La guerre de communication de Gabbard

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La guerre de communication de Gabbard

Tulsi Gabbard est en train de devenir une référence nationale à Washington, dans un jeu à la fois avantageux pour ses ambitions de candidate aux présidentielles en 2020, et dangereux pour sa capacité à tenir contre les attaques d’une puissance inouïe qui sont lancées contre elle. Si elle a jusqu’ici assez bien évolué, elle a aussi fait des erreurs, – en fait, une principalement, qui montre qu’elle est éventuellement vulnérable.

Lorsqu’on dit qu’elle est une “référence nationale”, c’est par rapport aux sollicitations des médias, et particulièrement Tucker Carlson de Fox.News, le présentateur des nouvelles politiques le plus populaire aux USA. Ainsi était-elle interrogée hier sur la question de la politique de regime change des USA, ce qui lui a permis notamment de faire un commentaire sur le sommet de Hanoï entre Trump et Kim qui s’est terminé sur un échec. Plutôt que de chercher qui était responsable de quoi et pourquoi dans le déroulement de la rencontre, elle a préféré détailler la position de la Corée du Nord, — ne pas lâcher l’arme nucléaire sans des garanties inaltérables de concessions US, – la forme de l’interview lui a permis de développer une attaque extrêmement claire contre la politique de regime change des États-Unis.

(Pour le cas de la Corée du Nord, la possession de l’arme nucléaire et la volonté de ne rien céder sans des garanties fondamentales, c’est une assurance presque certaine que les USA n’attaqueront pas ce pays pour changer le régime comme ils le font aujourd’hui délibérément dans diverses occurrences. Cette analyse de Tulsi Gabbard est d’autant plus remarquable dans la confusion et la couardise courantes à Washington qu’étant députée de Hawaii, elle représente un État directement concerné par d’éventuelles “menaces” nord-coréennes, lesquelles nous ont valu il y a un an une fausse alerte et 38 minutes de chaos où elle-même [Gabbard] tint son rôle.)

« Gabbard said that although she was “deeply concerned” that the summit ended without any agreement, she was not surprised. She argued that the regime change policy championed by the US is to blame for undermining its own security, as it is ultimately responsible for the failure in breaking the Korean stalemate.

» The congresswoman noted that the US playing global gendarme by “overthrowing and toppling dictators or countries who we don't like” comes with a heavy price to both the American people, who pay “trillions of dollars” to fund these military adventures, and to the people in the countries that suffer as a result of the interventions. It is the military-industrial complex and the top guns in Washington that “invested their entire career” in drumming up support for regime change who profit from constant wars, not the American people, Gabbard said. 

» Asked why Americans still continue to back military action despite overwhelming evidence against it, Gabbard lamented that people are being duped into thinking they are helping those in need.

» The most unfortunate thing is that they sell them under the guise of humanitarianism to American people, who want to be able to do good things, to be able to help people who are suffering, but not pointing out the fact that regime change led by the US has resulted in far more suffering for the people who they supposedly were trying to help.” [...] “Constantly I see people from both parties resorting to name-calling or superficial attacks, because they refuse to engage on the substance of this argument about why they continue to push for and try to wage these regime change wars ignoring these disastrous consequences.” »

L’analyse de Tulsi Gabbard sur la situation générale de la Corée du Nord, et la justification qu’elle donne à la possession de l’arme nucléaire à partir d’une appréciation tout aussi générale de la politique de regime change, est pour le moins originale à Washington, dans les milieux institutionnels, et correspond sans aucun doute à ses positions habituelles. Cela n’a pas été le cas il y a quelques jours, lors d’un incident qui a été largement et négativement commenté par ses soutiens. Lors d’un passage TV devant plusieurs commentateurs et présentateurs, pour l’émission de ABC The View du 21 février, Gabbard s’est notamment trouvée devant la fille de John McCain, Meghan McCain, particulièrement agressive, et qui l’a conduit à répondre (rapport de RT.com) dans un sens très différent de ce qu’elle dit d’habitude sur le sujet du président syrien Assad (“Tout le monde sait qu’Assad est un dictateur sanguinaire et qu’il a employé des armes chimiques contre son peuple”), tout comme sur le sujet des attaques de regime change dont elle a estimé que certaines étaient lancées sur “selon des motifs humanitaire”

« US Presidential candidate Tulsi Gabbard is being accused of “flip-flopping” on her Syria stance and “caving” to mainstream media pressure after a combative interview on The View. Questioned aggressively by panelist Meghan McCain, the daughter of the late Senator John McCain, Gabbard said there was “no disputing the fact” that Syrian President Bashar Assad is a “brutal dictator” who “used chemical weapons against his people.”

» The comments stand in stark contrast to previous statements made by the Hawaii congresswoman, who in the past said she was “skeptical” about allegations that the Syrian government used chemical weapons on citizens and called US efforts to overthrow Assad an “illegal war.” She faced a major backlash from both the media and her colleagues in congress for taking a trip to Syria and meeting Assad himself in 2017.

» While Gabbard tried to offer a balanced view of the situation in Syria, it was the antagonistic questioning from McCain that immediately grabbed headlines, with many framing the interviewer in a heroic light for “confronting” Gabbard, the “Assad apologist.” During the interview, Gabbard also said that US military interventions are often “begun and waged from a place of humanitarianism” despite having previously taken a tougher stance on “military adventurism” and the reasons behind it.

» Gabbard did push back many times against the panel of hostile hosts, saying repeatedly that US interventions have historically made bad situations worse and increased suffering, some of her supporters accused her of folding in the face of “bullying” from McCain. Others acknowledged that Gabbard might have been trying to appease the panelists to get her wider point about the human costs of US interventions across, but argued that she risked alienating the people who already supported her in the process — and said that if she starts making concessions now, she will be forced to make more.

» When the conversation turned to Venezuela, Gabbard angered the panel again, saying that the US trying to choose the leader of that country was “not something that serves the interests of the Venezuelan people,” despite co-host Ana Navarro’s hailing Donald Trump for “leading the solidarity and support of freedom-loving Venezuelans.” »

Certaines critiques de ces faux-pas de Gabbard sont particulièrement fondées, notamment celle qui est de mettre en évidence que tenter d’“apaiser” les faucons hystériques, telle la fille de McCain, ne lui apporte aucun avantage et la met en position défensive et de faiblesse. (Par exemple, ce tweet de OffGuardian : « #TulsiGabbard a commis l’erreur classique, – elle pense que faire une concession à la narrative de la presseSystème sur la Syrie devrait l’aider. Cela ne l’aidera en aucune façon. Les forces qu’elle tente d’apaiser ne seront pas apaisées mais par contre elle s’aliènera ceux qui l’approuvent de dire la vérité. »)

On voit d’ailleurs toute la différence dans l’attitude de Gabbard, crispée, peu convaincante, mal à l’aise face aux interrogateurs de The View, complètement détendue et particulièrement convaincante dans son entretien avec Carlson, – qui dure tout de même plus de 5 minutes, et qui est certainement une réponse proposée par Carlson lui-même à son passage à The View : c’est effectivement le cas, sans doute à la satisfaction sinon à la demande Gabbard, puisque les deux passages sont consacrés à la politique de regime change et que l’on obtient, entre le piège de The View et la complicité de Carlson, des résultats si différents.

(La curiosité très washingtonienne de ces deux passages est que Gabbard, classée démocrate progressiste de gauche, est interviewée par deux personnalités étiquetées au moins conservatrice de droite sinon républicaines, et qui défendent des positions radicalement opposées, avec un traitement à mesure de Gabbard. On trouve là un exemple du désordre considérable qui règne à Washington par rapport aux étiquettes convenues.)

Ce qu’on peut voir dans le compte-rendu de RT.com de l’interview dans The View, c’est l’utilisation qui a été faite des deux erreurs de Gabbard par rapport à ses positions classiques, qui ont aussitôt été l’objet de tweets tandis que les autres segments du même interview où elle défendait ses positions traditionnelles sont passés à l’arrière-plan. Le conseil de Off-Guardian est certainement le bon : contre des interrogateurs hostiles, il est absolument nécessaire de répondre brutalement et abruptement, sans la moindre concession, sans la moindre explication trop complexe, pour rompre la question par une réponse coupante et sans ambiguïté. Gabbard peut le faire puisqu’elle a par ailleurs des alliés de poids (Carlson) qui la laissent s’exprimer sur d’autres plateformes à grande écoute. Il est évident qu’elle doit s’aguerrir au niveau de la communication, et même radicaliser son discours pour répondre à la radicalisation adverse quand la secoinde s'exprime. C’est là sa véritable chance de s’imposer comme candidate importante pour 2020, puisqu’elle portera alors les clefs d’un débat dont on sent bien qu’il ne demande qu’à s’ouvrir, sur la politiqueSystème de Washington (regime change et le reste).

Il s’agit d’une des batailles de la communication essentielles de Washington, dans la perspective de l’élection USA-2020, et sans doute dans une situation qui n’a jamais été aussi favorable à cause du désordre washingtonien, de la confusion apportée par Trump, de l’apparition d’une nouvelle génération de parlementaires difficile à contrôler, des échecs de toutes les expéditions lancées jusqu’ici, etc. Par conséquent, il s’agit d’une opportunité pour Tulsi Gabbard, selon le bon usage qu’elle fera de son arme dialectique...Elle a fait la guerre en Irak, maintenant c’est la guerre de la communication.

Pour nous, c’est l’occasion d'observer si une personnalité politique armées de caractéristiques postmodernes (femme, diversitésans être semble-t-il elle-même postmoderne est mieux apte à percer le Système dans un point de sa structure fondamentale.