Soudain, le Brexit nous met dans tous nos états

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Soudain, le Brexit nous met dans tous nos états

On dira sans doute que le sondage de The Independent du 10 juin 2016 a provoqué un séisme de communication considérable, avec ce titre et son sous-titre qui disent tout en présentant un résultat qui n’a jamais été aussi favorable au Brexit depuis le début de la campagne (et avant la campagne également) : « EU Referendum: Massive swing to Brexit – with just 12 days to go... Exclusive: polling carried out for ‘The Independent’ shows that 55 per cent of UK voters intend to vote for Britain to leave the EU in the 23 June referendum. »

Comme d’habitude, l’on dira que ce n’est qu’un sondage et l’on en trouvera d’autres moins alarmistes mais on dira aussitôt qu’il importe essentiellement, hors des arguments pesants des sondeurs et de leurs jargons, parce qu’il a agi comme un détonateur psychologique. Cet événement de communication a constitué, – qui sait pourquoi, dans un univers privé de rationalité et tout entier plongé dans un subjectivisme qui a ses bons et ses mauvais côtés, – un tournant, disons “dans l’air du temps”, notamment du côté des institutions européennes. Hier, à Bruxelles, la consigne était brusquement et impérativement, dans ces mêmes institutions et à l’intention des fonctionnaires : “Ne rien dire à propos du Brexit, ni pour ni contre, silence complet...” L’interprétation a été aussitôt celle-ci, d’une de nos sources qui sonne comme un constat préoccupant du crédit dont dispose l’UE sur ses divers territoires : “Cela signifie qu’il faut à tout prix éviter toute interférence dans le débat en cours en Angleterre, selon l’idée que tout ce que dit l’UE est interprété dans un sens qui lui est défavorable dans l’opinion publique”.

En quelque sorte, hier, à onze jours du référendum, l’Europe institutionnelle a pris conscience de la gravité du débat en cours en Angleterre, de la possibilité d’un vote positif pour le retrait du Royaume-Uni, des conséquences envisageables, de l’effet d’entraînement de ces conséquences... Brusquement l’affaire du Brexit est devenue une crise-Brexit, et l’on découvre que ce serait une crise majeure pour l’Europe, qui impliquerait peut-être bien plus que le Brexit, et qui aurai lieu, surprenant constat, quel que soit le résultat dudit Brexit. Il est très difficile de penser que la solution recherchée par certains au sein du monde politique britannique (passer outre à un résultat favorable au Brexit par un vote en sens contraire de la Chambre des Communes), outre son aspect très contestable du point de vue, disons démocratique, puisse tenir dans l’atmosphère très lourde, absolument surchauffée de la communication, et qui ne fait que s’alourdir et se surchauffer à blanc.

Du coup, certains bruits commencent à prendre de l’ampleur, voire de la substance, sur ce qui pourrait survenir en cas de Brexit, ou bien autour de la perspective du Brexit. Ces bruits accréditent l’idée que l’événement a effectivement atteint un point de puissance de communication qui le place parmi les grands évènements perturbateurs. Bref, en avant pour une nouvelle crise européenne qui prendra sa place sur l’empilement de crises européennes non résolues depuis un nombre déjà respectables d’années, au moins depuis 2005 et les référendums qu’on sait

• Ainsi dit-on, première rumeur un peu exotique, qu’un résultat positif (retrait de l’Angleterre de l’Europe) amènerait à l’une ou l’autre démission dans la direction européenne. Le nom du président de la Commission européenne, le Luxembourgeois Juncker, est ainsi avancé : il s’estimerait désavoué en même temps qu’il jugerait l’Europe déstabilisée par le vote et démissionnerait pour marquer combien la situation serait devenue inacceptable de son point de vue. L’affaire paraît sérieuse, sinon crédible, selon des sources européennes, – nous dirions également par esprit frondeur et finalement indulgent, selon une réflexion qui aurait lieu, dans le chef de l’intéressé, en-dedans ou en-dehors des heures-bière du président de la Commission.

• En Angleterre même et hors d’Angleterre, les déclarations se multiplient dans le sens d’une conception plus concrète pour expliciter ce que pourrait ou devrait provoquer dans un sens catastrophique le Brexit. ZeroHedge.com rapporte les déclarations à MSNBC de l’économiste suisse Marc Faber qui fait l’éloge de la situation de son pays et suggère qu’un Royaume-Uni sorti de l’UE pourrait s’inspirer du “modèle suisse” (ce qui rejoint un sentiment régnant en Hollande). En un mot, de Faber, cela ferait du Brexit « la meilleure chose qui puisse arriver dans l’histoire de l’Angleterre ». Nigel Farage, le dirigeant d’UKIP, évoque de son côté un scénario maximaliste pour son engagement, dans une interview au Corriere della Sera (reprise par Reuters), selon lequel le 19 juin, Beppe Grillo, le chef du mouvement italien “5 étoiles” (M5S), va être élu maire de Rome et disposera d’une position de force introduisant un ferment antiSystème puissant en Italie ; il ouvrirait ainsi la voie au vote du Brexit, qui devrait être suivi par un retrait du Danemark, selon un phénomène dit “de domino”. Farage croit que l’on entre dans une séquence d’évènements suscitant la désintégration très rapide de l’UE, car c’est bien désormais de plus en plus précisément le but, de plus en plus radicalisé, des divers mouvements nationaux eurosceptiques, qui évoluent donc vers des fonctions antiSystème hyperactives : non seulement un dégagement de leurs pays de l’UE mais une destruction de l’UE.

« The European Union will start disintegrating after Italians pick the anti-establishment 5-Star Movement candidate as mayor of Rome on June 19 and Britons vote to leave the EU four days later, the leader of the UK Independence Party was quoted as saying. UKIP's Nigel Farage told Italy's Corriere della Sera in an interview published on Saturday that British Prime Minister David Cameron should resign even if the ‘Remain’ camp won by a narrow margin in a June 23 referendum on EU membership.

» “We can't lose this referendum ... there will be a Big Bang of British politics: nothing will remain the same,” Farage said. “On June 19 the 5-Star movement elects the mayor of the capital and changes Italy. On June 23 Britain leaves the EU and changes Europe. We will trigger a domino effect. After us, other northern European countries will leave, starting with Denmark,” he said. “The EU is about to collapse, disintegrating in several pieces.” »

• D’une façon générale, une autre piste de réflexion et de commentaire est de savoir comment l’Europe-UE, assiégée par tous ces évènements-en-devenir mais qui ont déjà acquis leur effet de communication devrait accueillir un vote antieuropéen, dans quel sens elle devrait régir. Parmi les grands pays, celui que le jugement conventionnel désigne comme le plus grand de tous, l’Allemagne (tendance Merkel-plutôt que tendance-Schäuble, son impitoyable ministre des finances), plaide pour une approche arrangeante, pout tenter de trouver une solution médiane, quelque chose qui éviterait le traumatisme du départ, éventuellement avec quelques aménagements de plus.

• Le plus intéressant dans un sens, dans ce domaine des confidences uns et des autres, est de donner du crédit à une autre rumeur-de-communication du plus grand intérêt. (Dans notre jargon, “rumeur-de-communication” ce serait une “rumeur” qui serait bien plus qu’une rumeur, qui aurait d’elle-même quelque crédit qui ferait qu’on dût la considérer comme bénéficiant d’un certain sérieux et d’une probabilité acceptable, notamment pour son intérêt et une cohérence souvent paradoxale.) “Le plus intéressant” parce qu’il décrit justement la possibilité d’une réaction radicale de l’UE face à un vote-Brexit et qu’incontestablement l’on a ainsi le signe hypothétique que c’est désormais le radicalisme qui marque les démarches politiques dans cette affaire, la fameuse “montée aux extrêmes” des deux camps. La rumeur-de-communication dit qu’il s’agirait de la position de la France, qui serait extrêmement différente de celle de l’Allemagne type-Merkel vue plus haut, qui serait très dure, sans concession. (En un sens, cela répondrait à la logique de la position assiégée, désespérée de Hollande en France, qui ne voit plus que des contre-attaques radicales, comme un “coup de force” seul capable de renverser cette tendance catastrophique. Il faut voir si Hollande a “les tripes” (soyons polis) de conduire à bien une telle tactique de tout ou rien, assez peu courante dans les psychologies courantes des notaires, où certains iraient jusqu’à distinguer l’envolée de type kamikaze-du-pauvre, sans mesurer les avatars de l’aventure, par froussarde panique plus que par héroïsme sacrificiel.)

Il s’agirait de répondre à un vote-Brexit par une position de rejet immédiat , par une sorte de mise à l’index grandiose et de mise à la porte expéditive (hors de l’UE) sans préavis ni ménagements & aménagements de l’Angleterre. L’occasion serait alors saisie, dans la situation ainsi créée, de proposer des conditions d’ultra-fédéralisme de l’Europe, qui nous ferait franchir un pas décisif (l’absence de l’Angleterre neutralisant alors toute opposition sérieuse à une telle évolution) et nous conduisant à la liquidation complète des États-nation dans une sorte de dictature verrouillée du Système via-l’UE.

Il faut noter que cette tendance a déjà figuré dans des réflexions récentes du Commissaire européen Moscovici (de nationalité française, précisera-t-on pour la chronique mondaine) et de l’institut extrêmement européen Terra Nova. Ces réflexions vont dans le sens de l’abandon de toute formule de type “Europe à la carte”, dont justement l’Angleterre a bénéficié, ce qui entérinerait un éventuel Brexit et entraînerait tout le troupeau européen sur la voix et au rythme de la voie maximaliste émanant de la France transformée en gauleiter du Système-EU selon l’hypothèse ci-dessus. Ainsi, en additionnant les deux “rumeurs-de- communication”, arrive-t-on à une centaine compréhension de la phrase fameuse de notre président-poire, affirmant avec la retenue qui le caractérise « Je suis entré dans l’Histoire ». Certes, et Indeed. (Quoiqu’il nous reste une attitude d’hésitation et de retenue qu’un tel personnage puisse concevoir une manœuvre quasiment de type napoléonien pour parvenir à une soumission complète, des autres et de soi-même, devant le Dieu-EU. Mais bon, puisqu’il nous dit “être entré dans l’Histoire” et que cela peut se faire par une porte dérobée ou par la porte des toilettes...)

Il est intéressant de chercher à comprendre cette réaction telle que nous la suggère la rumeur-de-communication, en ayant à l’esprit la situation française, et la haine très formidablement de plus en plus majoritaire et de toutes les composantes de la “société civile” contre l’UE qui est en train de se répandre en France, dans à peu près tous les milieux et toutes les tendances politiques ; partout, mis à part les directions-Système et leurs Garde Prétorienne mondaine des élites-Système et presse-Système, bien entendu, qui parviennent jusqu’ici à survivre par leur étroitesses d’esprit, leur vision déformée, leurs extraordinaire conformité du jugement, leur emprisonnement de l’esprit et leur asservissement volontaire type La Boëtie-postmoderne transposés des peuples vers les directions. Ces directions-Système sont aujourd’hui dans une impuissance intellectuelle totale de concevoir l’idée de l’État-nation, voir l’idée de nation ; elles ne sont capables de raisonner qu’en “termes collectivistes”, d'un collectivisme basé sur l'éclatement (la dissolution) par l'indivisualisme-Système privé d'identité et de références principielles, disons tout cela au sens marxiste revu-postmodernisé du terme (collectivisme réalisé par l'individualisme-Système), transposé à l’organisation internationale conçu comme un système marxiste-postmoderne protégeant et subsidiant tous les éléments de l’hypercapitalisme globalisée.

En fait, cette attitude, qui semble apparaître à propos du Brexit, représente la stratégie fondamentale de la direction-Système française, qui n’a que cette forme de pensée disponible d’une part, qui n’a que cette stratégie possible d’autre part, notamment à cause de sa très faible popularité et son incapacité de distinguer autre chose que ce que le Système l'autorise à voir. Le paradoxe de cette situation est bien entendu que ce qui lui est imposé par sa très faible popularité est justement ceci qui nourrit la vertigineuse impopularité de cette direction-Système. Quoi qu’il en soit, le Brexit lui fournirait, disent nos rumeurs-de-communication, l’occasion de pousser cette stratégie d’une façon extrêmement audacieuse et impudente, – et imprudente pour eux-mêmes également, mais s’en avise-t-il ? – et cette stratégie sera activée selon ce que nous en comprenons et en déduisons selon notre perception, quel que soit le résultat du Brexit. Par exemple et selon notre vision et notre conception de cette prospective, si les partisans du maintien d’UK dans l’UE l’emportaient, l’offensive sera tout aussi forte pour une hyper-fédéralisation et la fin de toutes les dispositions de l’“Europe à la carte”, donc la fin des “privilèges” britanniques obtenus notamment pour défendre la cause des adversaires du Brexit. Cela constituerait une drôle de tambouille politique...

On se trouve, avec la direction-Système française dans la fameuse logique maximaliste de montée aux extrêmes qui semble si peu convenir à leurs psychologies de notaires, qui est pourtant la seule concevable pour cette direction avec les outils-Système de l’hypercapitalisme marxiste-postmoderne pour tenter de venir à bout d’une population extrêmement rétive, qui se trouve ainsi dans une situation semblable à celle des USA à l’heure de Trump. (Le mot de Muravchik, récemment rappelé  est symbolique à cet égard et plus que jamais d’actualité, remplaçant le “leadership américain” par le “leadership globalisé”, ou leadership-Système effectivement marxiste-hypercapitaliste pour décrire les outils opérationnels qu’il utilise : « Aside perhap from the French, the only people averse to American leadership are the Americans») Pour cette raison, on le comprend, on pourrait penser que le Brexit, qu’il gagne ou qu’il perde, ouvre une nouvelle phrase de confrontation directe entre les populations nationales et les directions-Système.

Ajoutons-y la question des réfugiés, qui joue son rôle dans l’évolution du sentiment populaire sur le Brexit, qui devrait encore s’exacerber, avec des incidents récents en Allemagne à cet égard. Le prolongement dans cette logique est du type d’un affrontement pouvant aller à des situations de quasi-guerre civile. A cet égard, certains rappellent les déclarations faites le 10 mai dernier, lors d’une audition devant une Commission de l’Assemblée nationale, de Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI, anciennement DST et RG)

« Cela d’autant que l’Europe est en grand danger : les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation. Vous rappeliez que je tenais toujours un langage direct ; eh bien, cette confrontation, je pense qu’elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires.

» La tentation des populismes, la fermeture des frontières, l’incapacité de l’Europe à donner une réponse commune, l’incapacité à adopter une législation applicable en tous lieux, nous posent d’énormes problèmes. Et je note, de plus en plus, une tendance au repli sur soi. »

Ces directions-Système, la française en première, joueraient donc leur va-tout, et le Brexit, vainqueur ou non, est une bonne occasion, une mèche idéale pour allumer la poussée finale, qui pourrait, devrait être l’explosion finale. En effet, ce va-tout a toutes les chances de lancer un désordre général proche d’une guerre civile, ce qui est dans la logique des choses pour un système de cette sorte, pour notre Système-chéri. Nous, nous voulons bien considérer les arguments de ceux qui nous disent que le Système est plus fort que jamais et qu’il est train d’établir partout sa loi inflexible ; nous, on veut bien, certes, mais tout de même il serait temps que cette victoire totale et inarrêtable du Système se marque dans les faits par une situation réellement stabilisée de domination totale dudit Système, sur des peuples moutonniers acceptant sans plus rechigner cette loi de fer. Tout de même, il serait temps que ce jugement sans appel soit suivi d’effets et que cesse cette turbulence qui ne cesse de se répandre, de s’aggraver et ainsi de suite. Il serait temps que le Système, qui est le plus fort et qui est invincible, impose sa loi et la fasse respecter. Ou alors, nous ne serions pas loin d’adapter au Système lui-même, et à toutes les terres qu’il domine soi-disant, la fameuse citation de Lincoln de 1838 que nous ne manquons pas une seule occasion de répéter (cette fois avec la substitution dans l’esprit de la citation de “Système” aux “Etats-Unis” et la caractérisation “hommes libres” laissée à vos sarcasmes divers) : « Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que [Système] d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. » ... Qui met sa foi dans l’“éternel survie” du Système peut dormir tranquille, il sera réveillé au moment qu’il faut.

 

Mis en ligne le 12 juin 2016 à 10H14