Les aventures extraordinaires et furtives du général, hollandais et volant

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Nous allons tenter de reconstituer cette aventure extraordinaire et néanmoins furtive, non pas nécessairement dans l’ordre chronologique mais dans l’ordre de la dramaturgie.

• Le 5 janvier 2009, la société Thales Nerdland B.V., qui fait partie du groupe français Thalès, qui est le nom de l’excellente compagnie d’électronique militaire Holland Signaal rachetée par Thalès, publie un communiqué où elle annonce qu’elle accueille en son sein un prestigieux chef militaire hollandais, le général Dick Berlijn, – dont l’OTAN nous renseigne également sur la biographie.

Qu’est-ce que nous dit Thales Nerdland B.V. à ce propos? Que Berlijn va mettre à sa disposition son incomparable expertise et ses formidables réseaux de connaissance

«General (retd.) Dick Berlijn has been appointed as a member of the Supervisory Board of Thales Nederland B.V.

»Dick Berlijn started his career in the Netherlands Armed Forces as a jet fighter pilot in the Air Force. He resigned in April 2008 as Commander of the Armed Forces.

»Thales Nederland is pleased that General (retd.) Dick Berlijn is prepared to make his unique qualities available to the company. He will bring his vast operational knowledge and his extensive international network.»

Avant de rejoindre Thales Nederland B.V. au terme de quelques mois de repos bien gagné, Berlijn avait été chef d’état-major de la Force Aérienne Royale Néerlandaise (RNethAF), de 2002 à 2004, puis chef d’état-major des forces armées, jusqu’en avril 2008. Berlijn, brillant pilote de chasse, n’avait eu de cesse de convaincre ses interlocuteurs, hommes politiques, parlementaires, experts, journalistes, dames patronnesses, le public lui-même, des vertus du JSF, ou F-35, choix évident de la RNethAF comme futur chasseur. Berlijn n’avait de cesse, en vérité, de distinguer cet exceptionnel système par ce qui en fait quelque chose d’unique, de pratiquement indestructible parce que complètement nouveau et absolument irrésistible. Bref, Berlijn a compris la formidable révolution militaire que constitue la capacité furtive (stealth technology) intégrée dans le JSF. Aucun radar ne peut rien contre cette affaire! – argument fondamental du choix du JSF.

• Deuxième épisode, le 11 février 2009. Un communiqué de Thales Nederland N.V. nous apprend l’excellente nouvelle. Son radar S1850M, développé en coopération avec BAE Systems, est sélectionné par la Royal Navy pour équiper les deux futurs porte-avions de cette marine glorieuse. Les radars seront livrés en 2011. Un facteur décisif de la sélection du S1850M a été sa capacité “démontrée” à détecter les objectifs dotés de la capacité furtive (stealth technology). C’est ce que nous dit le communiqué dans ses notes techniques, – avec le passage qui nous intéresse, que nous nous sommes permis de souligner en gras.

«The S1850M surveillance radar is based on Thales's SMART-L radar and was previously delivered to the Type 45 vessels for the UK Royal Navy and the Horizon class vessels of the French and Italian Navies, in a collaboration between BAE Systems Integrated System Technologies Limited and Thales Nederland.

»The system is capable of 3D long range automatic detection, track initiation and tracking of air targets. Its performance has been demonstrated in many tests and the system has proven to be capable of detecting stealth targets in high clutter environments

Le général Berlijn tombe à pic. Il va pouvoir utiliser “his vast operational knowledge and his extensive international network” pour nous convaincre que les capacités extraordinaires du JSF, alias F-35, avec cette ridicule stealth technology, seront réduites absolument à rien pour qui aura la sagesse d’acquérir et d’utiliser le radar S1850M de Thales Nerderland N.V. Il était temps, – nous avions failli être trompés par ces piètres et spécieux, sinon faussaires arguments développés par tel chef d’état-major de la force aérienne hollandaise, tel chef d’état-major des forces armées hollandaises et ainsi de suite, dans le but d’acquérir le JSF. Merci, général Berlijn.

• Pour nous confirmer dans cette appréciation haute du général Berlijn, reportons-nous in illo tempore. Cela se passe quelque part à l’automne 2002, disons en novembre, à un séminaire tenu à Bruxelles. Le thème concerne la question de l’équipement futur des aviations tactiques européennes. En fait, découvre-t-on, ce séminaire ne porte pas sur la question mais sur la réponse. On n’y parle que du JSF, cet avion dont la furtivité en fait la vertu indestructible, et dont l’identité américaniste en fait la vertu décisive. Parfois deux loustics, isolés dans le public, disent deux mots sur l’Eurofighter; parfois un loustic, noyé dans le public, dit un mot sur le Rafale. Ces choses, – l’éventuel choix d’un autre avion que le JSF, – n’ont aucun rapport avec ce dont on parle, qui est une chose sérieuse, qui est “l’équipement futur des aviations tactiques européennes”.

Parmi les orateurs, on remarque le général Dick Berlijn, installé depuis 2000 comme chef d’état-major de RNethAF. Il a bouclé, pour sa force aérienne, la bataille sans divertissement de la participation de la Hollande au programme JSF. A un moment, un questionneur, sans doute le “loustic” signalé plus haut, parle incongrument du Rafale. Magnanime, Berlijn répond que ses services ont fait l’évaluation de l’avion français, que le résultat est connu, et que lui-même, personnellement, n’a rien, vraiment rien à dire, notamment sur les qualités d’un avion qu’il ne connaît évidemment pas.

Puis vient le déjeuner. Le loustic, mentionné ci-dessus, réussit à se mettre proche du général, à une table commune; il l’interroge sur une très récente (quelques jours plus tôt) visite sur une base du Sud de la France (Istres) du chef d’état-major de la RNethAF, à l’invitation de son collègue le chef d’état-major de l’Armée de l’Air française, sur un vol (très long) à bord d’un Rafale du même chef d’état-major de la RNethAF, sur son enthousiasme considérable sur les qualités de l’avion exprimé avec feu sitôt quitté le cockpit devant les personnes présentes, sur sa lettre de remerciement au chef d’état-major français pour son invitation, mentionnant avec chaleur les qualités exceptionnelles de cet avion, et ainsi de suite. Le général ne répondit pas vraiment au loustic, pour que tout le monde puisse entendre passer l’ange qui passait par là. Le général démontra à cet instant qu’il avait, lui aussi, maîtrisé l’art de la furtivité.


Mis en ligne le 16 février 2009 à 11H35