The Shining City Upon A Hill

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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The Shining City Upon A Hill

23 janvier 2018 – On ne cesse de relever ce trait du caractère extraordinaire de la conduite et de l’orientation de la politique extérieure des USA. La tirade shakespearienne lui va parfaitement si, au contraire de Macbeth, elle est complétée par une assurance extraordinaire, je dirais quasi-inconsciente sinon totalement inconsciente, que malgré cette description cette politique est juste et bonne... Voici : remplacez “life” par “politique étrangère US“, par “comportement US”, par “USA today” en général, et vous avez une image de la situation générale de la dynamique politique que produisent les USA aujourd’hui.

« Life’s but a walking shadow ; a poor player,

» That struts and frets his hour upon the stage,

» And then is heard no more : it is a tale

» Told by an idiot, full of sound and fury,

» Signifying nothing. » (*)

Le constat devient une habitude, notamment et surtout chez les Russes. Il fallait voir et entendre Lavrov, dimanche dernier, parlant de la politique US en Syrie (soutien massif en armements avancés aux Kurdes, formation d’une “armée” de 30 000 hommes dans une sorte d’enclave kurdo-machinchouette et Daesh recyclé à la frontière syrienne de la Turquie) ; cette politique ayant brutalement déclenché une aggravation de la situation en Syrie avec l’invasion turque (opération “Olive Branch”), Lavrov remarque de sa voix de basse : « Ou bien ils ne comprennent rien à la situation, ou bien ils ont une politique de provocation délibérée. ».

Il y a aussi les remarques que nous avons faites très récemment, jusqu’à hier, concernant l’attitude du personnel et des milieux de la direction US reconnaissant la position difficile du pouvoir US, les déroutes que subit sa politique extérieure, et songeant par exemple à suggérer aux Russes que ce serait bien s’il y avait une amélioration des rapports entre les USA et la Russie ; mais cela, rendu possible par des concessions que les Russes sont invités à faire !

« Ce qui est nouveau, bien entendu, c’est le désir perceptible dans certains milieux de la direction US d’aller vers un rapprochement avec la Russie, et qu’il faut pour cela engager des négociations pour déterminer les concessions que doivent faire les Russes ! Cette précision peut et même doit pour le moins nous couper le souffle, même si l’on est habitué aux fantaisies de la psychologie de l’américanisme, de l’inculpabilité et de l’indéfectibilité. Les USA ne cessent donc de perdre du terrain, ils le reconnaissent eux-mêmes, leur puissance s’affaiblit, et c’est dans cette posture affaiblie qu’ils se jugent fondés d’exiger des concessions russes pour rétablir de bonnes relations dont eux-mêmes (les américanistes) ont semble-t-il besoin. [...]

» ...“Nous reculons partout, par conséquent nous exigeons de notre adversaire qui nous fait reculer qu’il fasse des concessions pour que nous rétablissions avec lui les bonnes relations dont nous avons besoin” ? “Ce genre de psychologie”, comme dit l’excellent Lavrov, n’a pas fini de nous étonner... »

Certes, on constate “ce genre de psychologie” aussi complètement folle, absurde, et l’on s’interroge sur son moteur, sur sa cause profonde. Je crois qu’en donner une explication disons pathologique ne suffit pas, même si l’on trouve là la description mécanique, organique de la chose. Il y a bien plus, il y a une cause fondamentale qui est d’origine symbolique et pleine d’un mysticisme mercantile, qui renvoie aux racines mêmes de la croyance religieuse qui sous-tend toute l’organisation de la vision du monde que l’Amérique porte en elle-même, – et “vision du monde” signifiant “vision d’elle-même”. Les références ne manquent pas, la principale et celle qui résume tout étant la fameuse citation reprise régulièrement par l’un ou l’autre à la moindre occasion, et notamment par Reagan aussi bien lors du discours de son élection en 1980 que dans son discours d’adieu de 1989, sur “The Shining City Upon A Hill”, la citation du sermon de 1630 du Puritain John Winthrop, lui-même reprenant la parabole de Jésus dans “le Sermon sur la Montagne” (Matthieu, 5-14). Ainsi tout est-il dit et l’Amérique, ses corrompus, ses milliardaires, ses gangsters, ses terroristes, ses nettoyeurs ethniques, ses massacreurs universels, ses destructeurs du monde, ses escrocs et ses grigous, ses pirates et ses menteurs, ses bonimenteurs et ses usuriers, ainsi l’Amérique est-elle définitivement fixée dans sa psychologie comme étant une création de Dieu, sans autre instruction et autre incitation que ce lien divin.

Je fais donc effectivement l’hypothèse que cette affirmation, qui met l’Amérique hors de l’histoire des autres et de sa contingence, et contre l’Histoire d’une façon générale, s’est inscrite dans la psychologie de l’américanisme comme poutre-maîtresse, comme un cow-boy marque ses bêtes au fer-rouge. Cela fut d’autant plus réalisable que les USA se sont construits sur la communication (voir “l’empire de la communication”), qui est la chose humaine la plus aisément manipulable, orientable, influenceuse, etc., et l’on imagine dans quel sens, qui a fabriqué et façonné cette psychologie si particulière, totalement américanisée.

L’entreprise fut d’autant plus aisée que la position géostratégique de l’Amérique la favorise tant, que sa puissance, son unification imposée par le fer et par le feu (merci à l’icône-Lincoln, vénérée par nos grands esprits progressistes, étrangement fascinés par tous les traquenards intellectuels), sa fermeture complète sur elle-même qui a suivi (“protectionnisme apaisé” et fermé à double tour à partir de 1865, comme le décrivait Lucien Romier en 1925) complétèrent parfaitement le dispositif jusqu’au simulacre de la Deuxième Guerre mondiale mettant en place et en bon ordre la pérennité à venir de l’“américanisation” du monde... En quoi l’on peut dire que l’Amérique n’est jamais sortie d’elle-même, cadenassée comme une prison sans barreaux nécessaires.

(Aux temps où les consignes avaient encore tout leur poids terroriste, on ne pouvait s’en sortir que par l’évasion... Par la dissidence de l’esprit d’une part, au risque du pire, de la marginalisation darwinienne, de la prison, de la liquidation ; par l’émigration d’autre part, comme les écrivains US et les quelques Noirs qui en avaient la possibilité, principalement en se réfugiant à Paris, les uns et les autres tout au long de la première partie du XXème siècle.)

Peut-on encore s’étonner, dans ce contexte, qu’ils aient le comportement qu’on leur voit ? L’Amérique est cette “cité brillante sur la colline”, c’est la maison de Dieu sur terre. Partout sur terre, les américanistes sont chez eux sans en faire partie le moins du monde, puisque l’Amérique est chose divine et que le monde ne peut que s’américaniser, c’est-à-dire devenir Amérique et ne plus être de ce monde. Ils ne souffrent aucune entrave dans leur action, ce qui justifie pleinement leur indifférence méprisante pour la légalité internationale et le rangement ordonné des relations internationales.

L’exceptionnalisme américaniste n’est pas une idéologie, c’est une théologie. Leur singulière demande de concessions aux Russes pour rétablir de bonnes relations, alors qu’ils sont partout sur la défensive et qu’ils vont de déroute en déroute, s’explique évidemment par ceci que la moindre entrave imposée aux États-Unis n’est rien de moins qu’un défi lancé à Dieu et une insulte sacrilège qui Lui est faite. Il en faudra pas mal, de concessions de la part des Russes, comme par exemple de ne plus exister, pour que Dieu leur pardonne leur attitude insensée et permette la reprise de telles relations. (Reprise pour reprise, voici celle du mot de l’ancien chef du renseignement soviétique Chebarchine : « L’Ouest [l’Amérique] veut seulement une chose de la Russie : que la Russie n’existe plus»)

La mise en évidence de l’évidente nature divine de l’Amérique est une des curiosités de cette époque qui se veut “époque sans-Dieu”, surtout aux USA où l’on est en train de tenter de créer presto-subito l’entité transhumaine et posthumaine qui nous débarrassera définitivement de Lui, – à moins que l’on comprenne justement qu’il s’agit de produire une divinité éternelle (curieux et mystérieux pléonasme) pour sapiens-USA seul, enfin Dieu authentifié Made In USA. Cela explique, très humainement dans ce cas, que cette chose affreuse et abominable qu'est  l’effondrement en cours des USA, une diablerie du Diable faite à lui-même, soit en train de rendre fou Washington D.C., – “D.C.-la-folle”. Sentant le sol se dérober sous leurs pieds grossiers sans avoir encore la sureté de l’entrée au Royaume des Cieux, ils ne savent plus à quel Dieu se vouer, après tout.

(Au reste, si l’impasse devait se confirmer il leur resterait ceci : si l’Amérique devait jamais mourir, c’est qu’elle en aurait décidé ainsi, avec toute la majesté que lui donne sa nature divine, sans aucun doute parce que l’épouvantable nature humaine décidément ne la mérite pas : « En tant que nation [d’une divine nature], nous devons éternellement survivre, ou mourir [terrestrement] en nous suicidant », – pour paraphraser Lincoln.)

Les Russes doivent s’en convaincre, il ne faut pas espérer une seconde que les USA soient en rien intéressés par une politique accordée à une coopération qui soit la recherche d’une stabilité du monde. Les USA ne sont pas de ce monde, ils ont la tête au-delà de l’Olympe, vers un DisneyCosmos dont nous n’avons pas idée. Ils s’en fichent. Ils ont d’autres infinis à fouetter, passées les frontières du Wild Blue Yonder dont Hollywood a le secret.

 

Note

(*) L’anglais de Shakespeare est somptueux de puissance, de fureur et de mépris, et l’on savoure les mots avant de les dévorer comme l’on fait d’un cuissot de sanglier, – ce qui donne, en français :

« La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur

» Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène

» Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire

» Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,

» Et qui ne signifie rien. »

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