Scène de récré à l’Élysée

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Scène de récré à l’Élysée

11 novembre 2018 – Tout avait commencé par les propos cavaliers et sabre au clair du président Macron, qui semblerait parfois se prendre fort au sérieux. Voici ce qu’en disait dedefensa.org dans le texte consacré à Castelnau :

« La polémique est rude et, surtout, couvre un vaste territoire parcouru par le plus complet désordre où l'on rencontre tous les sujets... Il est vrai que Régis de Castelnau n’a sans aucun doute pas tort, dans son texte, de juger “sidérant” le propos de Macron plaidant pour une armée européenne à cause de la présence de la Russie “sur nos frontières”. Il aurait pu ajouter pour en rajouter dans la sidération que c’est aussi pour nous “protéger” de quelque chose de menaçant, – outre de la Chine également citée, – venue des USA... “Very insulting”, a tweeté The-Donald au début de son escapade parisienne : mais il semble qu’il parlait plus gros-sous que trahison, impliquant qu’il est “insultant” de vouloir faire une armée européenne quand on participe si peu aux frais de fonctionnement de la superbe OTAN. D'ailleurs, deux ou trois heures plus tard, ou un peu plus qui sait, il serrait Macron dans ses bras et l'instituait “grand ami à la vision très proche” de la sienne. »

On ne s’arrête pas là puisqu’entretemps les deux grands chefs d’État ont discuté en tête-à-tête de très-grande stratégie et que, vraiment, ce n’est pas mon propos. Il faut donc se précipiter sur n’importe quel texte, – mais choisissons RT-USApar amour des FakeNews et pour saluer le titre superbe que je me garderais absolument de traduire : « One-way love: Trump remains frigid to Macron’s caress at Paris visit (VIDEO) ». (RT-français s’en est finalement inspiré sans oser aller jusqu’au bout : « Amour à sens unique ? Trump peu réceptif aux caresses de Macron (VIDEO) ».)

Un coup d’œil sur la vidéo doit vous rassurer absolument : le titre n’est en rien outrancier ou caricatural, il s’agit bien de caresses et de frigidité entre ce qu'on pourrait prendre pour deux amoureux séparés par une vigoureuse scène de ménage. (“Tu m'as trompé !” – “Je t'aime !” – “Moi non plus !”) Mais non, à mon goût et à mon estime, cela n’a pas vraiment de connotation sexuelles adultes et les dames peuvent être rassurées et assurées ; je parlerais plutôt d’une querelle de ces copinages enfantins comme on noue à la récré, qui ne porte certainement pas sur les sentiments ni sur les pulsions extra-atmosphériques mais plutôt sur des différends de récréation, à mon époque c’était des affaires de billes dérobées (certaines en agate, très belles) ou des noyaux d’abricots échangés, quand les choses sérieuses déboulaient et qu'il fallait affirmer sa souveraineté.

Chacun à sa manière est irrésistible : Macron débordant d’affection, de mots sucrés et mielleux, de clins d’yeux, de tapes sur le genou, “hein qu’on est potes, non ?” ; Trump, pseudo-néronien dans sa bouderie extraordinaire qui le ceint comme une toge impériale, Trump buté, rageur, “mauvais camarade, tu m’as pris ma place au premier rang”. Là-dessus, pour couronner le tout, à la cérémonie de l’Arc de Triomphe, tout le monde aligné depuis longtemps, Poutine arrive en retard, la mine détendue et un brin railleuse, serre la main aux uns et aux autres, et il réserve à Trump la salutation “entre potes” du pouce levé comme le président effectivement néronien des États-Unis (et Macron pour l’occasion) a l’habitude de faire ; remarquable par son sourire narquois Poutine, jouant au prolongement de la récré... Je crois que le Russe en est arrivé au point de penser qu’il n’y a plus rien à faire avec ces gens-là, ces “partenaires” comme il les nomme aimablement, qui ne soit dérision, ironie, moquerie bienveillante après tout, et enfin affaires de cour de récré à traiter entre potes un peu collants ou un tantinet bagarreurs .

... Cour de récré ou bien télé-réalité, avec Trump on ne sait jamais pour du sûr, “pour de vrai” comme on dit à la récré. Ces quelques petites scénettes pour célébrer le centenaire d’un événement aussi écrasant que la Grande Guerre, eh bien cela nous en dit bien plus que nombre d’analyses pontifiantes et rageuses, sur la crise terrifiante où nous ne sommes pas encore tout à fait selon certains, où nous sommes jusqu’au cou et jusqu’à nous noyer selon d’autres. Cette incertitude elle-même sur le sérieux ou non de ces choses est une bonne description de la crise, et ces moments d’exception qui sont pourtant nombreux sur la diplomatie réduites à des empoignades enfantines de récré dans l’ère trumpiste, nous disent combien l’événement surréaliste de ce président à la tête des USA, – car c’est bien lui, n’en doutez pas qui demeure l’incontestable star du show transatlantique et mémoriel, – enfante et produit sans cesse le désordre incommensurable où nous sommes plongés, et nous le décrit comme si le monde était une scène d’une séance de théâtre enfantin, une sorte de Fancy Fair globalisante pour le centenaire de la Grande Guerre.

Grâce à lui, grâce à Trump et à son incroyable visage boudeur, et malgré cette bouderie enfantine, la querelle entre les USA et l’Europe, cette querelle de récré, surgit par intervalles plus ou moins réguliers au niveau de la tragédie. « Pour la première fois dans l’histoire, nous avons une administration américaine qui est, pour dire cela d’une façon très modérée, nullement enthousiaste de la perspective d’une Europe forte et unie », dit le président de l’UE, l’autre Donald, le Polonais Tusk, dans un discours marquant le centenaire de l’indépendance de la Pologne.

« Et je parle de faits, et nullement de propagande », précise le Tusk Européo-Polonais, comme pour nous confirmer qu’il y a en général,lorsque Trump n’est pas président, beaucoup de propagande entre les USA et l’Europe. Par conséquent, Trump est aussi un révélateur, et ainsi passe-t-on, dans une parfaite interprétation de la tragédie-bouffe,du bouffe à la tragédie, vice-versa et retour.

Drôle de centenaire... Notre tâche est rude, car il s’agit de débrouiller l’écheveau de la tragédie-bouffe. (Mon Dieu, que ferais-je et que dirais-je si je n’avais cet article-là du Glossaire.dde ?) Jusqu’à quand et jusqu’où peut-on laisser aller leurs querelles de récré sans y voir des conséquences autres que bouffonnes ? A partir de quand et d’où doit-on envisager de prévoir des conséquences sérieuses que le comportement de ces gens installés “au sommet de l’État” nous dissimulent sans qu’ils le sachent ?

Il n’y a pas à dire plus, à cent ans de distance en vérité, et nos morts doivent se sentir honorés

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