Nous sommes tous des “complices” de Snowden

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Nous sommes tous des “complices” de Snowden

Témoignant devant une commission du Congrès qui lui est toute acquise (la commission sénatoriale du renseignement), le chef du renseignement US James Clapper a d’abord lu, selon la procédure normale, un texte préparé à l’avance. C’est dire que les mots prononcés étaient pesés, et venant d’une source officielle du plus haut niveau (DNI, ou Director of National Intelligence, supervisant tous les services de renseignement US). Il est donc juste et approprié de prendre ces mots dans leur complète signification, et non de les attribuer à un éventuel mouvement d’humeur ou à une parole précipitée. Cette phrase, avec ce mot (souligné de gras par nous), a aussitôt été mise en exergue :

«Snowden claims that he’s won and that his mission is accomplished. If that is so, I call on him and his accomplices to facilitate the return of the remaining stolen documents that have not yet been exposed to prevent even more damage to U.S. security.»

... On comprend qu’il est apparu aussitôt évident que les “complices” de Snowden, ceux qui d’une part l’ont aidé à diffuser les documents qu’il a emportés avec lui, ceux qui d’autre part possèdent des copies de ces documents puisque Clapper demande leur restitution, ne pouvaient être que les journalistes qui ont joué et jouent un rôle dans le processus de communication de la crise Snowden/NSA. (Cette interprétation a toutes les chances, lorsque ce jugement sera peu à peu accepté et interprété, de s’étendre largement dans la profession du journalisme, contribuant à la mettre de plus en plus dans la catégorie antiSystème.)

L’interprétation en été effectivement unanime, d’autant que le porte-parole de Clapper, à qui l’on demandait si le mot “complices” désignait les journalistes, n’a pas démenti, et a donné une définition qui convient parfaitement à l’interprétation générale : «...anyone who is assisting Edward Snowden [to] further harm our nation through the unauthorized disclosure of stolen documents.» Cela fut effectivement le commentaire de Glenn Greenwald : «Turner may be reluctant to admit it, but that essentially dispels all doubt – if there was any – that Clapper was publicly accusing journalists who publish Snowden documents of being “accomplices” in his “crimes”.»

Ce commentaire de Greenwald apparaît sur son blog, le 29 janvier 2014. Le principal “complice” de Snowden y développe son interprétation de la déclaration de Clapper... La forme est prudente et accordée aux circonstances, parce que Greenwald tient à une politique d’interprétation rationnelle et mesurée des actes et des positions de l’administration US ; le fond, lui, est sans équivoque et il ne fera que se confirmer désormais, conduisant à un durcissement de la forme et au développement d’une polémique portant sur un point fondamental de la crise Snowden/NSA.

«Here, Clapper is referring to “accomplices” as those who can “facilitate the return of the remaining” documents. As Snowden has said, the only ones to whom he has given those documents are the journalists with whom he has worked. As has been publicly reported, the journalists who are in possession of thousands of Snowden documents include myself, Laura Poitras, Barton Gellman/The Washington Post, The New York Times, the Guardian, and ProPublica.

»Is it now the official view of the Obama administration that these journalists and media outlets are “accomplices” in what they regard as Snowden's crimes? If so, that is a rather stunning and extremist statement. Is there any other possible interpretation of Clapper's remarks?»

Cette interprétation de Greenwald, ou dans tous les cas l’interrogation dans ce sens, est celle de tous les journalistes qui ont réagi, sans la moindre concertation à cet égard selon les observations de chronologie et de tendances qu’on peut faire. On mentionnera notamment les réactions dans deux médias d’internet en général proches du Système, et dans tous les cas certainement pas à ranger parmi les amis de Greenwald, notamment celle de Politico.com du 29 janvier 2014, et celle de Michael Calderone, de HuffingtonPost, le 29 janvier 2014. Calderone, un des principaux journalistes de HuffingtonPost, écrit avec la plus extrême prudence (d’autres diraient couardise) qui caractérise le média-Système où il travaille dans un cas aussi délicat, mais néanmoins en exposant l’hypothèse principale dans le chef de l’interprétation, au travers de la citation d’autres journalistes : «Director of National Intelligence James Clapper urged former NSA contractor Edward Snowden and his “accomplices” to return leaked documents during a hearing on Wednesday. [...] So who, exactly, are Snowden’s “accomplices?” Guardian national security editor Spencer Ackerman, among others, questioned on Twitter whether Clapper was referring to journalists. HuffPost put the question to the Office of the Director of National Intelligence, which didn't rule out that journalists could be considered “accomplices.”»

On notera tout cela survient alors que l’administration Obama vient, ce lundi, de renouveler toute sa confiance dans son DNI James Clapper. Rapportant l’incident des “complices de Snowden”, Russia Today détaille, ce 30 janvier 2014, les circonstances de cette intervention de la Maison-Blanche. La coïncidence de date est et sera perçue, à moins d’une réaction brutale d’Obama à l’encontre de Clapper qui semble absolument improbable, comme une prise pour son propre compte par le président des USA de l’appréciation de “complices de Snowden” pour définir le rôle des journalistes qui ont participé et participent à la communication publique des documents Snowden.

«US President Obama has not only kept Clapper as part of the administration but effectively endorsed the director earlier this month when Obama announced that the polarizing data collection programs employed by the NSA would not be eliminated. Still, six lawmakers led by California congressman Darrell Issa signed a letter to Obama Monday seeking Clapper’s dismissal. “The continued role of James Clapper as director of national intelligence is incompatible with the goal of restoring trust in our security programs and ensuring the highest level of transparency,” they wrote. The White House announced Clapper would not be fired by end of the same day.»

Comme on l’a vu, les éléments sont assez nombreux pour confirmer l’interprétation générale du terme “complices” pour caractériser les journalistes impliqués dans la crise Snowden/NSA, et l’on s’en tiendra à cette interprétation pour notre commentaire. (Un démenti, qui paraît improbable, introduirait une autre dimension dans cette affaire, qui serait alors considérée à cette aune nouvelle ; cette hypothèse doit être pour l’instant laissée de côté.) Et l’on comprend bien, via le refus du porte-parole d’exclure les journalistes de la rubrique “complices”, qu’on est fondé d’apprécier qu’il y a là une intentionnalité incontestable : le terme de “complices” applicable aux journalistes semble délibéré, volontaire, etc., et il peut désormais commencer à servir de référence, au moins pour le soupçon, pour décrire la profession de journalisme en général, y compris les plus éloignés de Snowden.

Dans ces conditions, cette affaire apparaît assez étrange, et dans tous les cas assez significative pour mériter un commentaire conséquent. Le point le plus remarquable est que cette affirmation du journaliste-“complice”, qui sonne comme une insulte, comme une menace, comme une audace de langage proche de l’illégalité dans la bouche d’un officiel du rang de Clapper, et cela potentiellement destiné à toute une corporation dont on sait l’importance, cette affirmation est faite dans une déclaration qui renvoie à une certaine démarche de conciliation. Clapper semble dire à Snowden : “Eh bien, puisque vous estimez avoir accompli votre ‘mission’, rendez-nous, vous et vos ‘complices’, la matériel restant” ; ce qui est implicitement reconnaître qu’on peut admettre l’affirmation de Snowden selon laquelle il avait une ‘mission’, ce qui est presque lui conférer un statut d’honorabilité par rapport aux anathèmes et dénonciations dont il est en général l’objet de la part de la constellation-NSA. Donc, une démarche effectivement presque conciliante, dans tous les cas tentant une manœuvre pour récupérer certains documents, alors qu’on introduit un élément de dramatisation, d’accusation abrupte, un anathème justement, – journalistes comme “complices” de celui qui continue à être considéré comme un traître, qui est l’objet de poursuites, etc. Etrange tactique.

...A moins qu’il ne soit nullement question de tactique, mais de la nature même du jugement. De la part de tous ces gens, les Clapper, Alexander, etc., maître en manœuvres bureaucratiques et en conceptions robotiques et robotisées, bref, des esprits-Système standards marqués par la nullité absolue de l’intelligence psychologique et de la tolérance des perceptions, effectivement les Greenwald & Cie, – et d’une façon potentielle les journalistes qui les relaient, reprennent les nouvelles, bref tous les journalistes potentiellement, – ne peuvent être que des “complices” du salopard absolu qu’est Snowden. Le dire en des termes tout de même atténués selon leur point de vue (Snowden point traité de “salopard”, Greenwald pas explicitement désigné comme “complice”), c’est presque faire preuve de retenue, de modération, presque de civilité après tout, et alors on retrouve une certaine cohérence : puisqu’il s’agit d’obtenir quelque chose de Snowden-le-salopard et de ses “complices”, montrer une habile indulgence de langage et de conception. Nous pensons que ces psychologies et ces esprits sont arrivés à de telles extrémités, et que l’ensemble des individualités ayant un rôle quelconque dans les affaires en cours se divisent effectivement de plus en plus entre ces deux factions irréductiblement opposées et de psychologies différentes (voir la fin de notre article du Glossaire.dde sur l’“effondrement du Système”, le 12 janvier 2014), les angoissés devant le destin du monde et décidés à se battre pour le contrecarrer, et les “fous” accouchant d’une vision complètement pathologique du destin du monde et la jugeant admirable et civilisée, – et nous savons bien qu’entre les uns et les autres, le Système reconnaîtra les siens.

On voit que nous écartons toutes les interprétations rationnelles de manœuvres délibérées, interprétations en vérité pseudo-rationnelles du type manœuvres terroristes et menaçantes élaborées de la part de la fraction NSA & Système, interprétations à consonance “complotiste” (vraiment dans le mauvais sens du terme, qui peut avoir un bon sens dans certains cas). On peut alors passer à l’observation opérationnelle des effets de notre propre interprétation. Dans ce cas, il reste à considérer, d’une façon beaucoup plus simple et directe, que les Clapper & Compagnie disent le vrai de ce qu’ils croient, savoir que les Greenwald & Compagnie, et potentiellement les journalistes en général, sont effectivement les “complices” du salopard, et salopards eux-mêmes par conséquent. Qu’on ait donc sorti ce terme de “complices” selon une approche conciliante de leur point de vue, signifie rien moins que règne chez eux, les gens du NSA-Système, un état continuel de panique dans le chef de jugements aussi extrêmes. L’intervention de Clapper prend l’apparence d’une quasi-supplique développée selon une logique extrêmement grossière, adressée au camp d’en face pour tenter de l’amadouer et d’obtenir effectivement que ce camp, touché par la grâce d'un patriotisme totalement subverti par l’interprétation pathologique qu’on imagine, obtempère et livre effectivement le matériel restant. Dans ces conditions, on en déduit que ce même camp NSA-Système continue à vivre dans une panique indescriptible, là aussi, des événements à venir, ponctués par des fuites innombrables encore à faire.

De l’autre côté, ce passage sémantique classant les journalistes dans le camp des “complices” du salopard-Snowden, a évidemment toutes les chances de provoquer un durcissement considérable de ceux qui sont ainsi catalogués, et notamment de contribuer à semer encore plus le trouble dans une profession si nécessaire au Système et de plus en plus sollicitée par la tentation antiSystème. Cela implique pour le prévisible du court terme un durcissement de l’affrontement du point de vue de Snowden-Greenwald, un accroissement de l’exploitation du fonds Snowden, peut-être vers des documents d’une importance désormais plus politique que technique. Le jugement de Greenwald de l’intervention de Clapper, étendue à toute l’administration Obama, d’une attitude “extrémiste stupéfiante” ne peut que renforcer la conviction des antiSystème de cet affrontement la conviction qu’ils ont en face d’eux un adversaire inconciliable, avec lequel l’affrontement ne peut aller effectivement qu’à l’extrême. Les conditions de la guerre qui est au cœur de la crise Snowden/NSA devraient évoluer vers un aspect encore plus accentué de guerre totale, où aucune concession, aucun arrangement ne semblent possibles. C’est le mieux que l’on puisse espérer, car ainsi l’affrontement se verrouille de plus en plus dans la catégorie ultime et sublime du Système versus antiSystème.

... Cela impliquant, certes, que tous, notamment dans cette catégorie des journalistes-“complices”, dès lors qu’un choix antiSystème a été fait, nous sommes de cette catégorie antiSystème qui ne peut envisager le moindre arrangement. La bataille est sans pitié, ce qui témoigne d’une vérité de situation qui doit avoir pour ceux qui y participent valeur d’engagement.


Mis en ligne le 30 janvier 2014 à 12H32

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