L’UE en fureur versus USA-Trump

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L’UE en fureur versus USA-Trump

Ici, nous mettrons de côté, comme nous procédons à l’habitude, toute considération technique et spéculations politico-bureaucratiques concernant la “décision” de Trump sur le traité multilatéral avec l’Iran (JCPOA). La seule remarque de cette sorte qui nous importe pour notre approche, c’est le constat que la “décision” de Trump renvoyant finalement et de facto la décision au Congrès ajoute la confusion à la force symbolique de la décision. La “confusion” est dans le sens où l’on ignore où nous emmènera le Congrès, tandis que subsiste, intacte, la “force symbolique” de ce qui est perçu comme une démarche tendant à mettre en cause et en danger ce qui était jugé comme une structure nouvelle, l’une des rarissimes sinon uniques structures de stabilité dans un monde lancé dans une dynamique de déstructuration-désintégration. Lorsque vous parlez avec un interlocuteur des milieux proches de la bureaucratie de l’UE, il vous dit en général que « le JCPOA, c’est sacré pour la diplomatie de l’UE, c’est une des réalisations les plus considérables... »

En effet, nous allons parler de l’Europe (l’UE) par rapport à la “décision” (déclaration) de Trump concernant le JCPOA, avec toutes les possibilités d'aggravation qu'elle contient. (Dans les couloirs de l’UE, on retrouve constamment le soupçon radical à l’encontre de Trump, et notamment qu’il peut toujours aller à pire que ce qu’il annonce.) L’intervention de Trump a mis en fureur les directions du “ministère européen des affaires étrangères”, notamment les deux femmes qui le dirigent, Federica Mogherini la Haute Représentante et Helga Schmid sa Secrétaire Générale. Cette fureur n’est pas convenue ni circonstancielle mais s’inscrit dans une logique d’exacerbation de l’UE devant le comportement du nouveau président US : la psychologie et la perception jouent un rôle réellement fondamental en l’absence de certitudes actées dans une époque où la réalité est désintégrée et où la personnalité de Trump ne fait qu’accentuer ce désordre de situation.

Il faut ajouter pour l’arrière-plan que, dans le cas de Schmid, que nous avons déjà largement détaillé, sa réaction relaie l’extrême mécontentement de l’Allemagne après la déclaration Trump. Un article de WSWS.org nous le confirme. Les Français ne sont pas en reste, Macron ayant pris une attitude affirmée contre Trump, pour le JCPOA, avec désormais la possibilité qu’il se rende officiellement à Teheran et marque ainsi sa détermination d’une façon symbolique extrêmement forte, d’une façon qui sied à l’importance qu’il accorde à la communication et à la promotion de sa propre positon “présidentielle-jupitérienne”. Le résultat de tout cela est de conforter, dans le chef des deux pays les plus puissants de l’UE, la position de l’UE face à Trump dans l’affaire du JCPOA.

Toutes ces circonstances conduisent à observer que la mésentente entre l’UE et les USA-Trump, qui prend à nouveau le chemin d’un nouveau paroxysme de la crise ouverte entre ces deux partenaires du bloc-BAO, est un cas encore plus grave que celui de la décision de Trump de sortir son pays de l’Accord de Paris sur la crise climatique ou de la décision du Congrès d’imposer de nouvelles sanctions antirusses qui ont pour effet de toucher d’abord les Européens. Il n’est pas assuré que du côté américaniste, y compris parmi ceux qui, à droite et à gauche, critiquent de plus en plus l’errance de la pseudo-politique étrangère de Trump, on mesure le degré de colère et de détermination de l’UE. Cette fois, sur un problème concret de “grande politique” où l’opinion générale est de son côté, que ce soit celle de la Russie ou du simple bon sens, l’UE se trouve en position de pointe de la contestation anti-Trump et anti-US. La personnalité de Trump et les écarts qu’on connaît, l’extrême mauvaise réputation qui lui a été faite dans les milieux progressistes-sociétaux, se confirment après les épisodes de l’Accord de Paris et des sanctions antirusses comme le détonateur qui a permis de briser le tabou européen du proaméricanisme obligé. (Si au lieu de Trump l’on avait un Obama dans de telles circonstances, on imagine combien la situation serait différente...)

“En face”, à Washington D.C., les USA sont complètement isolés (à part le soutien d’Israël et de l’Arabie Saoudite, ces deux pays jouant logiquement sur les deux tableaux indirectement vis-à-vis de la Russie, amie de l’Iran, tandis que la Russie elle-même joue vis-à-vis d’eux sur plusieurs tableaux également). Par contre, et c’est une différence fondamentale, Trump occupe une position très différente vis-à-vis de l’establishment washingtonien que dans le cas de l’Accord de Paris (le cas des sanctions antirusses n’étant pas de son fait). Il a le soutien de la puissante machinerie de communication des bellicistes autour des neocons, y compris bien entendu les relais d’influence israéliens, tout cela infiltrant autant les démocrates que les républicains. C’est une autre version de “D.C.-la-folle”, active depuis 9/11, qu’on trouve parfaitement illustré par la probabilité que c’est l’ambassadrice des USA à l'ONU Nikki Haley, désormais promue “neocon-moron”, qui dirigerait la politique iranienne du président, sous la dictée d’un Bolton ou de délégués de l’AIPAC... Cela signifie que l’affrontement entre UE et Washington D.C. se ferait, s’il a lieu, beaucoup plus selon une dynamique de montée aux extrêmes.

La question de l’UE est alors posée de façon extrêmement inattendue et très originale par rapport à ce qu’on sait des origines de cette institution. De nombreux livres et articles récents, –L’ami américain, Washington contre de Gaulle, 1940-1969, de Eric Branca, par exemple, – sont revenus sur ces origines, où, à côté des “supranationalistes” (Monnet, Schumann, Spaak, etc.) et pour les aider décisivement, les USA sont intervenus massivement avec tous leurs services. On cite beaucoup la CIA, mais il est inutile d’aller chercher dans les secrets de l’ombre du renseignement US. Le département d’État, à partir du Plan Marshall, a travaillé opiniâtrement et à visage découvert dans le sens de la fondation d’un édifice qui réduise autant que possible les souverainetés et les capacités de résistance des États-nation européens  aux pressions récurrentes des forces américanistes, financières et corruptrices, commerciales, culturelles, d’influence, etc. Tout cela fait qu’on désigne habituellement l’UE comme une machinerie d’origine US et complètement contrôlée par les USA, – ce qui a toujours été , dans tous les cas selon notre point de vue, une vision exagérément simpliste.

Quoi qu’il en soit et l’image d’allégeance aux USA ayant persisté jusqu’ici, on se trouve aujourd’hui dans une situation vraiment inédite, que rien n’est venu démentir ni même amoindrir depuis que l’événement essentiel de l’élection de Trump a eu lieu. Le cas du JCPOA étant potentiellement bien plus grave que celui de l’Accord de Paris ou des nouvelles sanctions contre la Russie, avec notamment la possibilité de développements très importants sinon catastrophiques, la possibilité d’une rupture aux allures d’affrontement entre l’UE et les USA de Trump doit être évoquée. Si vous vous promenez aujourd’hui dans l’un ou l’autre couloir de tel ou tel institution européenne et que vous demandiez « Peut-il y avoir rupture entre les USA et l’UE », on vous réponds « Qu’est-ce que c’est qu’une rupture aujourd’hui ? Vous savez bien... Mais oui, la menace de ce qu’on pourrait nommer “rupture” n’a jamais été aussi forte... »

On comprend aussitôt que, par ces étranges détours et ces paradoxales évolutions permises par l’extraordinaire désordre que cause le tourbillon crisique où nous nous agitons, l’UE qui est dans certains cas pour nous une machinerie-Système à combattre absolument, devient une dynamique antiSystème en participant activement à la mise en cause des liens transatlantiques. Ce n’est certainement pas la dernière fois que nous rencontrons une de ces bifurcations extraordinaires qui transforme conjoncturellement un outil évident du Système en machinerie antiSystème. Mais il s’agit essentiellement pour illustrer le caractère hors du standard de cette époque, dans le chef de la production de tels phénomènes, de leur accélération de rythme, du rapprochement de leurs interventions, de leur importance opérationnelle, de la radicalisation de leur transformation, etc., d’une situation absolument nouvelle, vraiment d’une substance différente.

Et tout cela par la grâce étrange d’un seul homme qui n’a, on en conviendra évidemment, vraiment rien de commun avec la Grâce au sens élevé et noble du terme... Un commentaire d’un lecteur qui se donne le surnom de “Deplorable”, du texte de WSWS.org déjà référencé nous paraît convenir particulièrement à notre propre conception, concernant la conduite des USA et le comportement du président Trump. Il rompt avec le ton habituellement solennel et rigide du site et de ses lecteurs, en observant la situation avec l’œil ironique qui convient.

Sa phrase du titre de son intervention dit tout à cet égard ; nous la reprenons entièrement à notre compte tant elle exprime justement une position antiSystème que nous ne pouvons qu’appuyer, qui constitue la seule voie possible pour attaquer le Système par tous les moyens possibles : « Si Trump n’existait pas, il faudrait l’inventer... ». Comme l’alchimiste transformant en or le vil plomb, Trump crée de l’antiSystème à partir de ses actes les plus erratiques et les plus conformes par aveuglement et goût d’un hybris de téléréalité conduisant à ce qu’on croirait être une attitude de complète conformité aux vœux du Système alors qu'elle haboutie à son inversion. (NB : une seule remarque, “Deplorable” pêche par une toute petite mésinformation, qui le ravirait d’ailleurs ; même un des quatre pays de l’alliance Five-Eyes, et pas des moindres puisqu’il s’agit du Royaume-Uni, s’oppose à l’initiative de Trump.)

« Remarquables réalisations de son administration jusqu’ici.

» Une OTAN solide est une très mauvaise nouvelle pour le monde alors qu’il [Trump] sème la discorde, particulièrement en Europe, où les membres de l’alliance réalisent finalement qu’il y a la nécessité d’une politique indépendante pour répondre à leurs propres besoins, et nullement ceux des USA.

» Les politiques suivies par Trump (sanctions contre la Russie, politiques “America-First”) ont touché l’Europe sur une échelle qui se mesure en $milliards et promet de faire encore plus de dégâts, ce qui devient inacceptable. Sa position anti- Accord sur le Climat n’est accepté par personne. Sa politique de risque d’une Troisième Guerre mondiale contre la Corée du Nord et pour une attaque de l’Iran pour le compte d’Israël est également unanimement rejetée sauf pour les abjects esclaves de l’alliance Five-Eyes.

» Sur le front intérieur, sa politique économique de pression jusqu’à la mort d’une population économiquement épuisée pourrait finalement produire quelques résultats positifs [de révolte] dans un électorat léthargique et régulièrement soumis à la propagande.

» D’autre part, l’une de ses véritables réalisations, la liquidation de l’accord de libre-échange ALENA doit être applaudie et soutenue. L’un dans l’autre, une performance remarquable pour un crétin, ne pensez-vous pas ? Je dis “Longue vie au Donald”... »

 

Mis en ligne le 15 octobre 2017 à 16H05