Les folies syriennes de Washington, D.C.

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Les folies syriennes de Washington, D.C.

22 juin 2013 – Certains font la comparaison de la marche “vers la guerre” (vers l’engagement en Syrie) d’Obama, le comparant à la marche vers la guerre en Irak de GW Bush. Cela vaut sans doute pour l’argument (un usage du chimique par Assad aussi bidon que les armes de destruction massive de Saddam), et sans doute aussi pour l’esprit de la chose et la forme intellectuelle qui préside à la pression vers l’engagement. Mais la vérité de la situation washingtonienne est, elle, notablement, sinon radicalement et décisivement différente. Le résultat sera à mesure.

Tout le monde marchait plus ou moins au pas derrière l’administration Bush vers l’attaque de mars 2003, après un bref débat en juillet-août 2002 autour de la pertinence du conflit ; la dynamique s’appuyait sur un sentiment à la fois d’inévitabilité du conflit, de supériorité exceptionnelle de la puissance US, d’unanimité plus ou moins forcée de l’establishment après quelques réticences rapidement étouffées. Le paysage washingtonien est, aujourd’hui, radicalement différent, presque un autre univers. Il montre une agitation complètement désordonnée et sans le moindre sens assuré, autour d’un président Obama caractérisé dans son “action” par l’inaction, sous forme d’hésitation, d’incertitude, de rhétorique contrainte et complexe, avec comme une sorte de dégoût paralysant pour le principe même de l’action. Cela conduit à un président au parler en général belliciste qui s’avère incapable de lancer des opérations allant dans ce sens. Ce flottement permanent du pouvoir, noyé dans une constante offensive de communication empilant narrative sur narrative, laisse effectivement le champ libre à un désordre impliquant des pressions aussi bien hostiles qu’objectivement favorables à Assad. Plus encore, la vérité de la situation sur le terrain, en Syrie, totalement ignorée dans la rhétorique politique appuyée sur les narrative (voir le G-8), pèse par contre d’un poids de plus en plus écrasant, et peut-être désormais décisif, sur les divers acteurs de ce désordre washingtonien. On retiendra trois épisodes de ces derniers jours et leurs éléments essentiels, qui illustrent cette situation washingtonienne.

• Il a très vite transpiré que, le 12 juin, lors d’une réunion de sécurité nationale sur la Syrie à la Maison-Blanche, que le secrétaire d’État John Kerry, avait brusquement proposé une attaque immédiate contre des objectifs spécifiques, essentiellement des bases aériennes militaires, en Syrie. La proposition était complètement inattendue, nullement précédée d’échanges d’arguments aux niveaux subalternes entre les agences et ministères impliqués, comme c’est de coutume. Pris de court, le Pentagone, dans le chef du général Dempsey qui préside le comité des chefs d’état-major, a répliqué sans prendre de gants : un “non” catégorique, arguant de l’ampleur de l’opération, des risques divers, etc. (De Antiwar.com, le 20 juin 2013.)

«...[A]apparently an immediate war against Syria was narrowly averted on June 12, the day before, when Secretary of State John Kerry started pushing a plan for “immediate” US air strikes against government targets.

»Kerry’s scheme was shot down loudly by Joint Chiefs of Staff Chairman Gen. Martin Dempsey, who pointed out that Syria has air defense systems and Kerry’s list of targets would require more than 700 separate bombing sorties to accomplish. Even then, Dempsey noted, neither Kerry nor anyone else in the State Department seemed to have any sort of post-strike plan, and that he seemed to just want to start bombing Syria without any idea what comes after the bombs are dropped.»

• Divers commentaires ont suivi la révélation (le 18 juin) de cet intermède. Il y a surtout celui de Jeffrey Goldberg, de Bloomberg.News. Goldberg avait effectivement été l’un des premiers à annoncer l’incident Kerry-Dempsey (le 19 juin 2013) ; le 20 juin 2013, il publiait un commentaire qui prenait nettement le parti de Kerry (ce n’est pas une surprise pour cet auteur, Goldberg) en énonçant six arguments venus des milieux proches de secrétaire d’État. Ce sont des arguments sans surprise, qui ont leur valeur mais qu’on peut également discuter, – selon l’état d’esprit qu’on a, selon que l’on veut privilégier l’usage de la force ou non, y compris selon la thèse très américaniste et généralement aussi paradoxale que contradictoire de “faire progresser les négociations” et de préparer Genève-2 en affaiblissant la position de force dont dispose Assad, donc en étendant la guerre avec les risques de conflagration générale que cela suppose. L’un des arguments est intéressant, non pas en lui-même mais parce qu’il suggère l’influence qui a poussé Kerry à cette proposition subite, – qui est l’influence de la nouvelle ambassadrice des USA à l’ONU, Samantha Powers, proche idéologiquement de la nouvelle directrice du NSC, Susan Rice. On appréciera dans cette citation la charge idéologique courante chez les liberal hawks, avec l’habituelle référence sacralisée... «The official U.S. position is that we feel very bad about what happened in Rwanda in 1994, so we shouldn’t let this sort of thing happen again (Samantha Power, Obama’s nominee for United Nations ambassador, has popularized the idea that “Never Again,” in practice, has meant only that, “Never again we will allow the Germans to kill the Jews in the 1940s.”) It is true that while Syria civil war might not yet possess the characteristics of genocide, the humanitarian imperative here is profound.» Conclusion : il est probable qu’on reverra de ces louvoiements de Kerry (il proclamait il y a six semaines une entente décisive avec Lavrov), qui semble effectivement très sensible aux influences, et qui devrait continuer à évoluer, toujours au nom des négociations et de la paix, d’une situation extrémiste à une situation de compromis.

• Ici, un intermède plus technique et militaire a son intérêt. Il vient de Breaking Defense, le 17 juin 2013 et rapporte une conférence de presse réservée aux journalistes spécialisés, du nouveau chef d’état-major de l’USAF, le général Welch. Il s’agit de donner une évaluation des capacités de l’USAF présentement, et cela a l’intérêt qu’on comprend puisque tout projet d’attaque ponctuelle, ou de no fly zone, auquel participeraient les USA solliciterait principalement les capacités de l’USAF. Celles-ci sont, pour le moins, extrêmement ténues. A cause des exigences et des complications extrêmes de dotation découlant des contraintes du processus de séquestration, l’USAF a été obligée de “désactiver” temporairement, à un niveau plus ou moins haut, 33 escadrons d’avions de différents types, ce qui représente près de 500 unités, ou plus d’un cinquième de sa flotte active. Les observations du général Welch, quoique fort imprécises sur ce point, impliquent que l’USAF devrait réactiver un certain nombre de ces escadrons pour mener une campagne contre la Syrie, essentiellement en raison de tous les autres engagements prioritaires du service ; une réactivation satisfaisante, outre de coûter très cher (un escadron complètement opérationnel coûte 150% plus cher qu’un escadron en partie “désactivé”), prendrait un temps qui n’est pas négligeable : autour de six mois... On comprend la réaction violente de Dempsey à la proposition de Kerry, outre le peu de goût des militaires pour un nouveau conflit.

«“It depends on the risk you’re willing to accept,” Gen. Welsh told reporters this morning, in response to a question from the incomparable Tony Capaccio of Bloomberg News. The Air Force has currently had to ground about 33 squadrons, Welsh had already told the audience at an Air Force Association breakfast, 12 of them “combat-coded” fighter and intelligence, surveillance, and reconnaissance (ISR) units. Another seven have been reduced to doing only basic “takeoff and landing” training, although Welsh was optimistic the funds freed up by sequestering federal workers would buy back their readiness – albeit not immediately.

»“If we have aircraft that would be needed to conduct a no-fly zone, and they haven’t been flying, hopefully we would have time to get them up to speed before we use them,” Welsh told the clustering reporters. That’s not quick and it’s not cheap: It takes 150 percent more money to get a fully grounded squadron combat-ready again than it would to simply keep it trained up all along, Welsh said, and the process can take about six months. Even if there wasn’t time to train back up, however, he said, “if we were ordered to go do it, we’d go do it. And we would be accepting the risk of those people not being as current [on their training]. For me, that’s a risk we don’t want to be accepting.”

»That’s especially true because Syria is a more dangerous anti-aircraft adversary than was Libya in 2011 or even Iraq during the no-fly zone era from 1991 to 2003. “We know the Syrians have more updated equipment than they had in Libya or Iraq. We also know they actually operate it,” Welsh said. “They turn it on, they use it, they train with it…. So our assumption is they’re better trained.”»

• D’autre part, il y a une initiative bipartisane lancée par trois sénateurs, les démocrates Menendez et Levin, et l’inévitable républicain McCain. (Deux démocrates sur trois, parce qu’il s’agit d’impliquer le plus possible le parti du président, pour faire pression sur le président. Par conséquent, l’inamovible Lindsey Graham, qui est de tous les coups agressifs avec son amigo McCain, n’est pas si inamovible que cela puisqu’il est, dans ce cas, dispensé de corvée.) Il s’agit d’une lettre commune adressée au président, s’inquiétant des progrès considérables effectués par l’armée syrienne contre les rebelles. Les trois signataires expliquent que, dans ces conditions, fournir des armes aux rebelles ne constitueraient pas une initiative suffisante pour permettre aux rebelles de rétablir la situation. Ils préconisent non seulement des livraisons d’armes aux rebelles mais rien de moins qu’une no-fly zone. (L’initiative est notamment décrite par le site Strategfic-ciulture.org, le 20 juin 2013. Il est intéressant, dans le registre de la responsabilité ou plutôt de l’irresponsabilité, de préciser, après avoir entendu ce que le général Welch avait à dire, que les trois signataires sont tous membres de la commission des forces armées du Sénat, et donc particulièrement informés des problèmes des militaires et de leurs capacités actuelles. (Ont-ils notamment à l’esprit que, pour les militaires, une no-fly zone est un acte de guerre [voir le 3 juin 2013], avec toutes les conséquences que cela suppose ?)

«A bipartisan trio of key US senators expressed surprise at the rapid and “dramatic” advances recently made by the Syrian army, cautioning President Barack Obama that arming the rebels would not do much to help them. [...] Yet, the senators are now asking the US to enforce a no-fly zone and start direct military intervention in Syria. The senators said the US should consider targeting regime airfields, runways and aircraft, and help rebels establish safe zones in Syria.»

• En sens exactement inverse du cas précédent, et le jour d’après, voici l’initiative, également bipartisane, prise par quatre sénateurs, – deux démocrates et deux républicains. Il s’agit des démocrates Tom Udall du Nouveau Mexique et Chris Murphy du Connecticut, et des républicains Mike Lee de l’Utah et Rand Paul du Kentucky. Ces quatre sénateurs ont présenté un projet de loi interdisant une aide militaire (officielle) du gouvernement aux rebelles syriens tant que ce gouvernement n’aura pas donné des informations supplémentaires et satisfaisantes sur cette initiative que les quatre jugent “risquées” en l’état. Il est difficile, ou bien prématuré c’est selon, de se prononcer sur le sort de ce projet de loi, devant un Congrès très divisé entre partisans et adversaires de l’initiative gouvernementale. Le projet de loi concerne d’ailleurs plus l’aspect légal de cette affaire, c’est-à-dire la politique officiellement déclarée, que le fait lui-même de livraisons d’armes qui est clandestinement en pleine activité depuis le début des troubles en Syrie où, pour le côté US, la CIA, les forces spéciales, etc., interviennent indirectement ou directement, et où des armes sont régulièrement acheminées de façon officieuses. Ci-dessous, quelques mots de Reuters, ce 19 juin 2013.

«The bill would prevent the Department of Defense and U.S. intelligence agencies from using any funds to support military, paramilitary or covert operations in Syria, directly or indirectly. The bill's sponsors [...] expressed doubts about Washington's ability to ensure weapons will not fall into the wrong hands, and called for debate in Congress before the United States becomes more involved in Syria's civil war. “The president's unilateral decision to arm Syrian rebels is incredibly disturbing, considering what little we know about whom we are arming,” Paul said in a statement. [...]

«Many members of Congress, particularly in the Republican-controlled House, remain deeply sceptical about plans to arm the rebels, questioning the cost when other programs are being cut and worrying that U.S. weapons could fall into the wrong hands. Others have been pushing for military aid for months, with some senators in particular denouncing Obama for his failure to intervene in a conflict in which more than 90,000 people have been killed.»

Une “politique syrienne” pour l’effondrement

Il est difficile, ou bien accessoire, de sortir de tout cela des tendances dominantes et clairement identifiables, à Washington, sur les perspectives de l’engagement US dans la guerre (et plutôt des obstacles à l’engagement US en Syrie), voire même sur la politique washingtonienne elle-même. On n’a nullement, dans ces quelques nouvelles, un tableau précis où s’affronteraient, selon des lignes nettement marquées, et selon les terminologies courantes, les “durs” (les faucons) et les conciliants (les colombes). Comme exemple de cette impossibilité, à la fois d’étiqueter les protagonistes et par conséquent d’apprécier ce qui serait une “politique” selon des protagonistes étiquetés et selon qui pourrait l’emporter, on voit bien que le Pentagone est un adversaire, sinon un adversaire déterminé et même décisif, de la politique aventuriste et belliciste. C’est une position reconnue depuis des mois sinon des années pour le domaine de la détermination de la politique, et d’ailleurs largement documentée depuis plus d’un an pour la Syre [voir le 8 mars 2012 et encore le 8 mars 2012]. (Le Pentagone avait déjà été, en 2006-2008, nettement hostile à toutes les tentatives de conflit avec l’Iran venues de l'administration Bush, et avait joué un rôle absolument déterminant dans ce sens, dans le chef particulièrement de l’U.S. Navy.) Pourtant, le Pentagone reste cette force centrale du Système dans sa position de pivot du complexe militaro-industriel, dont l’activisme est archi-reconnu à la fois dans l’implantation expansionniste des forces bellicistes US (du Système) et dans l’activisme déstructurant et dissolvant, illégal et clandestin, dans la plupart des régions du monde, avec ses énormes réseaux de bases, d’intervention technologique agressive (drones), d’interventions covert de forces spéciales et de soutien, de promotion de forces déstabilisantes diverses. On ajoutera à ce désordre considérable des intentions réelles du centre de la puissance militaire US, l’intervention de plus en plus prégnante, notamment dans la posture des militaires, de la crise budgétaire US, désormais installée de façon structurelle et particulièrement chaotique, notamment par la grâce suspecte de la séquestration, et par conséquent une intervention essentiellement dissolvante de toute organisation solide dans l’évolution des moyens déjà extraordinairement limités par rapport à son déploiement et à ses ambitions classiques de la puissance militaire US.

Les deux interventions parlementaires antagonistes elles-mêmes témoignent, par leurs caractères bipartisans, des divisions au sein des partis. Désormais, on ne peut d’ailleurs plus avancer d’une façon certaine que telle ou telle tendance domine au Congrès, où les chocs déstabilisants se succèdent (le dernier en date, la crise PRISM/NSA) et ne contribuent qu’à amplifier le désordre et à brouiller les cartes d’un jeu ordonné, jusqu’à interdire quelque jeu ordonné que ce soit. Au niveau de l’autre pouvoir, l’administration et son gouvernement, dominés sinon écrasés par l’incertitude chronique de son chef suprême, on observe cette initiative Kerry et l’on voit un secrétaire d’État à la réputation de modéré et de partisan de négociations appuyer brusquement une idée d’action violente immédiate qui est dans son opérationnalité de type purement neocon (ou liberal hawk type-Rice/Powers, ce qui revient au même), et une idée singulièrement aventureuse, à la fois illégale et opérationnellement infaisable selon le verdict des militaires. (Le département d’État aurait pu s’en informer auprès d’eux avant de lancer l’idée, – mais non, l’on improvise et l’on manigance des “coups”.) Cet ensemble, approuvé par Kerry, aurait pu mettre, ou pourrait mettre si le projet subsiste, à très rude épreuve les liens avec la Russie (les partenaires des USA pour Genève-2, idée chérie de Kerry), jusqu’à aggraver brutalement cette situation en provoquant une riposte russe en Syrie même, avec possibilité d’un affrontement à ce niveau.

Où voit-on une politique là-dedans, voire même un débat politique ayant une chance de conduire à la détermination d’une politique ? Lorsqu’on tient compte du passé des 24 derniers mois dans le comportement US, on est conduit à observer que la seule “politique” qui s’élabore, la seule “cause” qui progresse, sont celles du désordre manifesté opérationnellement par la paralysie entraînant l’impuissance, – ou bien est-ce l’impuissance qui nourrit la paralysie, c’est selon. Ces divers événements si complètement accordés à la tendance de la dissolution de toute pensée ferme de achevée, de toute action décidée et appliquée, contribuent à accélérer la même dissolution de la phase commencée dans la dernière décade d’avril concernant l’emploi de l’armement chimique, et cette phase aussitôt identifiée justement comme l’aliment d’un débat contradictoire et producteur de désordre antagoniste de toute politique cohérente (voir le 29 avril 2013). Cette même tendance puissante à la dissolution affecte également (voir le 18 juin 2013) la narrative du projet de livraison d’armes aux rebelles, qui verse de plus en plus dans le désordre elle aussi.

La seule chose précise qui émerge de ce magmas de désordre, c’est le climat, la sensation, qui sourdent de la lettre Menendez-Levin-McCain, où les mots “surprise” et “progrès dramatiques” sont employés pour qualifier les succès d’Assad sur le terrain en Syrie. C’est un ton nouveau, qui est apparu depuis quelques semaines à Washington, à mesure que les succès de l’armée syrienne, avec le soutien du Hezbollah, se confirmaient. Il s’agit d’une situation psychologique qui évolue rapidement, qui devrait apparaître désormais d’une importance capitale... Le brouhaha sans fin de la communication à Washington, cette fois à propos de la Syrie, a transformé subrepticement, mais avec une puissance inimaginable, ce qui n’était qu’une crise accessoire où les USA pouvaient jouer avec des options différentes, en une menace concrète de défaite stratégique majeure où tout se passe comme si les USA mettaient en jeu, dans un “quitte ou double” engagé au pire des propos et des moments, le statut de sa puissance stratégique. Bien que la chose (la Syrie et son sort) n’ait pas de réelle valeur stratégique fondamentale pour Washington, l’évolution de la communication a fini par donner au conflit une importance démesurée, et l’extrémisme des arguments par construire un enjeu approchant le “tout au rien” pour la mesure de la puissance US. Bien que la Syrie et son sort n’aient pas de réelle valeur stratégique pour Washington, ce processus a conduit à affirmer catégoriquement le contraire ; l’hybrys washingtonien a fait le reste, avec des incendiaires du calibre intellectuel d’un McCain ou d’un Lindsay Graham... Désormais, une victoire d’Assad, ou plutôt une défaite des rebelles, serait nécessairement perçue comme une catastrophique défaite stratégique pour Washington.

Cela laisse présager du bouleversement et de la véritable panique qui s’empareraient de Washington s’il devait vraiment y avoir une victoire d’Assad, – ne serait-ce, d’ailleurs, que la reprise d’Alep, qui est bien possible d’ici la fin juillet. Le caractère symbolique de l’événement et l’enflure de la communication emporteraient toute autre considération, et l’on se trouverait devant une crise majeure à Washington même, où la situation syrienne serait ressentie comme cette fameuse “catastrophique défaite stratégique” des USA. Ce point-là, de type prospectif et essentiellement du point de vue de la psychologie qui gouverne l’évaluation des choses, est sans aucun doute le plus intéressant à suivre car il bouleverserait la situation politique à Washington, éventuellement avec des surprises intéressantes... Ainsi en est-il de la “politique syrienne” des USA : elle n’existerait vraiment, comme argument de l’affrontement interne à Washington, que dans l’occurrence d’une évolution catastrophique (pour les USA) en Syrie, pour affirmer l’échec d’une “politique“ qui n’a jamais existé et en faire une catastrophe pour la puissance US ; elle transformerait l’affrontement larvé actuel à Washington, entre politiciens, en une guerre civile ouverte à propos de l’effondrement de la puissance US. Le champ de bataille de Washington deviendrait d’une intensité plus grande encore que la bataille en Syrie : avant qu’elle ne décide d’intervenir en Syrie si elle y parvient jamais, l’élite-Système washingtonienne se serait entretuée en guerre ouverte à Washington même, ouvrant la porte à cette “catastrophique défaite stratégique” dont on finirait par croire que les USA semblent la rechercher depuis au moins 9/11, au gré de leurs multiples aventures, comme si le déploiement quasiment hypomaniaque de leur machinerie de surpuissance (pourquoi ne parleraient-ils pas de “volonté de surpuissance”, pour remettre Nietzsche à sa place quand il est question des USA ?) cachait une fascination secrète pour leur autodestruction.

... Ainsi la crise haute qui avait transporté son cœur en Syrie, achèverait-elle, après la crise PRISM/NSA de migrer à Washington même. Elle rejoindrait ainsi, bouclant la boucle, son principal géniteur, le bras armé du Système, suscitant au moins une ouverture intéressante pour la possible opérationnalisation de la crise d’effondrement du Système.