MicMac déconstructeur ou le Rien nécessaire

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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MicMac déconstructeur ou le Rien nécessaire

06 mai 2017 – L’affaire “MicMac”/“MicMacron”/McMacron ayant été par ailleurs éclaircie, il convient d’observer que l’expression de “MicMac“, qui rejoint un mot d’emploi courant, introduit d’une certaine façon le fond du sujet extrêmement grave que je veux traiter, qui concerne on s’en doute la profonde signification du candidat-promis-à-être-président, ce que sa survenue probable signifie en fait de nécessité pour notre compte. Pris familièrement, Micmac signifie aussi bien « Intrigue, manigance, pratique secrète dont le but est blâmable ou semble tel » que « Confusion inextricable » ; ces deux sens étant illustré par deux citations de la même définition donnée par le Wikipédia :

• « Un micmac à n’y rien comprendre ! reprit-il. (…) Maintenant, ils me tiennent à droite, à gauche, derrière. — (Émile ZolaAu Bonheur des Dames, 1883) »

• « D’où un micmac de paperasses à défier un cochon d’y retrouver ses petits et l’immobilisation définitive d’une affaire devenue insoluble. — (Georges CourtelineMessieurs les ronds-de-cuir, 1893) »

Ces diverses considérations et citations illustrant l’abrégé à propos de l’identité de la chose auquel nous sommes arrivés pour ces textes de fin de campagne, – “MicMac” pour “Micron-Macron” ou “Mic-Macron”, ou mieux encore, à l’américanisme, “McMacron”, – sembleraient bien futiles ou fort oiseuses. Tout cela n’est futile ou oiseux qu’en apparence pour un événement qu’on pourrait justement juger l’être, oiseux et futile ; quoi qu’il en soit et dit peut-être plus sérieusement, il s’agit d’une illustration un peu leste du caractère fondamental de la chose : après tout, MicMac avec son capharnaüm de politique “à défier les cochons d’y retrouver leurs ordures à bouffer”, cela vous a de l’allure et va au-delà des apparence, non ? Ah, ce Courteline...

Le candidat-donné-vainqueur m’apparaît en vérité comme un archétype exceptionnel dans son espèce de néantisation propre sur elle ou, mieux, de passe-partousisme (néologisme un peu forcé à partir de “passe-partout” pour y faire entrer, pour une lettre, l’involontaire allusion-partou(z)e si bienvenue comme image symbolique de l’esprit de la chose, non ?) ; et par conséquent m’apparaît-il, ce candidat-président, comme un événement fondamental et fort bien accordé à ces temps où la néantisation la plus basse triomphe... C’est-à-dire, pour préciser, le déconstructeur achevé lui-même déconstruit en une sorte de rien, dispensateur de l’acte systématique de la déconstruction qui sera la marque de sa présidence s’il est élu ; c’est-à-dire, j’insiste, le premier président absolument déconstructeur, – ou déstructurant dans le langage-dedefensa.org, cette fois pris comme l’acte voulu comme suprême dans la quête du rien, – le premier à l’être, à l’afficher, faisant vertu de cette démarche, et donc nous conduisant à l’extrême du projet déconstructeur.

Il serait donc nécessaire qu’il l’emportât dimanche parce qu’il est nécessaire que nous allions au terme de ce terrible Voyage au bout de la nuit pour enfin découvrir ce que nous voulons faire de notre futur (j’emploie ce mot à dessein, et non celui de destin) : l’entropisation en voie d’achèvement rompant décisivement avec notre destin pour suivre leur futur de la destruction ultime ou bien la révolte nécessaire rejetant leur futur pour retrouver un futur qui soit nôtre et s’exprime en retrouvant notre destin ; et certes ce choix est possible parce que cette entropisation en voie d’achèvement enfante elle-même la possibilité de cette révolte nécessaire.

Je suis frappé effectivement de constater combien la généalogie impliquant le projet de la déconstruction trouve en lui son expression politique, d’une politique réduite au rien, et nous donne une description incontestable de la chose (“Mic-Macron”). C’est un signe du ciel pour mon compte d’avoir entamé pour cette fin de campagne cet Homme dévasté de Mattei, plusieurs fois cité déjà dans ce Journal-dde.crisis. Moi qui n’ai qu’une piètre culture et qui travaille si souvent d’intuition, ce livre que je lis comme on déplie une dentelle, lisant et relisant chaque phrase, m’apprend ce qui importe, et clairement. Il constitue une somme pour embrasser le mouvement de déconstruction comme phénomène fondamental de la deuxième moitié du XXème siècle jusqu’à nous d’une pensée triomphante qui, malgré son extrême complication d’apparence, se réduit à un projet d’une simplicité lumineuse, d’une lumière sinistre, avec application directe et diabolique. Certes, je m’y retrouve parfaitement avec ma perception de l’ultime progression de la dynamique de néantissement qui caractérise cette irrésistible évolution dynamique de la déconstruction jusqu’à l’extrême d’aujourd’hui, notamment avec cette formule dd&e (déstructuration, dissolution & entropisation) dont je ne me doutais pas lorsque je l’ai élaborée qu’elle rencontrait si complètement le phénomène dont je parle ici. Il tombe à pic, L’homme dévasté, pour me donner à comprendre qui est notre probable-futur-président.

« La pensée française de la seconde moitié du XXème siècle a été fascinée par le vide, écrit Mattei. [...] Leur fascination pour le naufrage de l’être, du langage et de l’homme. » Il s’agit de la « destruction de modèles répressifs au bénéfice de la libération du simulacre », c’est-à-dire la malédiction même de la liberté par l’inversion pour faire de la liberté l’outil même de l’emprisonnement jusqu’à l’entropisation ; et Gilles Deleuze « se tient au fond de la caverne platonicienne » pour mener avec une rage extrême, jusqu’au suicide, et un génie dialectique extraordinaire jusqu’à l’inversion suicidaire, – pour mener « [u]ne lutte incessante contre le platonisme ». Mais le véritable initiateur, le premier des déconstructeurs français, n’est pas un philosophe essentiellement mais d’abord un écrivain-romancier, à l’œuvre dès les années 1940 alors que je naissais à peine, c’est-à-dire Maurice Blanchot que je ne connaissais pas avant que Mattei ne me le présentât.

Donc, nous dit Mattei, chez Blanchot triomphe le Neutre, qui pourrait être bien l’emblème de notre candidat-futur-président. Dans son esprit (celui de Blanchot), « le Neutre récuse l’unité et la totalité, l’origine et la fin, sans que l’écriture puisse édifier une œuvre dotée de sens ». (Mattei fait parler Blanchot de l’écrit comme l’on pourrait parler d’un nouveau président à venir.) Mieux encore pour ce temps politique du ni-gauche/ni-droite que nous vivons si intensément, il doit être acté que, « [d’] une façon plus générale le Neutre est ce qui efface, par le double mouvement du “ni/ni” toute différence dans les choses et, par conséquent, annule les opposés au point de les dissoudre ». Nous aimerons tous “Mic-Macron” comme tous les déconstructeurs (Lyotard, Foucault, Deleuze, Derrida et toute la bande) firent l’éloge du Neutre de Blanchot, par la grâce de cette occurrence presque divine, – excusez du peu, camarades, – que « cet éloge du Neutre tient à l’absence de définition de cette notion ». Car il se trouve qu’elle (cette notion du Neutre comme du “Mic-Macron” dont l’éloge retentit partout dans les salons littéraires et les talk-shows du Gras-et-Gai-Savoir) « intervient sur un mode incantatoire par la magie du verbe comme si cette entité, nouvelle Reine de la Nuit, pouvait détruire tous les liens du monde, du langage et de l’homme. Il suffit de se réclamer du Neutre [de “Mic-Macron”] pour que, d’un coup, les jeux d’opposition s’efface, bien que le Neutre [le “Mic-Macron”] échappe à la conceptualisation... »

En d’autres mots, encore : « N’avoir rien à exprimer doit être pris dans son sens le plus simple. Quoi qu’il [l’homme politique futur président] veuille dire, ce n’est rien. Le monde, les choses, le savoir ne lui sont que des points de repère à travers le vide. Et lui-même est déjà réduit à rien. Le rien est sa matière. Il rejette les formes par lesquelles elle s’offre à lui comme étant quelque chose. » J’aurais donc parlé de “Mic-Macron” avec cette citation qu’on vient de lire ? Oui et non, certes ... L’extrait avec “[l’écrivain]” remplacé par “[l’homme politique futur président]” date de 1943, comme 4ème de couverture de Faux pas, dans un sens où les collabos auraient pu descendre Blanchot comme résistant, et les résistants descendre Blanchot comme collabo, les uns et les autres avec autant de bonnes raisons. Au reste, ce personnage insaisissable a un parcours pseudo-politique bigarré, allant de-ci de-là, aussi bien AF que proche-PCF, jamais tout à fait fautif, jamais complètement héroïque... Bref, personne ne fit rien, ni les résistants ni les collabos, et la Gestapo se le tint pour dit car Blanchot avait déjà annoncé la Bonne Nouvelle des déconstructeurs, qui devrait devenir celle de la politique à attendre du prochain quinquennat si c’est bien celui que tout le monde bon chic bon genre tient déjà pour acquis. Nous sommes dans un temps où notre pouvoir est tel que nous pouvons détruire tous les arguments de politique qui ne sont pas nôtres en niant même que nous les détruisons vraiment, parce que ces choses, avant qu'elles nous soient dites, étaient déjà tenues pour nulles.

(Mattei écrit : « Pour Blanchot [et pour “Mic-Macron”], il y a chez l’homme “un pouvoir transcendant de négation, pouvoir qui ne dépend en rien des objets qu’il détruit, qui, pour les détruire, ne suppose même pas leur existence antérieure parce que, au moment où il les détruit, il les a toujours, déjà, antérieurement tenus pour nuls”. [1949]. » Je ne suis pas assuré, au fond de moi, que ce Blanchot, entraîné par l’ivresse de la pensée abstraite et conceptuelle, réalisait à quelle machine il donnait l’accélération terminale pour qu’elle accomplisse son affreuse tâche tandis qu’il assurait par contre avec un ferme réalisme sa place dans l’intelligentsia de la Rive-Gauche. Ainsi en est-il de tout ce train étrange de la déconstruction, dont la “politique” tente aujourd’hui de faire une représentation acceptable selon l’idée qu’on peut édifier une architecture de la déconstruction et une structure de la déstructuration, tout cela fort démocratiquement on vous l’assure...)

Ainsi “Mic-Macron“ et ses amis politiques écoutent-ils vos arguments avec bienveillance parce qu’ils savent, en même temps que vous les dites, que ces arguments n’existaient même pas avant même que vous les disiez, alors qu’il est presqu’inutile de prendre la peine de les détruire, – sans parler, absurdité complète, absurdité complète, de les réfuter, – puisqu’ils sont déjà poussière, et qu’il est d’ailleurs et finalement impossible de les détruire puisqu’ils n’existèrent jamais. Ainsi vous regarde-t-on si vous parlez d’une façon critique de l’Europe et de la politique prédatrice qu’elle impose à ses choses, à ses membres, si vous fulminez à propos de la globalisation sans âme et qui tue les âmes, si vous arguez qu’il faut protéger les choses françaises, si vous suggérez qu’il faut que l’État songe à protéger les plus démunis, si vous avancez que la culture française est une chose qu’il faut défendre, si vous affirmez que la France existait avant qu’elle n’existât plus...

Nous entrerons, dimanche, si les augures ont bien lu la feuille de route et si le vote populaire s’ordonne ainsi qu’il est prévu qu’il fasse, c’est-à-dire s’il se déconstruit pour mieux exprimer cette absence de forme qui nous est promise parce que, comme l’observait le philosophe LR François Barouin après une sortie de “Mic-Macron” « il ne dit rien sur rien et il n’en pense probablement pas plus », nous entrerons dans l’aire magnifique et sans un pli de la déconstruction achevée. Il n’est pas assuré que tout cela se passera selon le plan prévu, comme ils disaient en URSS au temps du brejnévisme finissant ; lorsque “Mic-Macron” devenu-président, singeant Brejnev qui constatait que le train-URSS n’avançait plus faute de charbon et qui, abandonnant la technique stalinienne de faire fusiller les chauffeurs, conseillait aux autres du Politburo : “Camarades, faites comme moi, tirez les rideaux et dites ‘tchouc-tchouc-tchouc’...”.

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