-400” entre les USA et la Turquie. Il serait difficile en temps normal de croire que des crises d’une telle intensité puissent être activées sur le seul sujet d’une vente d’armes, – mais nous sommes dans des temps anormaux, comme on ne cesse de le constater et de la répéter.

Il est maintenant de plus en plus probable que nous atteignons un stade où les liens fondamentaux entre les USA et la Turquie sont mis en cause, ainsi que la cohésion de l’OTAN avec la possibilité d’une crise, comme dirait Houellebecq, pouvant conduire à des effets catastrophiques, notamment pour la vertueuse alliance atlantique, – comme un départ de la Turquie, hypothèse parmi d’autres. La réponse en tête-à-tête et off-mic de certains analystes de bonne stature à cette hypothèses est : « Les Américains s’en foutent » (du départ éventuel, hypothèse extrême, de la Turquie).

Cela n’est pas faux, puisqu’aujourd’hui les USA se “foutent” de tout ce qui n’est pas eux, et le reste doit être dans le rang et se taire sinon pour acquiescer à tout, mais cela n’empêche pas qu’il s’agirait d’une vérité-de-situation catastrophique. Le Titanic a coulé très-très-vite en restant persuadé jusqu’à la dernière bulle, nous le savons de source sûre et hors FakeNews, qu’il était effectivement insubmersible.

(La même chose existerait potentiellement avec l’Inde qui achète aussi des S-400. Mais l’Inde est plus puissante que la Turquie, elle ne fait pas partie de l’OTAN, elle n’achète pas et n’a surtout aucune intention d’acheter des F-35 qui ont un rôle important dans le chantage, elle a des liens très puissants avec la Russie pour les fournitures d’armement. « La question de l’achat des S-400 n’est l’objet d’aucune discussion », a dit au début du mois un responsable indien parlant explicitement pour Modi : cela signifie que les Indiens refusent de parle aux petits-messagers de l’américanisme d’un marché qui ne concerne pas les USA et dont ils ont encore répété cette semaine qu’il est “conclu-point-final”.)

On sait également que cette affaire des S-400 pour la Turquie s’entremêle avec une autre quincaillerie, les F-35 que les Turcs ont commandés aux USA et que les USA ne livreront pas si les Turcs déploient effectivement le S-400. Il s’agit désormais d’un ultimatum du Pentagone, après approbation tacite du Congrès, – ce qui signale combien la chose quitte le champ de la communication et de sa narrative pour atteindre le stade d’une vérité-de-situation.

ZeroHedge.com résumait hier la situation :

« Le Pentagone est sur le point de fermer la porte à la Turquie concernant le transfert litigieux des avions de combat furtifs Lockheed F-35 achetés précédemment par Ankara, un sujet débattu cette semaine lors des audiences du Congrès. Le département de la Défense (DoD) a maintenant lancé un ultimatum et un avertissement sévères à la Turquie : ne vous attendez pas à recevoir des F-35 si le système de défense anti-aérienne de la Russie est acheté.

» Le porte-parole du Pentagone, Charles Summers, a déclaré vendredi matin qu'il y aurait “de graves conséquences” si la Turquie achète le S-400 russe, après que le général américain Curtis Scaparrotti, commandant américain des forces alliées en Europe (SACEUR), ait recommandé au Congrès cette semaine que la livraison des F-35 de Lockheed Martin soit finalement annulée [dans le cas de l’achat des S-400], notant que le S-400 constitue “un problème pour tous nos avions, mais plus précisément pour le F-35”. »

L’argument principalement avancé est opérationnel, d’ordre technique, sinon électronique, et concerne le possible transfert de données entre le S-400 et le F-35 ; l’argument évolue dans un monde où le F-35 est de très loin le meilleur avion de combat du monde, avec une avance inimaginable sur n’importe quoi, fonctionnant admirablement et dans des temps de finale olympique ; cela permet de comprendre l’angoisse...

Selon les termes d’un commentateur indépendant, il y a la crainte de l’USAF que « la Russie ait accès [aux capacités électroniques et de furtivité] de l’avion du fait de l’interopérabilité à établir entre les deux systèmes, permettant à ce pays de détecter et d’exploiter ses vulnérabilités. La Russie pourrait ainsi déterminer comment le S-400 pourrait intercepter et détruire un F-35. » Un autre expert, le général de l’USAF Deptula qui dirigea l’offensive aérienne US de la première guerre du Golfe, craint que« l’intégration des S-400 dans le système de défense antiaérienne turc donnera un avantage technologique à la Russie. Cela peut entraîner un transfert de technologie et dévoiler certaines caractéristiques du F-35 aux opérateurs de S-400. [...] Après avoir remis leurs radars, rampes de lancement et missiles sol-air à Ankara, les Russes apprendront aux militaires turcs à exploiter ces systèmes et assureront leur maintenance. Ils pourraient en profiter pour examiner de près les F-35... »

Le cas turc, lorsqu’il est dégagé de la narrative-JSF qui accompagne le F-35, est exploité pour l’application d’une politique générale qui est beaucoup mieux identifiable dans le cas indien, qui est le principe de guerre économique traduit dans le domaine de l’armement par l’embargo que les USA veulent établir contre toute exportation des armes russes, au nom de tous les pays voulant acheter des armes russes (même la Chine a été avertie). En effet, l’opposition US à l’achat de S-400 par la Turquie, est susceptible d’aboutir en plus de l’annulation de la vente des F-35 à des sanctions spécifiques selon la loi d’action contre les adversaires des USA via les sanctions, ou CAATSA (Countering America's Adversaries Through Sanctions Act), – ce qui placerait la Turquie (et l’Inde par conséquent) parmi les “adversaires” des USA. CAATSA est instrumentée dans ce cas pour poursuivre le but spécifique de tenter d’étouffer l’industrie d’armement russe, jugée comme extrêmement concurrentielle et très dangereuse pour l’industrie US, en détruisant par tous les moyens possibles les exportations russes.

• Du côté turc, tout se passe comme si l’on était dans un autre monde, dans tous les cas si l’on écoute Erdogan qui ne cesse de répéter, puisque la question revient en boucle, que cette affaire du S-400 est close, avec la premières livraisons en juillet, et les premiers déploiements en octobre. Après avoir donné la précision intéressante que la Turquie n’était pas “l’esclave” des Etats-Unis, Erdogan en est même à parler du S-500 pour la Turquie...

« Le Président turc Recep Tayyip Erdogan a admis la possibilité d'un achat de systèmes de missiles sol-air russes S-500, soulignant que la transaction sur les S-400 était terminée et qu'il n'était pas question de faire marche arrière. “La question des S-400 est déjà close et nous n'y renoncerons en aucun cas. Nous en avons convenu avec la Russie. On pourra peut-être procéder à une production en commun. Il est possible qu'après les S-400, nous examinions les possibilités concernant les S-500”, a indiqué M. Erdogan dans une interview accordée à la chaîne télévisée 24TV.

» “Tout a été négocié et approuvé depuis les conditions de crédit jusqu'à la production en commun, les signatures sont apposées, on ne peut pas faire marche arrière. Le contraire serait immoral […]. J'espère que nous allons obtenir le premier lot de S-400 en juillet”, a ajouté le chef de l’État turc. »

On connaît les variations de position d’Erdogan et ses capacités de changement de cap, mais dans le cas des S-400 l’affaire paraît vraiment trop avancée : les Turcs ont commencé à payer les premières traites du contrat de $2,5 milliards signé fin 2017 et les premiers échanges de techniciens turcs et russes concernant le maniement des S-400 ont déjà commencé, avec la livraison des premières batteries attendues en juillet, dans quatre mois, avec une mise en service opérationnelle très rapide, en octobre.

Cette chronologie n’intéresse pas la partie américaniste qui suit son propre agenda prospectif, dans son propre monde, et dans lequel il est prévu que les Turcs céderont parce qu’il est simplement évident qu’il est inconcevable que l’on ne cède pas aux USA. Cela fait qu’à moins d’un effondrement complet d’Erdogan, – certains jugeant qu’il risquerait une perte catastrophique d’autorité et de prestige pouvant mettre en danger sa position de président s’il renonçait aujourd’hui aux S-400, ce qu’il sait fort bien, – les livraisons de S-400 vont éclater dans la capacité de vision des USA, et surtout dans la perception de Trump, à la manière et avec l’effet d’une explosion nucléaire. C’est alors que la crise atteindra son paroxysme, avec un Trump au comble de la fureur, capable de prendre des décisions catastrophique, où l’équilibre de l’OTAN pourrait être mis en cause.

(La crise serait d’autant plus terrible, type 100 mégatonnes, que, passant d’un extrême à l’autre, et peut-être pas sans raison, Washington-Pentagone estimeraient que l’incartade turque ouvrirait la voie à d’autres incartades multiples si la riposte US n’est pas terrible, faisant s’écrouler toute la stratégie de destruction des exportations russes d’armement.)

Il est possible que les Turcs envisagent cela, et que les Russes s’en doutent de leur côté. Il n’est donc pas impossible qu’il faille accorder quelque crédit aux rumeurs accompagnant l’actuel imbroglio, qui ont même atteint certaines oreilles européennes ; lesquelles rumeurs disent que la Turquie dans le cas de l’explosion nucléaire signalée plus haut, pourrait d’une part remettre sur la table de toute urgence la question de son adhésion à l’Organisation de Coopération de Shanghai, et d’autre part entreprendre (ou poursuivre ?) des pourparlers importants avec la Russie pour envisager un programme de rééquipement progressif complet de l’armée turque avec des armements russes. Informés de ces rumeurs, les services US hausseraient sans douter les épaules, car l’on reste préoccupé à Washington seulement de l'essentiel, savoir les mensurations et des divers atours de fête dont on pourrait parer le JSF/F-35 pour son exposition au musée.

 

Mis en ligne le 9 mars 2019 à 12H12

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