Taper sur Kim ? Avec quoi ?

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Taper sur Kim ? Avec quoi ?

On connaît les différents chapitres des menaces terribles des USA à l’encontre de Kim et de la Corée du Nord. On sait que l’intention ultime n’est pas l’anéantissement par une attaque stratégique nucléaire qui embraserait le monde entier dans la catastrophe totale mais une de ces attaques ponctuelles de haute intensité, visant notamment les diverses installations militaires et nucléaires, centres de commandement, la direction politique, etc. Des sources évidemment bien placées ont déjà annoncé qu’il s’agirait d’une attaque à l’aide de bombardiers stratégiques, précisément des B-2 qui ont été déployés sur l’île de Guam, – par ailleurs, point géographique de référence de l’aboutissement d’essais annoncés des nouveaux ICBM nord-coréens, selon les porte-voix de ce pays, y compris Kim lui-même.

Tout cela a par ailleurs suscité des réactions de plus en plus nombreuses, quoique de façon discrète, de commentateurs et de techniciens de la chose quant aux capacités réelles des USA contre la Corée du Nord. Récemment une voix très-officieuse et secrètement dissidente de la hiérarchie dans Pacific Command se demandait avec quoi le président Trump prétend effectuer ces attaques alors que personne, dans les principales bases US dans le Pacifique, n’est prêt à une attaque de cette importance, et qu’il faudrait « au moins six mois de préparation pour disposer des forces disponibles et utilisables dans des conditions telles qu’elles pourraient lancer de telles attaques et être en même temps prêtes à repousser des contre-attaques nord-coréennes... »

Depuis des précisions nouvelles sont apparues. Elles viennent essentiellement du Général Deptula, qui assura la planification de l’offensive aérienne contre l’Irak en 1991 (première guerre du Golfe) et qui fait partie actuellement du Mitchell Institute. Nommé d'après le Général Billy Mitchell, prophète des forces aériennes stratégiques, cet institut très spécialisé dans la guerre aérienne est l’une des machineries d’influence de l’Air Force Association, le principal lobby de l’USAF. (L'AFA est à la fois une émanation officieuse de l’USAF et une machinerie de communication agissant en-dehors des normes officielles [langue de bois, garde-à-vous, etc.] pour rendre publiques les véritables préoccupations et exigences de l’USAF.) Deptula a donné une interview à Army Times, en faisant quelques commentaires sur les disponibilité réelles des bombardiers dd l’USAF. Lorsqu’on va au cœur des statistiques, on découvre que l’expression “locked and loaded” (“verrouillées et chargées”) de Trump pour décrire l’état des forces aériennes qui pourraient être lancées contre la Corée du Nord paraît singulièrement décalée par rapport à ces chiffres-là... Pour ce qui concerne toute la flotte des bombardiers stratégiques dont dispose l’USAF : sur les 75 B-52 de frappes conventionnelles et nucléaires dont dispose l’USAF, 33 sont réellement prêts à effectuer leur mission de guerre ; pour les 62 B-1 à capacités conventionnelles, on tombe à 25 ; pour les 20 B-2 à capacités conventionnelles et nucléaires, c’est à 8 avions qu'on est réduit, soit 38% de l’effectif, avec cette précision supplémentaire et assez étrange que 51% de l’effectif disponible (les 38%) sont vraiment “disponibles”... Ce qui conduit à penser que l’estimation de Deptula, lorsqu’il s’agit des B-2 par exemple, concerne la disponibilité de deux unités seulement à cause de diverses et innombrables contraintes...  Bref, c’est encore moins que les porte-avions, d’ailleurs en équivalence de prix de départ puisque le B-2 originel coûte de 2,2 à 6 $milliards l’unité selon les estimations. (Aujourd’hui, avec les modernisations en cours affectant et plombant les B-2, deux par deux, on ne vous dit pas, – d’ailleurs, on ne le sait pas, et personne ne le sait vraiment...)

La revue Army Times a publié le 12 août 2017 l’intervention de Deptula, suivie des mises au point officielles de l’USAF (Strategic Command) ; celles-ci sont à la fois rassurantes en conclusion d’une façon générales, du type-“il ne manque pas un bouton de guêtre” (« The bomber fleet is ready »), après avoir fourni divers détails qui ne contredisent pas le sentiment général de Deptula. De quel sentiment général parle-t-on ? « L’U.S. Air Force est aujourd’hui la plus réduite et la moins prête à l’action de toute son histoire... » (« “If anything good comes out of the North Korea crisis,” it should be a wake-up call, he said. “It’s not just the nation’s bomber force,” that is so stretched, Deptula said. “It’s the military writ large. The U.S. Air Force is the smallest and least ready it’s ever been in history – that should get people’s attention.” »)

The Daily Caller du 12 août 2017 rend compte de l’interview de Deptula, des quelques précisions qui suivent et d’autres détails qui confirment que personne n’est prêt (cela pour l’US Navy également) pour une action sérieuse contre la Corée du Nord.

« If President Donald Trump called for action against North Korea right now, not even half of all Air Force bombers would be locked and loaded for combat. Air Force figures indicate that because bomb squadrons are operating on reduced budgets and have deployed for 15 years, less than half of conventional and nuclear B-52s are ready to fly at any time, Air Force Times reports. In total, just 33 B-52s can fly at a moment’s notice, and a similar problem applies to conventional B-1s, of which only 25 out of 62 are available.For B-2s, only seven or eight are available out of 20, and out of the ones available, only 51 percent are ready for mission deployment.

» “On a nominal basis you don’t have more than single digits of B-2s available to do anything,” retired Air Force Lt. Gen. Dave Deptula told Air Force Times. For Deptula, realization of the air power readiness crisis should call attention to the need for more resources. “The U.S. Air Force is the smallest and least ready it’s ever been in history – that should get people’s attention,” Deptula added.

» Still, three bomber fleets are ready to go. Air Force Col. Robert Lepper, head of the combat aircraft division at Air Force Global Strike Command, told Air Force Times that the issue of reduced numbers is not out of the ordinary. “All three of our bomber fleets are capable of meeting their missions – they’ve always dealt with reduced bombers,” Lepper said. “Specifically with the B-2 fleet – we make decisions every day how to best utilize the aircraft … and meet the requirements that are there for us in that given day.”

» As tensions ratchet up between the U.S. and North Korea, Trump emphasized Friday that the military is “locked and loaded,” though he did not say any action was imminent. However, as The New York Times reports, the Pentagon is not in the process of sending any new ships to the Korean Peninsula, despite increasingly heated rhetoric... »

Il nous paraît inapproprié d’éprouver quelque surprise que ce soit à la lecture de ces opinions et détails sur les forces stratégiques aériennes US. C’est le même état des choses pour les forces aériennes tactiques, depuis près de dix ans, aussi bien que pour les forces armées en général. (Pour l’USAF, voir le F&C du 15 mai 2016 qui reprend le sujet d’une façon générale : « L’USAF, ou la dévoration de soi-même... Le cannibale ne s’aperçoit même pas qu’il se dévore lui-même. ») Les forces armées US, utilisées d’une façon intensive depuis la fin de la Guerre Froide, et surtout depuis le 11 septembre 2001, disposent d’un budget d’une prodigieuse importance dont l’essentiel s’envole en gaspillage, en technologisme sans issue, en corruptions diverses, tandis que les nouveaux équipements constituent des catastrophes opérationnelles qui dévorent des budgets pharaoniques, tel le symbole même de cette folie autodestructrice qu’est le JSF/F-35. Entre des menaces de destruction, de nouvelles entreprises guerrières de très basse intensité et semeuses de désordre, – donc jamais sans affronter d’adversaire à sa mesure, – l’état réel des forces armées US ne cesse de se réduire avec un matériel usé et extrêmement vieux (le B-52 date de 1954, le F-15 de 1969, et même l’ultra-moderne B-2 disponible en nombre moindre que les cinq doigts d’une main, de 1998).

La puissance militaire US repose essentiellement, sinon exclusivement sur la communication (presseSystème, Hollywood, etc.). Pour l’essentiel, elle évite tout affrontement direct avec des forces armées à sa mesure (la Russie, par exemple, dont le parc de matériel est quasiment complètement renouvelé dans les 15 dernières années, avec des matériels ultra-modernes qui ne sont pas englués dans le monstrueux technologisme qu’affectionne le Pentagone). Sa puissance repose sur une bureaucratie pléthorique et sur ses lobbies d’influence, ainsi que sur les ventes forcées de matériels dépassés à l’exportation. Cette situation n’est pas officiellement admise mais elle constitue une contrainte sournoise qui explique les positions ambiguës des chefs du Pentagone, soutenant une rhétorique belliciste mais freinant en général des quatre fers lorsqu’une confrontation sérieuse (l’Iran, la Corée du Nord, sans parler de la Russie bien entendu) se profile à l’horizon. Cette situation est une impasse complète dans la mesure où elle ne dépend en rien de la manne budgétaire qui est gaspillée dans les diverses tares qu’on a signalées plus haut, et dont l’augmentation ne ferait que renforcer l’impasse selon le très-fameux “principe de Peter”. Dans ces conditions, effectivement, on confirmera l’impression que la crise de Corée du Nord est bien une “tragédie-bouffe” répondant au Postulat d’Audiard.

 

Mis en ligne le 13 août 2017 à 11H24