Une sale affaire

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Une sale affaire


13 juin 2002 — L'affaire de la bombe ''sale'' n'est pas de tout repos. Son annonce avec la révélation de l'arrestation d'un terroriste présumé a esquissé l'effet d'une re-mobilisation, d'une réaffirmation de la lutte contre la terreur, etc. Des précisions immédiates ont montré que l'affaire était plus nuancée et plus complexe, que le terroriste présumé était plus soupçonné d'intentions que d'actes,. Certains services et sources alliées doutent ouvertement de la réalité du ''complot''.

Réapparaît également le problème de savoir si l'alerte n'est pas non plus, et par-dessus tout, — et une fois de plus, — une manoeuvre de l'administration GW Bush pour détourner l'attention à Washington. Nous sommes au moment où s'ouvrent les auditions, au Congrès, sur les insuffisances et fautes diverses de l'exécutif avant l'attaque du 11 septembre.

On doit également juger remarquable le fait que cette hypothèse est pratiquement confirmée par des analyses qui se veulent objectives, qui développent sérieusement l'hypothèse sans avoir rien à y redire de fondamental, comme dans cet article du 11 juin du New York Times, portant le titre « A Message in an Arrest ». ''Message'' exposé clairement, disant aux diverses instances lancées dans des enquêtes sur le comportement de l'administration, voire aux simples critiques, qu'il est temps à nouveau de rentrer dans le rang.

« For the president, the drama of the dirty-bomb threat and its successful interdiction also sent a clear warning to those Congressional leaders who are preparing to focus a long political season on how the nation's intelligence-gathering system broke down during Mr. Bush's watch. Today's disclosure may well galvanize Americans once again behind the president and the notion that the country remains at war, even as Congress moves ahead with its review of American intelligence failures that allowed Osama bin Laden and members of his Qaeda terrorist network to attack the country on Sept. 11.

» It seems all but certain that the inevitable collision of war and politics will be at the forefront in Washington for some time. Since Congress began its inquiry into intelligence lapses, the White House has pursued a more muscular strategy to demonstrate it is moving aggressively to deal with the continuing threats. »

Ce n'est pas la première fois qu'une telle manoeuvre de l'administration GW est affichée si publiquement (nous en avions parlé le 24 mai dernier). Manoeuvre ? Dans l'article du New York Times a publié son article, il semblait déjà que des nuances étaient nécessaires pour définir et mesurer la gravité du complot. Depuis, cette incertitude s'est renforcée, avec en plus un recul de l'administration par rapport à ce qu'Ashcroft, le secrétaire à la justice, avait affirmé initialement à Moscou.

L'interprétation d'une manoeuvre n'a cessé de s'étoffer ces deux derniers jours, d'autant qu'on sait par ailleurs que José Padilla, la personne arrêtée, l'a été le 8 mai dernier (la révélation de cette arrestation est évidemment liée aux événements washingtoniens). Ces diverses polémiques et contestations s'étendent et touchent désormais tous les aspects de la vie washingtonienne, y compris à l'intérieur de l'administration, entre la Maison-Blanche et Tom Ridge.

« The White House yesterday angrily denied suggestions that the administration revealed the capture of a ''dirty bomb'' suspect to deflect criticism of federal law enforcement. ''These very few people who want to make such outlandish political accusations represent the most cynical among the most partisan, and they're not to be taken seriously,'' White House spokesman Ari Fleischer said.

» But Homeland Security Director Tom Ridge said the announcement on Monday by Attorney General John Ashcroft was crucial in reassuring the public that the FBI and CIA are cooperating in the war against terrorism. ''It was very important for America to witness the collaboration between or among the respective agencies that ultimately resulted in the apprehension of this individual,'' Mr. Ridge told reporters. He added that such a ''public revelation gives the country greater confidence.''

» His comments seemed to support accusations by some lawmakers that the announcement, made one month after the arrest of Abdullah al Muhajir, was designed to deflect criticism of federal law enforcement. For example, Senate Majority Leader Tom Daschle said Tuesday that he wants to know why Mr. Ashcroft disclosed the May 8 arrest on Monday. ''The information was available earlier — why was it not announced?'' he asked. ''There may have been a rush to bring it before the news media'' in the wake of last week's criticism of U.S. intelligence agencies, Mr. Daschle said. »

Quoiqu'il en soit, le plus remarquable dans ce nouvel épisode est, à nouveau, la façon dont on envisage sans le moindre esprit critique que l'administration GW veuille faire taire des critiques et éventuellement veuille agir à visage découvert pour discréditer une procédure légale et normale, et ô combien justifiée, d'enquête à propos de ses agissements ; coeur léger, également, pour rapporter que cette administration ne fait rien d'autre, dans l'esprit dans tous les cas, qu'une entrave au processus législatif légal, par un pur moyen d'intimidation relevant d'une assimilation abusive. Quel rapport y a-t-il entre les intentions et l'éventuelle culpabilité de Padilla et la faute et/ou la culpabilité de l'administration GW avant l'attaque du 11 septembre, sinon un rapport intellectuellement contraint et manipulé qui, au nom de la guerre, ordonne de faire taire toutes les procédures d'enquête et de justice sur le pouvoir exécutif ? La question se pose, concernant cette attitude intellectuelle courante, voire unanime à Washington, sacrifiant tout jugement et toute critique à un pouvoir exécutif qu'on place ainsi au-dessus des lois et à son action prétendument anti-terroriste, dans tous ses aspects.

Ce changement d'attitude intellectuelle se retrouve par exemple dans ces déclarations de James Schlesinger, ancien secrétaire à la défense (administration Nixon), tenu comme un des ''vieux sages'' proche du parti républicain, conservateur intransigeant mais qui avait habitué à la mesure et à un solide sens républicain des valeurs du système. Aujourd'hui, Schlesinger adopte complètement la logique du système en place, lorsqu'il donne son appréciation sur l'affaire de la ''bombe sale''. Parlant d'abord sans beaucoup de considération pour le militant islamique en général, lorsqu'il juge « not realistic » la perspective d'un Padilla pouvant fabriquer lui-même une telle arme simplement sur l'hypothèse qu'il ne peut être que plus sot que le standard-US (« He would have to be a lot smarter than the average Al Qaeda member to build a radiological weapon »), Schlesinger poursuit en approuvant complètement l'effort de l'administration d'utiliser cette affaire comme elle l'a fait, notamment dans le but de faire taire ceux qui pourraient la critiquer (« Even so, Mr. Schlesinger considered the administration's effort to billboard its success to be proper. Not only would it disarm critics, he noted, but, more important, it could deter future bombers» »). Schlesinger termine par une appréciation qui le fait effectivement entrer dans le camp des ''bushistes'', du moins pour ce qui est de la philosophie de la justice et du gouvernement : « The intent was there, the threat was there. Thus, it was a criminal act. If we feel we can constrain stalkers, then I think we can also constrain people who want to build radiological bombs. »

La logique désormais prônée par Schlesinger, qui s'apparenterait probablement à une morale d'un nouvel âge, est bien que l'intention vaut l'action, qu'une mauvaise pensée vaut culpabilité, qu'il vaut mieux présumer coupable que le contraire et punir avant que l'acte soit même esquissé, avant même qu'il soit envisagé. De même GW juge-t-il toute critique contre son administration comme un acte évoluant entre la trahison, l'incivisme et l'aide aux terroristes. De même, Rumsfeld propose-t-il à ses alliés tétanisés de l'OTAN la nouvelle stratégie américaine de la frappe préventive contre n'importe quel ''ennemi'' (pays) extérieur, sans avertissement ni rien du tout, sans doute sur simple avis du FBI et de la CIA (on connaît leur légendaire efficacité). L'Amérique de GW frappe désormais le coupable avant que celui-ci ait commis, conçu, envisagé l'acte. Elle nous évite le fastidieux processus menant de la normalité à la culpabilité.