Échos et vertu du Clinton News Network

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Échos et vertu du Clinton News Network

30 septembre 2016 – Un jour, il y a vraiment très peu de temps, m’en allant promener, et m’installant avec une compagnie à une table d’un restaurant dont je vous cèlerai le nom, quelque part dans le quartier stratégique dit “européen” de Bruxelles, mon oreille traîna et accrocha quelques bribes d’une conversation de la table d’à-côté. Manifestement, en ai-je déduit depuis sinon aussitôt, il s’agissait de deux fonctionnaires européens... Cela s’entend, cela se comprend et cela s’identifie aisément car ces bestioles sont sans pareilles ni semblables.

Les deux éminents personnages parlaient du débat Clinton-Trump et, au moment où mon oreille traînait, l’un d’eux citait le rapport envoyé par la représentation de l’UE à Washington sur cet événement, rapport signé majestueusement par le chef de la Représentation. On s’aperçut tout de suite de mon impertinence et de mon indiscrétion (involontaires, je le jure un peu) ; on me jeta des regards furieux et je me le tins pour dit, et n’en entendis effectivement plus rien de plus, sinon une bribe ou l’autre et rien de fondamental qui puisse me faire soupçonner d’indiscrétion. Peu importe, j’avais eu l’essentiel pour cette chronique, et Dieu sait que ce n’est pas un secret d’État...

Je n’ai donc rien appris qui puisse mettre en danger notre sécurité supranationale, parce que je suis propre sur moi et d’humeur discrète, rien de confidentiel qui concerne le contenu de ce rapport sans aucun doute ultrasecret, rien de sérieux parce que l’Europe ça se respecte... Bref, je n’ai rien sinon que le document auquel je fais allusion en toute innocence démarre à partir d’une sorte de référence absolue, un principe, un théorème, etc., c’est-à-dire ce qui est considéré comme la victoire quasiment écrasante, et certainement lourde de significations,  de Clinton lors de son débat ; victoire révélée, confirmée et mesurée par le sondage de CNN à ce propos, effectivement cité en référence par les deux compères parlant du document, et sondage qui fournit à l'auteur et à ses lecteurs innombrables (il y a foule à l'UE) cette aura de technicité statistique qui fonde rationnellement tout le reste.

On imagine en effet très-aisément comment, à partir de là, se déroule l’argument allant-de-soi de l’inévitabilité de la victoire de Clinton, cela qui apparaît comme la grande révélation du débat. Je peux vous assurer, très-chers lecteurs, que c’est bien dans ce sens que doit se développer, non que se développe cela est assuré, la logique du document, lequel est perçu par conséquent par l’ensemble de ses lecteurs comme la confirmation, – si besoin était d’une confirmation à cet égard, – de la marche désormais assurée sinon triomphale de Clinton. Cela fixe les esprits et vous assure du sens et de la vision dont font montre ces gens pour prévoir et affronter l’avenir, ici de la Grande République et en général du monde lui-même.

Il y a là une logique qui n’envisage que la seule possibilité de la victoire de Clinton et la remise en ordre des affaires de l’américanisme après ce que je nommerais, comme on parle d’une monstruosité improbable sinon impossible, une sorte de nausée spasmodique, cette “malformation-Trump” dans la campagne, cela qui n’est que pure aberration ; donc, dans cette instance la logique dont s’imprègne toute la hiérarchie européenne, jusqu’à ses dirigeants eux-mêmes, est fondée péremptoirement et scientifiquement, je veux dire sur le matériel péremptoire que représente le sondage CNN. Voilà un point acquis... Par ailleurs, il se trouve qu’on en sait pas mal, au moins un saladier, à propos de ce ce sondage-là, ce sondage spécifique fait par CNN immédiatement après le débat ; il a été largement commenté et analysé lorsqu’il est apparu sur le site de CNN. Il faut dire qu’Infowars.com, malgré la piètre réputation de cette source, en a fait ses choux gras...

« A CNN/ORC poll released shortly after last night’s debate found that Hillary Clinton scored a clear victory over her rival Donald Trump. One problem – the survey sample included 41% Democrats compared to just 26% Republicans. Asked, “Who do you think did the best job in the debate – Hillary Clinton or Donald Trump?”, 62% of respondents said Hillary while 27% said Trump. This immediately gave the impression that Hillary trounced Trump in the debate, and set the standard for the media narrative that it was a bad night for the Republican candidate.

» However, 33% of the people surveyed in the poll identified as Independents, 41% identified as Democrats, while just 26% identified as Republicans. This represents a disparity of 15% between Democrats and Republicans – meaning the poll was heavily weighted in favor of Democrats before the question about who won the debate was even asked. Almost three quarters of the respondents were not Republicans and 57% more Democrats were asked than Republicans. If the sampling was flipped, with 41% of respondents being Republican and just 26% identifying as Democrats, the outcome would almost certainly have been in Trump’s favor.

» The text confirming that the poll had a huge disparity in favor of Democrats was not included in CNN’s website article about the poll, but can be found in a PDF file on CNN’s image server. The CNN poll is contradicted by numerous other polls which show that Trump won the debate. »

Certes, il s’agit de CNN, ou Cable News Network rebaptisé pour l’occasion de la campagne Clinton News Network. Il faut d’ailleurs aussitôt ajouter, pour se rassurer en quelque sorte, que Reuters a appliqué exactement la même technique pour son plus récent sondage, affirmant qu’à l’échelon national Clinton avait repris une avance considérable sur Trump à la suite du débat, un peu comme si Reuters prenait le bâton et le relais des mains de CNN. ZeroHedge.com a relevé cette envolée de la grande agence de presse, notant effectivement que c’était la deuxième fois après un premier coup à la fin juillet que Reuters est pris la main dans le sac à employer la même “méthodologie” qui prend ses lecteurs pour des billes. (“Pris la main dans le sac” ? Mais qu’est-ce que cela signifie-t-il donc ? interroge Reuters, avec la surprise d’une mine candide.)

« In their latest poll, released just two days ago, Reuters found Hillary to have a 6 point lead in a head-to-head contest with Trump.  But, when you dig a little deeper you find that Reuters' polling sample included 44% democrats and only 33% republicans.  Which would be fine, of course, if it had any basis in reality. But, as The Pew Research Center points out very clearly, registered democrats represent about 33% of the electorate while republicans are 29%...a modest 4 point gap versus the 11 point advantage in the Reuters sample.

» Of course, this is significant because, as any reasonable person would expect, democrats swing toward Hillary by an overwhelming margin of 84% and, vice-versa, 78% of republicans swing toward Trump.  Now, using Reuters' data, Hillary supposedly has a 6-point lead over Trump.  However, if we alter the sample data to reflect what Pew says is the real distribution of democrats versus republicans (i.e. 33% vs. 29%, respectively) and apply the same support levels by party affiliation it results in an 8.5% swing toward Trump who would have a 2.5% lead....very inconvenient. »  

Quelle étrange salade, tout cela, quel surprenant paysage où toutes les fraudes et impostures se font à ciel ouvert, sans le moindre souci de se couvrir, comme si cette manipulation évidente avait la vertu de l’évidence qui la rend inattaquable. Il y a là comme un côté baroque et grotesque, sinon clownesque, presque comme du Fellini emporté dans ses délires romains décadents et antiques, qui vous fait penser : mais non, tout cela n’est pas sérieux, c’est tellement, tellement... grossier, non ? (Je ne veux certainement pas dire que Fellini est grossier mais qu’il sait magnifiquement rendre compte de la grossièreté de certaines situations d’imposture et de simulacre.)

Bien, il y a de la vérité dans ces remarques qui prétendent décrire l’aspect dérisoire de ces manœuvres mais il y a aussi un argument très sérieux pour expliquer que je m’y attarde de la sorte : ma rencontre accidentelle avec l’information reçue par la hiérarchie européenne, le document (le rapport de Washington) dont il est question plus haut, qui s’appuie, comme pièce à conviction principale, sur le sondage CNN qui couvre le résultat du débat, et qui est présenté comme du comptant à des esprits (la hiérarchie et les fonctionnaires européens) formatés dès l’origine pour tressaillir et tressauter à la fois d’horreur devant la “malformation-Trump” dans cette campagne présidentielle. Ces esprits s’en trouveront par conséquent confortés et confirmés dans leur appréciation de l’événement, et au-delà de l’inéluctabilité du résultat de la campagne présidentielle.

Ce qui m’importe ici, c’est de mettre en évidence la façon dont tous ces personnages qui sont autant de rouages d’une machine qui fonctionne à l’huile de Système, trouvent chaque jour confirmation de l’existence irrésistible de la réalité-narrative où ils évoluent. L’on peut faire sans grand risque la même hypothèse pour toutes les directions importantes, dans les divers pays européens qui comptent, tant l’unanimité de la conviction est sans faille et sans bavure. Ils vivent donc tous dans la certitude de ce monde où la Raison supérieure est en train de reprendre le dessus, de faire le ménage, de jeter par-dessus bord The-Donald et ses “Deplorables”, et de nous restituer la Grande République telle qu’en elle-même dans notre American Dream.

Croyez bien, à la suite de cet incident mineur qui a assemblé quelque événement fortuit comme une table à un restaurant, une voix un peu trop élevée et une oreille qui traîne, et le développement assuré de la grande capacité professionnelle des CNN, Reuters & Cie, croyez bien que l’on touche au cœur d’un secret extraordinaire de notre temps. Ainsi vivent toutes les directions politiques du bloc-BAO, comme Obama vivait lui-même, selon le Général Flynn, dans sa “narrative infranchissable. Oh, nul besoin de complots, de manœuvres tordues, de théories formidables et d’analyses sensationnelles, et ainsi de suite. Il suffit de vivre dans cet univers hollywoodien où ils ont élu domicile, où rien ne les atteint que ce qui est conforme à ce que leurs esprits acceptent et que le Système autorise.

Notez bien, et pour que tout soit bien dit et dit clairement, je ne me plains nullement de tout cela. Au contraire, c’est avec une sorte de tendresse amusée et, au fond de moi, une intense jubilation que je vois tous ces esprits droits et assurés d’eux-mêmes se jeter sur cette pâture qui les confirme dans leurs obsessions inverties et leur vision complètement faussaires du monde. Ils ont déjà évolué comme ça et ils évolueront encore et toujours plus comme ça, accumulant erreurs d’appréciation et prospectives faussaires, ripostant à contretemps à des événements pourtant si prévisibles, alimentant l’incendie en jetant de grands seaux d’essence à haut degré d’octane sur le brasier qui gronde. Nous n’avons de meilleurs alliés qu’eux.

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