Les 1.347 jours de l’Irak...

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Les 1.347 jours de l’Irak...

26 novembre 2006 — Puisque nous sommes au 1347ème jour depuis le 19 (ou le 20) mars 2003, puisque la “guerre d’Irak” dépasse désormais en longueur, à partir de ce jour, la Deuxième Guerre mondiale (version “courte”, américaniste, celle qui “marche” le mieux et qui est la plus sérieuse), — eh bien parlons-en.

Il y a la façon conventionnelle quoique sérieusement informée d’en parler. Le Financial Times a publié le 21 novembre un article là-dessus, abordant l’événement de cette durée sur le thème des “conséquences cachées” de cette guerre pour l’Amérique (Hidden costs wait to surface from Iraq war’s depths).

«On Sunday the Iraq war will enter its 1,347th day, thus overtaking the US’s involvement in the second world war. The electorate expressed its disaffection with Iraq by delivering a Democratic victory in mid-term elections earlier this month, yet the conflict has barely caused a ripple in the daily life of most Americans.

»Unlike previous wars, most notably Vietnam, where the US’s formal engagement lasted almost three times as long, the economy has continued to look robust having exceeded 3 per cent growth in each of the years since ground forces entered Iraq on March 20 2003.

»Nor has Iraq caused the kind of social turmoil that racked the US during its Vietnam engagement, remembered for mass demonstrations and student sit-ins. With 2,885 US deaths, compared with almost 60,000 in Vietnam and more than 300,000 in the second world war, the casualty rate has been relatively low.

»But… […]

»Mr Campbell, a former naval officer, describes Iraq as a war that is being “funded by debt on a national credit card that is being financed by China”. America’s public debt has risen by more than a third to over $8,000bn (€6,240bn, £4,215bn) since the start of the Bush administration. China’s foreign reserves, mostly held in US treasury bonds, are close to $1,000bn.

»“If you think of the Iraq war as a pool then it is still on the [US] surface,” said Mr Campbell. “But beneath it there are many concealed rocks.” One such hidden cost could be a diminished appetite for international engagement – an “Iraq syndrome” to match the US’s reduced self-confidence following Vietnam is more likely this time, says Steve Clemons at the New American Foundation in Washington.

»“It is too early to be sure what effect Iraq could have on the America public,” he said. “It could be anger, it could be isolationism or some longer-term malaise. There is still a lot that we cannot anticipate.” Others are less pessimistic. “America’s standing in the world is as low as it has ever been,” said Mr Nye. “But people resent America because of our policies not because of who we are. We need to change our policies.”»

“Conséquences cachées”? Pour les deviner, les préciser, les mesurer déjà, il convient de tenter d’en distinguer les causes “cachées”. La principale d’entre elles se résume à une tentative de répondre à cette question de pur bon sens : pourquoi l’Irak? Nullement un “pourquoi?” dans un sens stratégique expliqué mais bien dans le sens fondamental de la conception et du sens.

Une querelle stratégique médiocre

Il y a, derrière cette question, le constat choquant de la disproportion des deux parties de cette partie engagée il y a 16 ans, — partie jamais conclue et qui dégénère aujourd’hui dans le bouleversement et la mise en cause d’une puissance terrestre sans précédent (les USA), voire dans le bouleversement d’une civilisation enfantée ou transformée par cette puissance. Qu’est donc allée faire la puissante Amérique avec ce pays de 25 millions d’habitants qui n’était qu’une puissance régionale mineure? Comment a-t-elle pu se laisser emprisonner dans une querelle stratégique dont les proportions atteignent aujourd’hui des dimensions d’un bouleversement fondamental des relations internationales, par le biais d’une déstabilisation profonde de ses fondements mêmes? Il y a là un mystère historique dont l’explication dépasse largement les données stratégiques de l’affrontement entre les USA et l’Irak.

Le cas est parfait. La guerre d’Irak — celle d’aujourd’hui, à son 1.347ème jour, included — a commencé le 25 juillet 1990, lorsque l’ambassadrice des USA à Bagdad April Glaspie fut reçue par Saddam Hussein. Le mystère de cet entretien n’en est pas un même si cet entretien est en général dissimulé comme s’il était un mystère. Un article publié il y a un an, et que nous avions mis en ligne sur ce site (1) à cette époque, rappelle les détails minutieux, les “minutes” mêmes, de cet entretien. Ces détails avaient été exposés en public, in illo tempore, après que la crise d’août 1990 ait éclaté.

(Gaspie, expressément mandatée par Bush-père et Baker, avait affirmé que les USA n’avaient aucun intérêt engagé par rapport aux revendications de Saddam sur le Koweït, et par rapport à une intervention militaire irakienne : «We have no opinion on your Arab-Arab conflicts, such as your dispute with Kuwait. Secretary [of State James] Baker has directed me to emphasise the instruction, first given to Iraq in the 1960s, that the Kuwait issue is not associated with America.» La même déclaration publique fut reprise à deux reprises, par deux fonctionnaires du département d’Etat, avant l’attaque contre le Koweït.)

L’hypothèse selon laquelle les USA ont délibérément laissé éclater la crise en juillet 1990, qu’ils l’ont même favorisée, pour se donner un argument pour une action contre l’Irak est sérieuse à la lumière de ces interventions publiques. Cela rend encore plus pressante la question de savoir ce que les Américains attendaient de l’aventure irakienne. Dans ce cas, — dans le cas de Bush-père et Baker en 1990, — nous serions effectivement tentés par les explications simples, notamment le contrôle direct ou indirect du pétrole irakien et/ou l’affirmation militaire des USA dans la zone à l’occasion d’une “légitimation” de leur présence que donnerait la liquidation de la menace-Saddam.

Dans tous les cas, ce rappel historique à la lumière de la catastrophe inouïe qu’est devenu l’Irak pour la puissance américaniste permet de mesurer la petitesse et la pauvreté de la pensée stratégique, surtout lorsqu’elle est liée comme c’est probablement le cas à des conceptions de comptables et rien d’autre. La protection ou le contrôle de sources d’approvisionnement est une stratégie défensive, voire une stratégie de survivance, et, qui plus est, une erreur stratégique pure et simple dans des relations internationales caractérisées d’abord par les rapports économiques de l’offre et de la demande.

Washington n’a jamais accepté l’idée même de ce qui a fait sa puissance de la Guerre froide, qui est la capacité d’influence bien plus que les moyens de coercition militaire. Cette capacité d’influence fit, par exemple, que l’Amérique ne se trouva jamais plus forte au Moyen-Orient qu’au moment de sa débâcle militaire au Viet-nâm. A cette époque (Nixon-Kissinger en 1973-76), les USA possédaient une influence prépondérante en Egypte, en Israël, en Jordanie, en Iran, en Arabie et dans les pays du Golfe, et d’excellentes relations avec l’Irak et avec la Syrie.

Le véritable reproche qu’on peut faire aux USA depuis la fin de la Guerre froide n’est pas de s’être conduits comme un empire mais, au contraire, de ne s’être pas conduits comme un empire. L’abandon de la politique d’influence, véritable clef du rayonnement impérial pour les USA, au profit de l’outil militaire sous Reagan, confirmé après l’effondrement soviétique, est une erreur absolument grossière. Le choix de la cible de la soi-disant “affirmation impériale” militaire, l’Irak de Saddam, est pathétique de médiocrité. L’Amérique a abaissé la référence de sa propre puissance à la mesure d’une nation de second ordre, de 25 millions d’habitants. Et, bien entendu, n’ayant pu en être quitte malgré les moyens énormes mis en place aussi bien en 1991 qu’en 2003, l’Amérique, le faux-Empire, s’est trouvée placée en position d’une vulnérabilité exceptionnelle. Tout cela en 1.347 jours et quelques années, — le temps d’un empereur romain moyen, après tout…

Cela nous en dit long sur la capacité historique et psychologique de l’Amérique. En ce sens, la catastrophe irakienne est, pour l’Amérique, le verdict de l’Histoire sanctionnant ses prétentions impériales. Peanuts

 

Note

(1) Article mis à nouveau en ligne le remis en ligne le 28 juin 2008.

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