Retour sur France-Israël, ou le cause à effet

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Retour sur France-Israël, ou le  cause à effet

28 juillet 2005 — Il nous paraît bien difficile de ne pas enchaîner directement ce texte à propos de la célébration de la nouvelle amitié franco-israélienne (visite de Sharon à Paris) sur celui d’hier, à propos de la brouille USA-Israël, la vraie de vraie (voir le “F&C” sur la question du transfert des armements), — et, par la nature de la logique des choses et des événements, de proposer et de faire un rapport direct de cause à effet.

D’abord, quelques éléments d’information venant d’un réseau interne européen, — avec ce drôle de parallélisme à l’esprit : le ministre israélien de la défense annule son voyage à Washington, le premier ministre Sharon arrive à Paris en pleine glorification de l’amitié franco-israélienne retrouvée. (“Retrouvée”? En 1967, à côté de la décision délibérée et unilatérale de De Gaulle sur le cas israélien, il y a eu l’entrée dans le jeu de l’influence stratégique américaine sur Israël. Quel est le facteur fondamental? On peut aussi bien voir l’abandon de l’alliance d’Israël par la France comme la conséquence de la poussée américaine dans ce sens.)

« Le premier ministre israélien Ariel Sharon [a été] reçu mercredi par Jacques Chirac à Paris, dans un climat de rapprochement qui pourrait annoncer un retour de la France dans la diplomatie du Proche-Orient. Le ton chaleureux affiché de part et d'autres avec l'arrivée mardi soir à Paris de Sharon pour une visite de trois jours — la seconde en France depuis juillet 2001 — n'est pas sans évoquer la “lune de miel” qui caractérisait les relations entre les deux pays avant la guerre israélo-arabe de juin 1967 et l'embargo français sur les ventes d'armes à Israël.

» “Le moins que l'on puisse dire, c'est que les relations étaient très fraîches. C'est bien fini”, confie un proche collaborateur de Sharon qui préfère l'anonymat. “Israël et la France veulent exploiter l'occasion qui leur est donnée d'améliorer les relations bilatérales dans tous les domaines, y compris militaire et stratégique”, ajoute ce haut responsable. Ce même responsable note que “les sujets d'entente n'ont jamais été aussi nombreux”, au point que les Israéliens semblent pour la première fois depuis des décennies, favorables à “un rôle plus significatif de la France dans le règlement du conflit” avec les Palestiniens. Côté français, Chirac a donné le ton dans une interview parue vendredi dans le quotidien israélien Haaretz où il adresse “à son ami” un “message de confiance : la conviction que la paix est possible”. La visite de Sharon est un “événement très important” qui témoigne d'une “relation très forte et dense” entre les deux pays, même s'il y a eu des “hauts et des bas”, souligne-t-on également de source diplomatique française. “La France veut incontestablement revenir au Proche Orient et elle a compris qu'elle ne peut le faire sans passer par Jérusalem”, commente pour sa part un diplomate dans la délégation de Sharon. Un document rédigé par l'ambassadeur d'Israël à Paris Nissim Zvilli et rendu public par la presse israélienne observe que le plan Sharon de retrait de la bande de Gaza, qui doit être mis en application à la mi-août, n'est pas étranger à ce réchauffement. “Le plan est considéré comme une démarche courageuse et significative” par la France, écrit l'ambassadeur en soulignant que “la détermination de Sharon à concrétiser ce projet a conduit la presse française et les instances du pouvoir à cesser leurs critiques acerbes contre le Premier ministre”. »

Notez bien ceci, cette citation : « “Israël et la France veulent exploiter l'occasion qui leur est donnée d'améliorer les relations bilatérales dans tous les domaines, y compris militaire et stratégique”, ajoute ce haut responsable. »… Parlant “militaire et stratégique”, tous les éditorialistes sophistiqués des salons en vogue et des talk shows songent au terrorisme parce que l’esprit cloisonné du temps n’a en général pas plus d’une case disponible en même temps, et cette case réservée à la propagande américaniste. Nous, les mots “militaire et stratégique” nous font songer à autre chose. Notez plusieurs choses:

• C’est bien de “militaire” et de “stratégique” que l’on parle lorsqu’on parle de la querelle USA-Israël sur le transfert des armements vers la Chine, non? Pourquoi pas les mêmes thèmes, les mêmes sujets, lorsqu’un Israélien évoque de meilleures relations France-Israël dans les mêmes domaines?

• Qu’est-ce qui caractérisait la position des relations franco-israéliennes avant 1967, époque à laquelle on serait en train de revenir, paraît-il, toujours selon la même source? La France était le principal fournisseur d’armes d’Israël (ce sont les Mirage, les Mystère et les Vautour israéliens, tous avions français, qui ont remporté la guerre des Six Jours). Cela n’empêchait pas la collaboration anti-terroriste à une époque où personne n’en parlait (notamment sur l’Algérie jusqu’en 1962) mais l’essentiel était bien cette collaboration sur l’armement et la technologie.

• Qu’est-ce qui rapproche notamment Français et Israéliens dans les grandes questions internationales à venir, hors du chaudron moyen-oriental dont on fait, bien à tort, le centre du monde? Par exemple, la recherche de bonnes relations avec la Chine. Les Israéliens sont les principaux fournisseurs des Chinois en systèmes avancés, dans tous les cas du point de vue qualitatif (dans certains domaines bien délimités). Les Français sont les principaux partisans de la levée de l’embargo des armes européennes vers la Chine.

• Réalité, — ou hypothèse que nous faisons pour le proche avenir, car la chose va, à notre sens, vite être concrétisée: Israéliens et Français vont se retrouver dans une même crainte de l’interventionnisme agressif américain dans la disposition souveraine de leurs propres bases technologiques et de leur production avancée dans ce domaine; et une alliance n’est pas impossible et pourrait même devenir impérative pour une défense commune dans ce domaine, contre Washington. Interrogez certains industriels français de l’armement et leurs réponses vous étonneront: les liens entre eux et Israël, si forts jusqu’en 1967, n’ont jamais été complètement rompus, — au cas où…

Pour les Israéliens, aujourd’hui, le maximalisme américain en matière de contrôle des transferts d’armements commence à prendre l’allure d’un danger majeur. Il y a eu des précédents qui ont engagé la sécurité nationale d’Israël (l’exemple des réticences US à livrer des armes à Israël au début de la guerre d’octobre 1973, rappelées dans le texte de notre Lettre d’Analyse de defensa cité dans notre “F&C” d’hier). Ce sont des choses qui reviennent à l’esprit, à l’heure où Washington, le DoD aussi bien que la Chambre des Représentants, devient incontrôlable, — “lobby juif” ou pas. (Certains Israéliens pourraient commencer à se demander où sont leurs alliés à Washington: un Américain juif, néo-conservateur et prétendument pro-israélien comme Douglas Feith, qui va quitter le Pentagone, a été le principal artisan de l’attaque contre la souveraineté d’Israël à propos des transferts d’armements vers la Chine. En 1985-86, c’est un Américain juif, rabbin de surcroît et haut fonctionnaire au Pentagone, Dov Zakheim, qui avait mené tambour battant la liquidation du projet d’avion de combat israélien Lavi qui menaçait de faire de l’ombre au F-16.)

On peut laisser les intellectuels Rive-Gauche se chamailler sur la soi-disant “renaissance de l’antisémitisme” en France. Leur tradition d’irresponsabilité dans l’identification des vrais dangers est désormais un fait établi avec eux, au moins depuis qu’ils ont monté la représentation de l’extrême droite de Le Pen comme principal danger pour la démocratie (pour eux, pour ces intellectuels, c’est une façon de se faire pardonner leur engagement marxiste tout en restant bien confortablement à gauche). On peut laisser également à leurs spéculations les adeptes du complot juif mondial habituel qui font du “lobby juif” de Washington le manipulateur de la puissance américaine.

La réalité est plus intéressante, plus concrète, plus puissante. Elle concerne les rapports avec les Etats-Unis, en passe de devenir impossibles, aussi bien pour l’Amérique Latine que pour la Chine, que pour Israël très vite, — que pour la France, bien sûr, anti-américaine comme monsieur Jourdain nous parlait en prose, sans le savoir (et, pour le cas de la France, en se défendant vertueusement de cette horrible chose qu’est l’anti-américanisme). Les Français savent depuis l’hiver 2001-2002 qu’ils ont intérêt à compléter, à protéger et à alimenter leur base technologique indépendante. Ils s’en sont aperçus récemment, lorsque les Américains ont refusé des catapultes pour leur futur porte-avions, la seule technologie qui leur manquait pour fabriquer de façon indépendante cette unité essentielle. L’incident était un avertissement sans frais, dû à l’absence de finesse et de machiavélisme politique des Américains (la technologie de la catapulte est sans réelle valeur et les Français la récupéreront sans problème pour 50 millions d’euros d’investissement).

Si cela n’est encore fait, les deux pays s’en apercevront bien vite: ce qui rapproche Israël et la France, c’est un souci commun d’indépendance technologique, à l’heure où, répétons-le avec force, les relations avec Washington, surtout dans ce domaine, deviennent complètement insupportables. Il ne reste plus qu’aux autres Européens à comprendre cela, alors que des fonctionnaires de la Commission, d’un aveuglement et d’une naïveté (plus que de corruption) qui passent l’entendement, se glorifient en privé d’être alimentés directement par les Américains en évaluations qu’on imagine si “objectives” sur la “menace militaire” chinoise.