Insultes et guerre ouverte UE-Trump

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Insultes et guerre ouverte UE-Trump

On a remarqué le discours de Federica Mogherini, le 11 mai 2018 à l’Institut Universitaire Européen de Florence. Son attaque contre Trump, – bien que le président des USA n’ait pas été nommé, – a été particulièrement violent. 

« Il semble que crier, hurler, insulter et intimider, détruire systématiquement et démanteler tout ce qui existe soit l’état d’esprit de notre temps. Alors que le secret du changement, – car nous avons sans aucun doute besoin de changement, – n’est pas de dépenser toute notre énergie à détruire tout ce qui existe, mais plutôt à construire des choses nouvelles. Cette impulsion pour la destruction systématique ne nous mènera en aucun cas vers quelque meilleur état, elle ne nous permettra en aucun cas de résoudre aucun des problèmes qui se posent à nous. »

Mogherini a également défendu le traité nucléaire avec l’Iran, critiquant l’approche de Trump et ses conceptions (America First, c’est-à-dire  America Only, voire America Alone) : « Les dirigeants mondiaux doivent se débarrasser de l’approche “Je gagne, vous perdez”... Aucun pays n’est assez puissant aujourd’hui pour affronter seul le monde où nous vivons. »

Cette intervention doit être considérée comme exemplaire de la démarche que les dirigeants entendent adopter désormais : une critique à boulets rouges, non dissimulée, contre le président US, considérant que Trump est un accident dans la vie politique US et que son successeur permettra de revenir à de meilleures pratiques. En fait, il s’agit d’en revenir aux premières réactions violentes, “à chaud”, qui avaient accueilli l’élection de Trump, après une année suivant sa prise de fonction où il a été tenté d’établir des réactions normales avec lui. La sortie de l’accord de Paris sur le climat, le transfert de l’ambassade US en Israël à Jérusalem (avec les conséquences des tueries d’hier) et bien entendu la sortie du traité JCPOA ont convaincu les dirigeants européens de l’impossibilité d’avoir des relations normales avec Trump. Cela semble bien, selon des sources européennes internes, l’orientation que doivent prendre les dirigeants européens.

Pour autant, cette attitude ne résout pas certains graves problèmes immédiats, qu’on peut résumer de la sorte : si l’on prend une attitude hostile à l’encontre d’un président des USA, que se passe-t-il au niveau des relations avec les USA ? Plus précisément pour ce qui concerne la question du JCPOA, que vont faire les Européens vis-à-vis des retombées des sanctions réactivées par le président Trump pour leurs propres entreprises/leurs propres économies ? D’autant que si l’attitude vue plus haut vis-à-vis de Trump est effectivement suivie, ce président dont on sait qu’il aime « crier, hurler, insulter et intimider, détruire systématiquement et démanteler tout ce qui existe », laissera aller son « impulsion pour la destruction systématique » contre les pays européens... Que feront alors les dirigeants européens, cette fois non contre le président Trump mais vis-à-vis de la politique des États-Unis ? Il est vraiment extrêmement difficile, voire absurde de tenter de séparer le président des États-Unis de la politique des États-Unis que son président ordonne de suivre.

On mentionnera enfin l’optimisme inhérent aux dirigeants européens de croire que Trump n’est qu’un “accident” dont les effets se dissiperont dès qu’il aura quitté la scène politique. Il y a deux hypothèses qui répondent à cette “espérance” dans le sens de la contredire.

• Trump tient mieux qu’on ne croit, ce qui est d’autant plus possible que son “opposition” (le parti démocrate) ne montre guère plus de finesse manœuvrière et d’attrait politique que lui. Les démocrates sont plongés dans la division et la confusion, sous la pression de leur aile extrémiste progressiste-sociétale, de montages absurdes tels que le Russiagate et d’une corruption qui n’a rien à envier à celle du clan Trump sinon des républicains eux-mêmes. Dans ce cas, Trump passe l’obstacle des élections mid-term (novembre 2018) avec un Congrès restant complètement ou en partie sous contrôle républicain et l’on peut même envisager une réélection. Les Européens devront donc attendre un soi-disant “retour à la normalité” peut-être jusqu’en 2024. Il s’en passera des choses, d’ici là...

• Par ailleurs, quel “retour à la normalité” ? Les Européens ne semblent pas avoir compris que ce qui s’est passé à Washington ne concerne pas un homme comme seule cause, mais cet homme comme symptôme et détonateur, sinon “démonstrateur”. Trump est une conséquence, pas une cause ; c’est le système de l’américanisme qui s’effondre et qui, dans son effondrement, se montre tel qu’il est, permettant à de tels personnages d’arriver où ils en sont ; et, dans ce cas, les analyses très rationnelles sur Trump contre de DeepState ou manipulé par lui n’ont plus guère de fondement car tout se mélange dans une incohérence et un extrémisme déchaînés. (Question aux Européens : croient-ils qu’il est plus facile, plus “transatlantique” comme l’on dit selon le conformisme de l’alliance en cours, de négocier avec un Bolton qu’avec un Trump ?Bonne chance avec Bolton, une fois franchies ses moustaches...)

• ...Si, au pire (“au mieux” pour les Européens), les démocrates prenaient le Congrès en novembre 2018 et lançaient victorieusement une procédure de destitution de Trump, croit-on une seconde que ce serait un “retour à la normalité” ? Notre avis est exactement contraire. La destitution accentuerait le désordre à “D.C.-la-folle”et ferait empirer l’affrontement, l’espèce de “guerre civile” de communication actuellement en cours avec de possibles extensions à l’espace public et dans la population.... Hypothèse contre hypothèse, quant à nous nous avons souvent exploré cette issue et nous sommes fait notre religion.

D’une façon générale et du côté des commentateurs antiSystème ou en général catalogués dans ce sens parce que hors de la presseSystème, et donc en général peu favorables aux capacités d’affirmation de l’UE, et comme on l’a déjà vu avec Paul Craig Roberts, les appréciations sont plutôt en faveur d’un affrontement entre les USA et l’UE. On citera deux commentaires dans ce sens.

• « La décision du président américain Donald Trump sur le retrait du pacte nucléaire iranien de 2015 a un impact significatif sur les plaques tectoniques de la politique mondiale. Au niveau structurel le plus fondamental, l'affaiblissement de la direction transatlantique des États-Unis en cours pourrait être devenu irréversible.

» Sans nul doute, les capitales européennes sont à la fois déçues et furieuses. Le soutien au traité de 2015 est profondément ancré en Europe et la désillusion à l'égard de la présidence Trump est répandue dans l'opinion européenne. En principe, un “regime change” à Washington dans le scrutin de 2020 pourrait quelque peu améliorer les choses, mais deux ans représentent une longue période politique durant laquelle la fracture entre les États-Unis et l'Europe pourrait se creuser et une nouvelle alchimie transformer radicalement et d’une façon catastrophique l’atlantisme, avec la perception croissante des États-Unis en tant que partenaire peu fiable et de plus en plus malveillant. » (M.K. Bhadrakumar, le 14 mai 2018)

• « Les États-Unis ont ouvertement humilié l'Europe en prenant une décision unilatérale sur une question de sécurité aussi importante que l'accord avec l'Iran et en menaçant ses plus proches alliés de sanctions commerciales. Les Européens sont informés des projets énergétiques qui leur conviennent le mieux. Et avant cela, Washington a unilatéralement décidé de se retirer de l'accord climatique de Paris.

» Tôt ou tard, la patience de tout le monde parvient à ses limites. Aujourd'hui, l'Europe est poussée à contrer le message “America First” par une politique “Europe First”. Angela Merkel a le droit d'adopter sa propre approche “Allemagne d'abord”. On dirait que la locomotive européenne est en train de changer de voie pour se diriger dans cette nouvelle direction. Malgré tous les bons mots sur les valeurs communes, etc., ces deux entités divergent progressivement pour se séparer. » (Peter Korzun, le 15 mai 2018.)

Ce qui nous paraît important dans l’épisode actuel, c’est que rien ne dépend des Européens d’une part, que Trump semble avoir trouvé son équipe idéale, notamment avec John Bolton d’autre part. Le premier point (“rien ne dépend des Européens”) signifie qu’il leur sera extrêmement difficile de “se coucher” comme à leur habitude et comme disait un de nos lecteurs, parce que les exigences, les façons de faire et disons les manières de l’administration Trump avec son exécuteur des hautes œuvres Bolton constituent une mise en scène d’une trop grande brutalité pour que les Européens puissent “se coucher” d’une façon acceptable, qui “sauve la face” (ce qu’il reste de face).

Le deuxième point (Trump a trouvé “son exécutant idéal” en John Bolton) interdit en effet tout aménagement permettant justement que se poursuivent les liens d’asservissement qui perduraient jusqu’ici, et qui permettaient cette fameuse opération de “sauver la face”. Bolton est d’une brutalité inouïe, exactement comme Trump aime ses exécutants, de façon à mieux préparer le terrain pour que lui, Trump, impose son “deal” qui revient à une capitulation sans conditions assortie de conditions de communication humiliantes (tweets et le reste). D’une façon générale, il rompt avec les habitudes de servitude de l’Europe par rapport aux USA, qui passaient par un jeu de rôle où les acteurs asservis avaient l’impression d’être des pairs. C’est ce qui constituait le “bloc-BAO” tel qu’il a été constitué en 2008-2009, où la domination US était diluée dans des relations de quasi-égalité au moins de responsabilité, de consultations permanentes, de respect collectif pour les organes internationaux/transnationaux, etc. Aujourd’hui, on retrouve une Amérique plus dominatrice que jamais, arrogante, indifférente aux problèmes de ses alliés alors que sa puissance s’érode rapidement et que sa politique prend des aspects dément, à l’image des personnages qui la conduisent (Trump-Bolton).

Le problème de l’Europe face, aux USA, si l’on met à part les colères, les rancœurs, et peut-être mêmes les volontés de résistance qui pourraient exister, se résumeraient à une question : comment capituler ? Le mode d’emploi habituel ne suffit plus...

 

Mis en ligne le 16 mai 2018 à 15H09