Une époque qui swingue

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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 1977

Une époque qui swingue

10 octobre 2016 – Comme dit la chanson US, faite pour rassurer les esprits romantiques : « What a difference a day made ». Hier, Trump était balayé, désintégré, oublié avec ses cendres dispersées dans le cimetière des illusions grossières, populistes et antidémocratiques ; des appels pompeux et fleuris aux couleurs de la démocratie citoyenne et féministe réclamant son retrait, style “la patrie est en danger et la globalisation de même”, résonnaient aux quatre coins de la Grande (et vertueuse) République. Aujourd’hui, il est plus que jamais présent, au point que, dans un Journal radiodiffusé ou l’autre de la presse-Système made in Belgium (une des plus excitantes-sexy de nos salons européens, postmodernes et socio-sociétologiques), j’ai même entendu des paroles un peu amères et pas mal lugubres, pour nous communiquer que les Américains étaient bien indécis, de plus en plus après le deuxième débat, donc qu’Hillary n’est plus l’irrésistible professionnelle qui balaie devant sa porte les restes peu ragoûtants de l’amateur qui avait cru dans ses Deplorables.

De la Suisse où il se paye des vacances en trouvant ce pays merveilleux, notre excellent ami Scott Adams, qui faisait hier quelques remarques iconoclastes, donne ses premières impressions alpines aujourd’hui, et elles sont complètement catégoriques : « Je viens juste de voir le débat en rediffusion. Trump l’a emporté haut la main. Cela ne fut nullement un résultat serré. Et gardez à l’esprit que j’avais jugé Clinton victorieuse dans le premier débat... » (« I just watched the debate on replay. Trump won bigly. This one wasn’t close. And keep in mind that I called Clinton the winner of the first debate... »)

Ainsi Trump est-il ressuscité, et plus que jamais candidat redoutable d’Hillary Clinton, peut-être bien sur le point si ce n’est déjà fait de retrouver un rythme en plein ascendance. (“Clinton était sur la défensive”, note Adams, et Trump à l’inverse, ce qui était complètement inattendu après la tragédie-bouffe des enregistrements salaces et grossier du second. Mais on précisera que Trump, désormais sans aucun frein dans ses attaques, avait fait précéder le débat d’une conférence de presse avec quatre dames qui ont été violées par Bill Clinton, et soumises ensuite à des pressions d’Hillary pour qu’elles se taisent. Les quatre dames ont assisté au débat, pas loin de Bill et de sa fille Chelsea. Ambiance et tête du Bill, avec regard à mesure...).

Ce qui m’intéresse dans cette séquence, on s’en douterait, c’est la rapidité du processus de renversement complet, et cela, j’en ai la plus complète conviction, sans la moindre manœuvre, sans aucune manipulation ni rien de semblable, comme un mouvement naturel de ressac mais à une vitesse stupéfiante. Ce rythme démentiel est en soi un événement et ne dépend de rien d’autre que de lui-même, animé qu’il est par le système de la communication. En effet, peu importe pour comprendre le phénomène à propos de quoi il s’exerce car c'est bien lui qui exerce, en tant qu’événement autonome, des effets extraordinairement contrastés sur les matières et les objets qui sembleraient au contraire en être la cause ; l’on comprend alors aisément combien l’épisode de l’enregistrement de Trump apparaît maintenant, 48 heures ou 72 heures plus tard, comme complètement dérisoire alors qu’il y a 24-48 heures on le voyait comme l’extraordinaire surprise qui était en train de bouleverser la campagne. (« Todd nous le dit : “The presidential race is over !“ »)

L’événement mène le monde, et non le contraire : ce n’est plus le monde et ses entreprises qui créent l’événement... Le rythme de la communication est bien l’événement en soi, qui se déroule selon sa propre autonomie ; du côté des sapiens, essentiellement du côté du Système car on manipule beaucoup de ce côté, l’on parvient tant bien que mal à y glisser des objets, des manigances, des manœuvres, des actes politiques, en espérant qu’ils seront grandis par la rapidité et la puissance de l’événement de la communication, alors qu’au contraire, très souvent c’est l’inverse qui se produit ; selon ses caprices dont je ne serais pas étonné qu’ils répondissent à une logique supérieure, souvent la dynamique de communication leur imprime un mouvement inverse à celui qui est attendu, et la valorisation qu'on attendait du rythme de l'événement devient aussitôt la dévalorisation complète par le même. La rapidité qui semble un avantage a aussi l’étrange pouvoir de mettre à nu les choses, et l’enregistrement de Trump qui paraissait monstrueux hier, paraît dérisoire aujourd’hui.  

Ce qui ne m’intéresse pas moins dans le même ordre du constat de cet épisode ultra-rapide, c’est l’imprévisibilité de l’opinion du public et de son évolution par rapport aux références habituelles des manieurs de foules et autres spécialistes de la manipulation d’opinion. Il y a ce qui apparaît de plus en plus comme l’indifférence du public aux “mots d’ordre” (« Mot d’ordre : Trump est fini ! »), son autonomie de choix, sa liberté de décision par rapport aux révélations, scandales, canards qu’on lui sert bien assaisonnés. Littéralement, le public semble s’en fout, et tant que Trump embarrasse le Système il est bon à prendre pour être balancé dans la poire du Système. Plus que jamais, je ne peux que juger excellent le jugement de Michael Moore : « Et ils considèrent Donald Trump comme leur cocktail Molotov humain qu’ils vont amener dans l’isoloir le 8 novembre pour le balancer au cœur de notre système politique. » 

Tout cela, cette vitesse, ce rythme, cette manipulation de l’opinion, c’est le Système qui l’a voulu, et il s’est équipé pour ça. Aujourd’hui, tout cela lui revient dans la figure, with a vengeance, toute sa puissance et toutes ses manigances retournées contre lui-même. Il n’est pas de spectacle plus sain et plus revigorant, quelque chose qui en vérité vous élève l’esprit.

Le spectacle du monde est effectivement catastrophique grâce à l’action du Système mais il semble que le monde supporte de moins en moins ce traitement et qu’il retourne cette catastrophe contre le Système... En vérité, The-Donald aurait-il pu imaginer un instant qu’il pût devenir, sinon la cause n’exagérons pas, dans tous les cas l’occasion de telles réflexions et l’outil obligeant de tels prolongements inattendus qui suscitent de telles réflexions ?

Je conclurais donc, en citoyen plein de bonnes intentions, que les voies du Seigneur non seulement sont impénétrables, qu’elles sont également stupéfiantes, quasiment surréalistes, totalement imprévisibles et fonctionnant parfois comme des propositions dérisoires qui parviennent à se transmuter en un phénomène qui pour un peu bouleverserait le monde, et peut-être même le bouleversera purement et simplement. Bref, Il (le Seigneur) doit être doté de quelque pouvoir surnaturel, ou disons quelque chose dans le genre.