La question “principes contre ‘valeurs’”

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La question “principes contre ‘valeurs’”

Dans le Forum du 18 novembre 2013, d’un texte publié ce même 18 novembre 2013, un lecteur, monsieur Stéphane Eybert, nous interrogeait (à la date du 9 décembre 2013) sur la question “principes versus ‘valeurs’”. Il observait :

«Je vois que dedefensa utilise souvent la comparaison de principe (que le bloc BAO n'a pas) et de valeur (que le bloc BAO utilise). Dedefensa explique-t-il quelque part ce qu'il faut entendre par principe et par valeur ? Je vois mal ce qu'il entend par principe.»

Nous avons pour principe (sic) de développer nos conceptions, non à partir de points théoriques pré-déterminés mais à partir de l’observation de la situation en cours, parce que cette situation présente est extraordinaire dans le sens où elle est immédiatement perceptible et concevable en termes métahistoriques. C’est-à-dire, à notre sens, que les événements sont d’une telle hauteur et d'une telle richesse profonde de signification, ils échappent tant aux normes de la politique humaine habituelles, qu’ils dégagent directement un sens métahistorique dans leur opérationnalité même. (Cela se comprend par la remarque complémentaire évidente que les élites politiques, – directions actives et commentateurs, – complètement phagocytées par le Système, ont perdu toute capacité de contrôle des événements et ne parviennent plus à imposer l’interprétation-Système conforme, – paradoxe désormais classique où l’emprise surpuissante du Système détermine des impuissances opérationnelles et conceptuelles qui sont autodestructrices.) Par conséquent, l’observation et la compréhension de cette situation conduisent à la détermination de concepts fondamentaux, eux-mêmes de valeur métahistorique, permettant ainsi le développement d’une métaphysique. Il s’agit d’un cas que nous jugeons extraordinaire, parce que notre époque est de cette sorte, permettant de développer une métaphysique à partir d’événements effectivement extraordinaires parce qu’ils sont en essence une métaphysique appliquée et opérationnelle avant d'être identifiés selon des concepts métaphysiques ou comme concepts métaphysiques, parce qu’ils (ces évènements) sont dotés eux-mêmes d’une essence alors que les actes et les pensées des sapiens à l’intérieur du Système ont perdu leur propre essence.

Notre méthodologie se déduit de ces observations, et nous l’avons développée naturellement, en fonction du constat de cette situation extraordinaire. Par conséquent, nous considérons qu’une part de plus en plus importante de notre travail est d’identifier à mesure les éléments et facteurs métahistoriques que manifestent directement les événements. Ainsi s’expliquent-ils que se dégagent dans nos analyses des concepts qui ne sont pas immédiatement et précisément identifiés et explicités, qui s’imposent dans nos analyses sans avoir été précisément identifiés et explicités. La situation identifiée par notre lecteur (“principes versus ‘valeurs’”) est effectivement apparue dans nos textes depuis quelques temps, notamment à l’occasion de remarques et d’analyses concernant la politique russe. La question de notre lecteur montre bien que nous sommes arrivés à un stade d’observation où cette “situation”, suffisamment décrite et cernée dans les événements “directement métahistoriques”, doit être identifiée et explicitée en termes conceptuels spécifiques. Pour parler concrètement par rapport aux habitudes du site et à ses rubriques diverses, il s’agit donc d’envisager de consacrer un Glossaire.dde à la situation “principes versus ‘valeurs’” ; ce que nous faisons, en inscrivant effectivement ce cas dans un des articles à développer pour la rubrique Glossaire.dde. (Cet article du Bloc-Notes sera repris dans la rubrique Glossaire.dde, comme préliminaire à l’article principal que nous consacrerons à la situation “principes versus ‘valeurs’”.)

En attendant, nous citons un article où, à notre avis, nos observations opérationnelles sont les plus proches d’une explication conceptuelle de ce que nous entendons par “principes versus ‘valeurs’”. Il s’agit d’un extrait du F&C du 23 septembre 2013 consacré à un discours du président russe Poutine devant le “club Valdaï”, ou Valdaï International Discussion Club selon sa dénomination officielle anglaise. Bien entendu, nous recommandons à ceux de nos lecteurs qui sont intéressés par la question “principes versus ‘valeurs’” de se reporter à l’entièreté du texte qui donne tous les éléments factuels déterminant cette orientation d’une esquisse d’une explication conceptuelle. L’on comprend évidemment que cette question “principes versus ‘valeurs’” oppose des orientations conceptuelles par rapport au développement d’une civilisation, mais aussi, à notre sens, par rapport à toute pensée structurée qui s’équipe pour jeter un regard critique sur la situation du monde : les “principes” sont des normes structurelles (structurantes par essence), existant hors de telle ou telle civilisation, et qui doivent être nécessairement utilisées pour orienter structurellement le développement d’une civilisation, pour que celle-ci ait un sens (pour que cette civilisation ne soit pas littéralement insensée) ; les “valeurs” sont des pseudo-normes conjoncturelles (dont le caractère structurant est absolument aléatoire) déterminées par une civilisation donnée elle-même, pour justifier son propre développement et lui donner un pseudo-sens (faux-sens, contresens, simulacre de sens, etc.). Un principe, grâce à la puissance de son essence structurante, ne peut être infecté et subverti par une civilisation faussaire (une contre-civilisation, comme celle que nous vivons) et peut donc devenir un instrument de critique radicale de cette civilisation faussaire. Une “valeur”, qui n’a aucune essence structurante, peut être utilisée par une civilisation faussaire (une contre-civilisation) pour se faire prendre pour une vraie civilisation, et elle l'est même systématiquement lorsqu'il s'agit effectivement d'une contre-civilisation puisqu'elle est justement développée dans ce but.

Voici les extraits de l’article du 23 septembre 2013. L’“attaque déstructurante” dont il est question est portée par les manifestations agressives (dont ce que nous nommons “l’agression douce”) des “valeurs” (opérationnellement, “démocratie”, “droits de l’homme”, etc.) utilisées comme armes par le bloc BAO (dito, le Système), contre la Russie et sa politique principielle.

«Cette observation sur “l’attaque déstructurante” n’est donc pas seulement théorique, et il s’en faut de beaucoup. L’essentiel des références utilisées, sinon toutes, porte sur des domaines hors de la stratégie et de la sécurité collective, hors de toute mention du fait militaire caractérisant habituellement les relations internationales ; de façon bien différente, elles portent sur les domaines des mœurs et des comportements sociétaux comme reflets d’une tendance civilisationnelle, sur des domaines intellectuels et spirituels avec notamment l’acceptation de l’affirmation des religions ou du rejet de cette affirmation des religions comme l’une des références de la vie publique. Ainsi ne s’agi-il pas d’un constat concernant les relations internationales (grande différence d’avec le discours de 2007, répétons-le), ni même d’un constat portant sur un affrontement de civilisation comme celui qu’implique, par exemple, l’expression “choc des civilisations” définissant une situation faussaire selon des intentions idéologiques ; il s’agit d’un constat portant sur le domaine fondamental par excellence, l’essence même de notre crise générale : un constat sur la différence de sens dans l’exercice et le développement de la civilisation elle-même, – et ce mot de “civilisation” pris dans son sens générique le plus large et nullement spécifique, hors de toute assimilation à une civilisation spécifiquement identifiée. C’est le constat d’une différence fondamentale de sens, c’est-à-dire de l’essence même de la chose, de ce qu’est une civilisation. Cette différence est développée et explicitée, si l’on veut, autour de ce qu’on pourrait identifier comme un affrontement entre les “valeurs” et les principes : les “valeurs” étant l’acquis d’un développement donné (la modernité, dans ce cas), instituées par ceux qui l’ont développé, donc par les responsables humains de la modernité, éventuellement devenues, par la force des choses, des acteurs actifs de ce qui est devenu le Système ; les principes étant ce qui est intangible, qui précède tout développement et toute civilisation, qui structure la voie et le sens de ce que toute civilisation doit chercher à faire pour s’accomplir en tant que telle.

»On voit qu’on se trouve là bien loin de la politique, de la stratégie, encore plus loin des standards habituels de l’“idéal de puissance” dont parlait Guglielmo Ferrero (voir le 11 novembre 2008), qui caractérisent en général la cuirasse de références dans laquelle la réflexion de la civilisation-Système telle qu’on la pense nous enferme, pour nous empêcher de penser la civilisation hors du diktat du Système. (Pour rappel et mieux fixer le propos, cette définition de l’“idéal de puissance” par Ferrero, tel que ce même Ferrero le concevait initialement, pour bien identifier les références en question et observer combien elles correspondent à notre propos lorsque nous parlons de la modernité et du ‘déchaînement de la Matière’ : “[I]l est né dans les deux derniers siècles, à mesure que les hommes se sont aperçus qu’ils pouvaient dominer et s’assujettir les forces de la nature dans des proportions insoupçonnées auparavant. Grisés par leurs succès, par les richesses qu’ils ont réussi à produire très rapidement et dans des quantités énormes, grâce à un certain nombre d’inventions ingénieuses ; par les trésors qu’ils ont découverts dans la terre fouillée dans tous les sens ; par leurs victoires sur l’espace et sur le temps, les hommes modernes ont considéré comme un idéal de la vie à la fois beau, élevé et presque héroïque, l’augmentation indéfinie et illimitée de la puissance humaine...”)

»L’on sait bien que la forme de cette intervention de Poutine n’est pas une offensive sortie de rien, qu’elle répond au contraire, comme Poutine le précise d’ailleurs, à une offensive du camp adverse, ou du Système certes, qui s’est développée ces deux ou trois dernières années, sur le terrain justement décrit par Poutine (notre identification d'un “affrontement entre ‘valeurs’ et principes”), hors des domaines de la puissance brute, de la stratégie, du fait militaire, etc. (Nous avons nommé cela “l’agression douce”.) Même les crises qui relèvent de la stratégie et de la géostratégie en apparence, comme le cas syrien, se développent de plus en plus sur ce même terrain, par le biais du système de la communication avec ses tromperies et ses développements hystériques, mais aussi ses pressions extraordinaires obligeant les pouvoirs établis à abandonner certains de leurs projets (Obama reculant devant l’opinion publique défavorables à l’attaque contre la Syrie). On peut déduire de tout cela, en un sens, que le débat d’affrontement a progressé en désertant de plus en plus le champ de la puissance pour celui du sens et de la conception de la civilisation, marquant également la progression de la crise d’effondrement du Système, qui est nécessairement une crise du sens affectant la civilisation devenue contre-civilisation. De ce point de vue, le discours de Poutine marque une avancée conceptuelle, sinon une victoire remarquable de la réflexion désormais acceptable, dans le chef de l’identification du sens de l’affrontement. On ne débat plus sous la pression de la puissance et selon les références de l’idéal de la puissance mais on débat de la valeur même de l’idéal de la puissance (contre l’“idéal de la puissance”, au nom de l’“idéal de perfection”, toujours selon le classement de Ferrero) ; l’idéal de la puissance a ainsi perdu sa valeur référentielle objective et exclusive puisqu’il se retrouve partie prenante, avec ses “valeurs” en sautoir...»

 

Mis en ligne le 14 décembre 2013 à 06H06

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