Mélenchon, alias Lucius Cassius, rêvons un peu...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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 1906

Mélenchon, alias Lucius Cassius, rêvons un peu...

28 avril 2017 – (Avertissement : finalement, je complète et je l’édite ou mets en ligne, ce texte que j’ai ébauché il y a trois jours et mis sous le coude dans l’attente d’un dénouement clair qui ferait une chute bien dans les bornes de la raison. Je n’attends pas le verdict ou ne leconnais pas parce qu'il m'a échappé, parce que le dossier est assez épais ; donc l’on ne me voudra pas si notre héros finalement se décidait clairement, – d’ailleurs l’essentiel est dit et fait pour moi. Je lui donne mon blanc-seing à ce texte, comme on se donne carte blanche-comme-neige et comme l’on clame “Un homme à la mer !” après l’avoir discrètement poussé.)

Je l’ai dit, je n’ai pas beaucoup suivi les news depuis l’insupportable fiesta de La Rotonde. (Quelle hargne m’habite donc contre cette gentille sortie, style bizutage, de notre éternelle jeunesse-pipole ! Sans doute parce que, quelque persifleur d’esprit mauvais vous le dirait alors je le dis, – et cette hargne, c’est peut-être parce que je n’ai pas été invité, moi le pipole, – grave faute de communication.)

Cette brève entrée en matière pour vous dire combien ce texte est à prendre au sérieux avec le moins de sérieux possible à l’esprit ; ce serait plutôt un exercice de divination, de transmission de pensées indociles, ou insoumises après tout, rien que de l’hypothétique pur sucre, avec ma boule de cristal un peu enfumée et qui roule, qui roule, like a rolling stone, comme sur une piste de bowling pleine d’ornières et de virages serrés. Bref, je ne suis sûr de rien mais je n’hésite pas à parler comme si j’étais sûr de cela (de n’être sûr de rien)... Eh bien alors venons-en au fait qui est que mon propos ainsi prudemment balisé concerne le comportement de Mélenchon depuis les résultats du premier tour, – qui ont été une épouvantable déception pour lui ces résultats, puis qui ont dû le faire réfléchir, notamment devant le spectacle du Micron déchaîné dans son slalom des impairs et des maladresses considérables. (A agir aussi sottement qu’il fait ici et là, d’une façon où même si son acte n’est pas tout à fait sot il le paraît tout à fait, on croirait, ma foi, qu’il est d’ores et déjà, notre-Micron, véritablement notre-Président ; alors, c’est que La Rotonde était plus que justifiée, remake absolument légitime du célinesque “agité du Fouquet’s”...)

D’après ce que j’ai entendu d’une oreille incertaine mais à certains moments plus attentive, notamment pour ce qui concerne la position de Mélenchon bien entendu, il m’a semblé qu’il avait fait défiler diverses attitudes assez imprécises en se gardant d’en préciser aucune : d’abord, dire qu’il ne voterait pas au second tour (abstention, in french) ; puis annoncer que son mouvement se réunirait pour déterminer ses choix au second tout, qui sont comme on le sait depuis : voter Micron, s’abstenir, ne pas voter Le Pen ; puis dire ou faire dire plutôt je ne sais pas, qu’il ne dirait pas pour qui il voterait, ce qui faisait penser qu’il voterait ; puis une autre déclaration d’un autre proche selon laquelle “il ne votera évidemment pas pour Marine Le Pen”... (Curieux défilé, ces diverses déclarations, énigmatiques, incertaines ;  dire qu’“il ne dira pas pour qui il votera” au second tour signifie que finalement il votera, et dans ce cas pourquoi ne pas dire plutôt qu’il votera Micron, c’est-à-dire selon les décisions de son parti ? Parce qu’en réalité, il considérerait peut-être de voter pour Marine ? “Évidemment pas”, répond-on aussitôt ... Et l’on s’y perd. C’est un labyrinthe qu’aurait dessiné un Kafka qui aurait forcé sur le pastis praguois.)  

« [...I]l faut “faire la différence entre un choix intime et un choix politique” » a dit, sans rire ni même sourire, son porte-parole Alexis Corbière, –  qui, lui, votera Micron, dit-on ça c’est sûr. Le principe est beau mais les avatars de la vie politique, qui sont en mode-turbo pour l’instant, sont tout de même quelque chose qu’on ne peut effectivement pas écarter d’une pichenette de savoir-vivre. Ces Temps Derniers que nous vivons sont révolutionnaires et hyper-crisiques, et les “choix intimes” vous échappent parfois comme glisse un savon dans vos mains mouillées, vous-même dans un bain brûlant et détendant après un premier tour dantesque, ils vous échappent ces “choix intimes” pour prendre la forme de “choix politiques”. Là-dessus, ajoutez que, dans tous les cas comme je le ressens, le déferlement de fureur contre Mélenchon de n’avoir pas pesé immédiatement pour les consignes impératives et staliniennes d’un vote-Micron est considérable, qu’il a quelque chose dans la cruauté et la rancœur du sentiment qui dépasse très largement à mon estime l’habituelle vague de haine anti-Le Pen, type-minimum syndical qu’en entend depuis trente ans ; jusqu’au diplodocus infiniment et sympathiquement sénile Alain Duhamel, que j’entends “à la radio”, comme on disait, depuis la fin des années 1960, qui ressort sa vertu conservée en cryogénisation pour dénoncer ce diable faussement de gauche, ce pied-noir foutre & fourbe ; jusqu’au vieux Le Pen, qui, plein d’une verdeur évidemment ricanante voire satanante, surgit de la retraite doré de quelque luxueux hospice pour saluer l’attitude extrêmement digne du Mélenchon...

Ce que je constate, en forme de parabole, c’est que “la tempête sous un crane” qui affecte Mélenchon et se réverbère sur tous les officiers et les matelots-votants de France insoumise reflète et symbolise bien moins une soudaine fortune de la Marine, même si cela pourrait en être une un effet, qu’une décomposition extraordinairement rapide des structures politiques de la France, comme dirait un philosophe déconstructeur en toute “ipséité” (terme usité par Derrida-Micron). Comme Micron n’est ni un Le Vau ni un Hardouin-Mansart mais plutôt un architecte du type “Va jouer avec cette poussière”, cette décomposition sablonneuse (avec quelques grains pour Micron) vous permet de cheminer sans trop suivre une ligne droite ni vous préoccuper des clous que le Système a installé pour guider les mauvais esprits ; elle prend même parfois un aspect bien spectaculaire type simoun & tempête de sable qui vous incite à penser qu’on n’en restera pas au 7 mai ; quelque chose comme “Devant nous, le déluge”, vous voyez, comme le monde à l’envers, une ipséité invertie si vous voulez.

Ce que je mesure, en tant que pur tacticien, c’est que le comportement de Mélenchon, cette façon de faire traîner les savates en demie-bouche cousue comme on garde une demie-clope éteinte au bec, collée à la lèvre inférieure, de dire un jour blanc sombre et presque noir, un autre jour noir éclairci avec des nuances de blanc, c’est que tout cela a réussi à causer un désordre considérable chez ses gens autant que chez les autres. Il a laissé pendant plusieurs jours penser aux uns et aux autres cette chose formidable qu’en cette occurrence, on pouvait réfléchir avant de décider de son vote (non-Le Pen, “évidemment”) ; bref, qu’on voterait, mais certes “évidemment pas” pour Le Pen, mais en semblant exactement et parfaitement réfléchir jusqu’à le faire effectivement, pour savoir pour qui on voterait ou pour qui on ne voterait pas “évidemment”, ou pour qui on s’abstiendrait, tandis que l’on sait bien qui est qui et pour qui l’on veut voter dans un choix à débattre d’une part comme tout choix à faire, acquis “évidemment” d’autre part comme tout choix façon-de-parler... Il a inventé la tactique du doute-“évidemment” qui se traîne, du cheminement fermement incertain, de la contradiction contradictoire, de l’ipséité sans laisser d’adresse, tout cela qui encalmine et paralyse la nécessité du vote automatique hors du champ de la réflexion.

J’ignore s’il a fait exprès, mais dans tous les cas c’est un rude tacticien de la deception (“tromperie” en anglais, mais en langage tacticien de guerre, plutôt “simulacre”, “montage”, faire croire que vous êtes ici alors que vous êtes là, que vous allez attaquer là alors que vous vous repliez ici, et ainsi de suite). Et je dirais que tactiquement, l’acte est déjà posé et ses effets consommés chez les autres, avec brûlures d’estomac, contractions douloureuses pour la digestion, etc. : Mélenchon a semé la discorde dans le processus du jugement-sans-choix et du choix-“évidemment” dans l’esprit de nombre de citoyens... Cui bono ? (Je cite une citation de Cicéron selon le Wiki courant où je donnerais volontiers à Méluche le rôle épanouissant du “sage Lucius Cassius”, le juge qui savait faire traîner les dossiers : « L. Cassius ille quem populus Romanus verissimum et sapientissimum iudicem putabat identidem in causis quaerere solebat “cui bono” fuisset. [« Le célèbre Lucius Cassius, que le peuple romain a l'habitude de considérer comme un juge très honnête et sage, avait l'habitude de demander, encore et encore, à qui cela profite ?” »].)

Ce que je veux dire enfin et en forme de rêveries hypothétiques, c’est que Mélenchon, comme il fait des choix intimes, n’est certes pas dépourvu de pensées secrètes. L’une pourrait bien être de songer presque avec gourmandise à ce qu’aurait pu faire dans cette élection une déferlante commune Le Pen-Mélenchon, et cela en s’écriant d’un même songe et devant la perspective évoquée “vade retro, satanas !” ; l’autre est de rêver à quelque lendemain inattendu, après que le gamin ait fait bêtise sur bêtise, de Rotonde en Rotonde, jusqu’à nous mener à une quelconque crise de régime où cette déferlante pourrait se réaliser quasiment d’elle-même, comme lèvent les terribles orages de l’été et se forment les grosses mers de tempête.

Comme disait Sacha, éternelle référence, – « Rêvons un peu », juste “un peu”, à peine “un peu”, “un peu”-“évidemment”... Les événements feront le reste, c’est-à-dire qu’ils feront ce qui leur plaît, comme l’orage qui gronde et la mer qui se déchaîne, quitte à nous surprendre bien entendu, un contrepied une fois de plus.