Le “clic, clic” de la bombe à retardement de la crise climatique devient assourdissant

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Le “clic, clic” de la bombe à retardement de la crise climatique devient assourdissant,


Les Britanniques sont un peuple contrasté, avec un état d’esprit non moins contrasté. Avec la meilleure diplomatie du monde, une intelligence peu commune dans ce domaine, ils conduisent la plus stupide et la plus vaine des stratégies qu’on puisse concevoir dans leurs rapports avec les USA. Sur cet énorme problème de la survie de l’humanité qu’est la crise climatique, ils s’avèrent les plus audacieux, les plus courageux, les plus pugnaces, et de loin, tout en conduisant, au travers de la démarche de Tony Blair, la politique la plus aveugle et la plus vaine (bis) face au pays qui détient l’essentiel de la responsabilité en cette matière, — les USA, certes.

(Nous dirions, faisant nos comptes, que les USA, ou plutôt le système de l’américanisme, compte 7% de la population du globe, qu’il compte pour près de 30% de la pollution globale, qu’il porte entre 75 et 80% de la responsabilité de cette crise. Fermez le ban.)

La crise climatique n’est pas une “crise universelle” de type angélique

Il nous semble complètement inapproprié et irresponsable de suivre l’approche habituelle, depuis un tiers de siècle, consistant à séparer l’aspect environnementaliste de l’aspect politique. C’est la politique d’“apaisement” en général suivie par une partie non négligeable des mouvements écologistes, par ignorance ou par tentation, consistant à dire : d’une part, soyons libéraux, devenons capitalistes, devenons raisonnablement pro-américains ; d’autre part, restons écologistes et luttons pour la défense de l’environnement. C’est la spécialité des écolos allemands, dont le ministre Fisher représente l’exemple le plus avancé, proche de l’écoeurement lorsqu’on sait la réalité de ses rapports avec les Américains.

En réalité, c’est tout le contraire : la crise politique et la crise climatique sont totalement, indissolublement liées, jusqu’à ne faire qu’une, — avec une dimension métaphysique évidente, dans la simple question de la survie de l’espèce. En témoignent, si besoin était, d’aussi formidables témoignages que celui du président de la Shell ou, dans l’autre orientation qu’on signale,

celui de l’archevêque de Canterbury.

« The viability of the human race is at stake because of “offences against our environment” which threaten the world with further wars and rising inequality, the Archbishop of Canterbury, Dr Rowan Williams, said last night. He warned that in the short term the “addiction” of rich nations to fossil fuels had all the ingredients for the most “vicious kinds of global conflict — conflict now ever more likely to be intensified by the tensions around religious and cultural questions”. He forecast the emergence of “fortress societies” able to possess all the natural resources such as oil and water they required, with the rest of the human race excluded.

» In his first “green” speech as archbishop, Dr Williams adopted the approach of the Eastern Orthodox Church that destroying the environment was a sin, and that Christians had a duty to protect it. He said: “We should be able to see that offences against our environment are literally not sustainable. The argument about ecology has advanced from concerns about 'conservation'. What we now have to confront is that it is also our own 'conservation', our viability as a species, that is finally at stake.”

» He endorsed the remark made by Sir David King, the government's chief scientist, describing climate change as a “weapon of mass destruction”, and called on Tony Blair's government to take a lead in sharing the earth's resources to avoid inequality and conflict over oil and water resources. While the long-term threat was to the survival of the human race, in “the shorter term, what is at stake is our continuance as a species capable of some universal justice”. »

C’est au Royaume-Uni que le débat sur la crise climatique a pris une tournure extrême et urgente

Trois points intéressants sont à relever dans toutes ces interventions.

• Le premier est que ce débat sur l’effet de serre et ses effets sur le climat est directement lié, désormais, à la question du développement économique, c’est-à-dire du choix du type d’économie que nous avons fait. Outre le texte que nous avons mentionné du président de la Shell, homme au fait des réalités économiques s’il en est, un texte comme celui de George Monbiot, dans le Guardian du 14 juillet, est significatif. Monbiot est un commentateur très politisé, très marqué à gauche bien sûr, très incliné à offrir des textes de réflexion générale, de grande politique, d’une remarquable tenue d’ailleurs. Cette fois, au contraire, il s’attaque à un détail de la vie courante, qui rend compte justement de nos choix économiques : les énormes véhicules 4x4 qui prolifèrent aujourd’hui et constituent d’énormes consommateurs d’énergie pour une nécessité bien aléatoire.

« Financial Times, July 3, main section: “French road tax rattles gas guzzlers”. The French government is hoping to impose a tax of up to €3,200 on new 4-wheel drive cars (4x4s), which are wrecking its cities and cooking the planet.

» Financial Times, July 3, How to Spend It supplement: “Wet this baby's head”. A new amphibious vehicle “will be the beefiest 4x4 on road or water”. It has a top speed of over 100mph on the road, and 30mph on the water. The developer is holding down the price to “teach people to recognise it as the way forward”.

» Now we can bugger up our rivers as well as our roads. This is what we mean by progress.

» Neither the Financial Times nor the company's website reveals how many miles per gallon, or gallons per mile, the Gibbs Aquada does, and the woman at the sales department told me she didn't understand what I meant by “mpg”. (Perhaps I am asking too much of these people: the spokeswoman at the Department for Transport hadn't heard of carbon dioxide.) But, in case you were wondering, the FT explains why you might need this vehicle: “This will take you on the school run and up the Amazon.” If your children go to school up the Amazon, in other words, it's indispensable. »

• Le deuxième point à signaler, qui est l’évidence même et qu’on a déjà pu noter à plusieurs reprises, c’est que le Royaume-Uni est le siège d’un débat intérieur sur cette question de la crise climatique sans équivalent ailleurs, dans aucun pays. Cela tient d’abord à des personnalités, comme Sir David King, conseiller scientifique de Tony Blair, qui s’est déplacé récemment à Moscou pour tenter de renforcer l’orientation annoncée par Poutine vers la ratification du Protocole de Kyoto. Cela tient également à un courant général, qui traverse l’establishment britannique et qui est très particulier puisqu’il s’oppose nettement à l’orientation économique et financière du Royaume-Uni, très pro-américaine et donc défavorable à des restrictions dans le système économique de développement. Manifestement, il y a là un affrontement extrêmement vif en train de se développer, qui n’a plus rien à voir avec les fables “écologistes versus ‘gens sérieux’” (avec la variante des écologistes assimilés à des gauchistes anti-capitalistes). Aussi bien King que l’archevêque de Canterbury, que Ron Oxburgh, président de la Shell, que la Chambre des Lords (voir ci-dessous) peuvent difficilement être assimilés aux gens “peu sérieux” que sont en général les écologistes pour les commentateurs du Financial Times.

• Le troisième point à signaler est que ce débat sur la crise climatique se fait au Royaume-Uni sur le fond du débat politique sur les relations transatlantiques, déjà largement suscité et alimenté par la crise irakienne et la politique aujourd’hui entièrement personnelle de Tony Blair. A cet égard, il faut signaler la très récente prise de position de la Chambre des Lords, institution pourtant archi-conservatrice où il est difficile de trouver la moindre trace d’écologisme folklorique. La commission de la Chambre qui s’est saisie de ce problème de la crise climatique l’a effectivement placé dans le cadre direct des relations du Royaume-Uni et des USA, donc dans un cadre hautement politique.

« Tony Blair today comes under criticism from a group of scientists and diplomats for failing to use Britain's “special relationship” with the US to put pressure on US president George Bush to ratify the Kyoto protocol. The intervention is made by peers on the cross-party House of Lords science and technology committee, whose members demand that Britain redouble its efforts to persuade Mr Bush to change his mind on climate change. They include Lord Wright of Richmond, a former head of the Foreign Office; Lord Hunt of Chesterton, a former chief executive of the Met Office; and Lord Mitchell, an IT entrepreneur.

» The committee's report, published today, says that the government should “take further steps at the highest levels to persuade those governments which have not yet done so to take action to address the problem of climate change, and in particular to ratify the Kyoto protocol”. »

La crise climatique est la fondamentale pierre d’achoppement de la crise transatlantique

Tout se passe comme si les Britanniques avaient compris, dans l’ensemble de leur establishment, parfois toutes tendances confondues (de Lord Hunt of Chesterton à George Monbiot, en passant par Sir David King et Ron Oxburgh), que la crise climatique menace, qu’elle a des dimensions potentielles apocalyptiques, qu’elle a un rapport évident et certain avec notre comportement et notre politique. S’ils ont compris cela, c’est parce que leur propre crise les porte effectivement à cette interprétation des choses. Il devrait vite apparaître évident que la crise climatique (et la différence d’approche de la question adoptée par les Américains) devrait devenir un des principaux sujets, sinon le principal sujet de discorde entre les Etats-Unis et l’Europe, et le Royaume-Uni au premier rang des Européens, — et cette évolution, à mesure que les effets de la crise climatique et les polémiques autour de celle-ci vont s’amplifier.

Tony Blair est dans une position dramatique. Un regain de popularité est devenu une nécessité pour lui, y compris au sein de la classe politique. Certaines indications montrent que la crise climatique pourrait être un terrain où il pourrait espérer regagner un peu de cette popularité perdue, tout en affirmant une position plus indépendante vis-à-vis de Washington, pour rencontrer une des critiques les plus constamment faites contre lui (son alignement sur Washington). Une occasion existe d’ores et déjà, ainsi qu’un état d’esprit gouvernemental dans ce sens, comme le note le Guardian :

« Mr Blair recently declared he would place global warming at the heart of his chairmanship of the G8 next year. The Lords' carefully phrased criticism came as the government admitted that the “grim reality” of climate change is beginning to alarm ministers. Margaret Beckett, the environment secretary, says in an interview with the Guardian today: “I think there's a greater perception now that it's actually happening.” »

Il est évidemment intéressant que ce soit au Royaume-Uni, pays où le mouvement écologiste n’a jamais pu trouver une affirmation politique structurée, que le débat sur la crise climatique atteigne cette intensité ; qu’il atteigne cette intensité en étant de plus en plus directement lié à la question de la forme de développement économique que nous avons choisie ; qu’il atteigne cette intensité dans un cadre de plus en plus politique, dans le cadre des relations transatlantiques (anglo-américaines), dans la mesure où les conceptions américaines en la matière, du moins celles qui sont officiellement exposées par l’administration et partagées par les forces qui la soutiennent, s’avèrent radicalement opposées à toute forme de modification du système économique pour freiner l’émission de gaz à effet de serre.

On peut même observer que cette question de la crise climatique, dans la mesure où elle pose la question de la forme du développement économique jusqu’à mettre en cause cette forme de développement, déchire le monde anglo-saxon en général. On sait en effet qu’aux Etats-Unis mêmes, des divergences profondes existent entre les pouvoirs en place, et ces divergences ont déjà pris des aspects institutionnels, entre centre fédéral et certains États de l’Union. Ces différences sont destinées à s’accroître quel que soit l’élu de novembre prochain, tant les positions deviennent inconciliables, et chacune d’elles étant notablement affirmée. Si, en novembre prochain, une administration nouvelle décidait de rejoindre le protocole de Kyoto, il est probable que certains États, comme le Texas par exemple, refuseraient de suivre cette orientation. (Au Royaume-Uni même, de telles tensions existent, comme on le voit avec la prise de position d’une association de l’industrie britannique, en janvier dernier, par contraste avec ce que nous détaillons ci-dessus.)

Contrairement à ce qu’on pourrait admettre à première vue, la matière ne sera nullement cantonnée à l’écologie, l’environnement, etc, voire même à l’économie. La question de l’environnement est d’ores et déjà stratégique et la crise climatique touche évidemment toutes les matières de sécurité nationale. (On a vu que le premier département à s’en occuper sérieusement aux USA est le Pentagone.) Les divergences en matière de lutte contre la population et de stratégie face à la crise climatique vont nécessairement prendre des orientations politiques de plus en plus marquées. Le monde anglo-saxon et la cohésion entre les USA et le Royaume-Uni seront concernés au premier chef.


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