De la durabilité de l’exceptionnalité

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De la durabilité de l’exceptionnalité

Il y a encore eu un tour de primaires aux USA qui ont montré l’irrésistible puissance de Trump par rapport aux deux autres candidats républicains, alliés in extremis avant ce tour et qui sombrent donc ensemble plutôt que chacun de leur côté. Leur chute est indiscutablement celle du Système. L’autre confirmation est que Clinton renforce sa position de favorite et tient probablement la nomination démocrate, mais que Sanders ne décroche pas au point que la question sous forme de deux interrogations liées devient, du côté démocrate : que va faire Sanders lorsque la nomination de Clinton sera acquise et, surtout, que vont faire ses électeurs ? On comprend que ses deux sous-questions sont liées car, au fond, l’attitude de Sanders dépendra de ce qu’il percevra de l’attitude de ses électeurs, qui ont montré un engagement extrêmement marqué et durable, qui ne pourraient se satisfaire, chez nombre d’entre eux, de la fidélité à la direction archi-corrompue du parti et d’un report de leurs voix sur Clinton.

Nous allons citer principalement trois commentateurs qui partagent, peu ou prou, une évaluation prospective qu’on pourrait résumer de la sorte : l’élection n’est pas tout, rien ne sera réglé avec l’élection, le plus important est ce qu’il va se passer avec et après l’élection. Si l’on veut, selon une expression de William S. Lind, l’un des trois cités : avec cette élection et à partir de cette élection, l’Amérique entre dans une phase pré-révolutionnaire.

• Voici d’abord Seymour Hersh, journaliste d’investigation archi-connu, peut-être le journaliste le plus fameux aujourd’hui aux USA. Il est régulièrement mis à l’index tant ses reportages et ses révélations déplaisent absolument au Système, mais il reparaît pourtant avec régularité, grâce à la qualité et à l’indépendance de son travail. Plutôt de gauche et plutôt “dissident”, il est clairement un soutien de Sanders encore plus que démocrate, et son appréciation de Clinton est extrêmement sévère. Il observe que la droite (les républicains) est dans un chaos complet et que Trump apporte des projets de politique extérieure extrêmement novateurs, sinon révolutionnaire. (On sent bien qu’il aurait voulu un Sanders pour les engagements intérieurs fondamentaux, avec la politique extérieure de Trump, – bien qu’il reconnaisse à Sanders la formidable audace d’avoir tourné le dos au lobby juif et aux gros donateurs juifs qui alimentent une politique d’agression, – position d’autant plus remarquable, si l’on veut, que Sanders est lui-même juif, – comme Hersh d'ailleurs...) Voici quelques extraits de son interview par Amy Goodman, de Democracy Now !, du 25 avril.

« You know, here’s what I think about this campaign. It doesn’t—you know, it’s clear where my political thoughts are, but it’s—for me to say who I’m going to vote for and all that, I don’t think anybody—you know, I’m not a political leader. That’s not what I’m into. But I will say this: Something that’s amazing is happening in this country. And for the first time, you know, I do think it’s going to be very hard for a lot of the people who support Sanders to support Hillary Clinton. Now, times can change. There’s a lot more time to go. We’ve got months before an election and a convention, etc. But at this point, I’m at the point where—I go back to the old days. Remember, if you—you might not remember. We had a lot of talk about a third party in America, a progressive third party. Barry Commoner was one of the people who was going to run it. It went nowhere. But there’s really—i t seems to me, with what’s going on now with these people, 45 and under, the enormous support they’re giving to Sanders, just we know by polling, etc.—doesn’t always show up in the—it turns out, in the election results. I mean, it certainly didn’t show up in New York. And so—but they are there. There’s a whole group of young people in America, across the board, all races, etc., etc., who have just had it with our system... [...]

» And we’ve seen some terrific changes happening in this election, as the Democratic Party has been moving to the left, with a lot of contempt for the way the party manages itself, by the people who are pro—working—are interested in Sanders, that look at the chaos on the right. Our system is basically breaking apart right now in this election. And you can only say, "Yay! It’s great!" [...] It’s all sort of a new world coming... »

• Le second commentateur est également “de gauche”, plus dans l’establishment que Hersh mais d’affirmation très progressiste. Il s’agit de Robert Reich, évidemment pro-Sanders, extrêmement critique de Trump selon l’optique idéologique convenu, mais qui, dans ce commentaire, le met dans le même panier que Sanders. Les deux sont les deux faces d’une même pièce que l’on nomme “populisme”, et qui est en réalité une révolte extrêmement large contre le Système. Certes, il reste l’idéologie, – Sanders est le côté positif de la pièce, Trump le côté négatif, selon Reich, – il n’empêche qu’il s’agit de la même pièce, – et alors se pose la question de savoir ce qui importe le plus : être de la même pièce, ou bien être du côté “positif” ou du côté “négatif” ?... Sur un tweet reproduit par le Washington Examiner le 26 avril, Reich écrit :

« I just got off the phone with a former Republican member of Congress who says he “can’t believe” Trump won all of today’s primaries. “I don't get it,” he said. “The Republican Party is completely out of control.” Earlier today I spoke with a Hillary supporter who asked me to urge Bernie to get out of the race. “He can’t win, and the longer he stays in the harder he's making it for Hillary in the general [election],” she said. “I just don't get it.”

» Neither of the people I spoke with “get” the biggest single force in the 2016 election: a furious revolt against the political establishment," Reich continued. “The revolt has taken two very different forms — progressive populism (Bernie’s ‘political revolution’) and authoritarian populism (Donald Trump's bloviated bigotry). They are the positive and negative sides of the same coin. »

• Le troisième commentateur vient de l’extrême opposé des deux précédents : c’est un homme de la “droite traditionnaliste”, et même de tendance “royaliste”, espèce assez rare aux USA qui fera glousser certains, – peut-être à tort, car il y a des choses bien plus sottes qui sont dites depuis deux siècles dans le silence religieux des classes du catéchisme républicain. On a déjà parlé de William S. Lind (nous le tenons en grande estime, surtout comme le théoricien de la Guerre de 4ème Génération [G4G]), et particulièrement à propos de ces élections. On sait donc qu’il juge impossible que l’un et l’autre antiSystème soit désigné comme candidat d’un parti (aujourd’hui, cela vaut  pour Trump), que sa formule préférée serait alors un ticket indépendant Trump-Sanders, comme illustration institutionnelle de l’insurrection. Il maintient tout cela dans ce texte du 25 avril sur TraditionalRight.com et complète par sa vision plus large avec une précision à peu près comme ceci : “après tout, peu importe l’élection puisque l’insurrection a déjà commencé et qu’elle est en cours”.

Plus encore, Lind juge que l’élection à son terme (novembre) nous fera passer à un stade pré-révolutionnaire et il décrit la vision de ce que sera la révolution qui suivra inévitablement. Son hypothèse nous intéresse particulièrement parce qu’elle rejoint ce que nous jugeons depuis longtemps être la seule issue révolutionnaire opérationnelle possible d’anéantissement de l’Empire (du système de l’américanisme), qui est tout simplement la dislocation, ou dévolution des USA : pour lui, pour Lind, les USA de 2016-2017 sont comme était Rome en 450, lorsque l’Auguste d’alors n’avait plus guère d’importance puisque le destin de l’Empire était déjà accompli.

« In fact, the contests don’t much matter. What really matters has already happened and the Establishment cannot undo it. In both parties, the peasants have revolted. The peasants are you and I, the poor saps who are expected to turn out in every election to put “their” party in power. Only it isn’t their party. Both parties’ elites hold the voters they depend on in contempt... [...] But this election, the peasants have figured out the game. They aren’t buying it anymore... [...]

» The most important question in this election is what the peasants do when the election is over and they are again shut out. Many may simply give up on politics and go home. Others may remain politically engaged as the equivalent of Cleveland Browns fans, whose motto is, “There’s always next year.” But many from both parties may stay angry, stay involved, but realize that neither party offers a way forward. Those people have the potential to create what usually happens when a corrupt and incompetent Establishment endlessly clings to power: a pre-revolutionary situation.

» Pre-revolutionary situations do not necessarily involve mobs in the streets carrying torches and pitchforks, though they certainly can. Both the Trump and Sanders campaigns to some degree reflect a pre-revolutionary situation. My great if slender hope, following Establishment victories in both parties’ nomination contests, an independent Trump-Sanders ticket, would clearly manifest a pre-revolutionary situation. Post-election manifestations could include a variety of politically-oriented mass movements, including one for a constitutional convention.

» The most likely direction such a pre-revolutionary situation would take, I think, is one for devolution: the movement of power away from Washington to state and local levels. This would not be a “mother-may-I”, hat-in-hand request to Washington for devolution, but concrete actions at state and local levels to seize power. On issues ranging from gay “marriage” to the use of GMO seeds, states and localities, through their governments or through direct action, would nullify rulings coming out of Washington. Should the Left obtain a five-vote majority on the Supreme Court, nullification by state governments might become a powerful movement in itself. State National Guards, forced to choose between home and Washington, might decide to take orders from home. »

» A wise Establishment, faced with a pre-revolutionary situation, would accommodate it with Constitutional devolution, which is to say a return to federalism. Life in South Carolina would again be allowed to differ from life in Massachusetts, as it did when our republic still followed its Constitution. But falling Establishments are seldom wise. It may turn out that the question of who sits in the White House come January, 2017 is about as important as who became Roman Emperor in 450 A.D. »

Par “durabilité” (dans le titre), nous n’entendons pas le constat de la durée (nous aurions employé le mot) mais la vertu dynamique de la capacité de durer. La “durabilité” d’une situation exceptionnelle et qu’on jugeait donc de courte durée, c’est bien cela qui caractérise la situation aux USA aujourd’hui, où les élections présidentielles ne servent que de catalyseur, d’indicateur et d’illustration d’une dynamique qui, effectivement, affecte la situation collective du pays désormais sur le terme. Il s’agit d’une émeute, d’un soulèvement, et sa durabilité laisse à penser que cela peut engendrer une révolution (d’où le jugement de Lind). Bien entendu, nous parlons d’abord en termes de communication car c’est aujourd’hui dans de tels termes, plutôt que dans ceux de la politique pure lorsqu’elle engendre de la violence, qu’une situation politique se concrétise et évolue : l’émeute, le soulèvement, la possible révolution sont et seront d’abord faits du point de vue de la communication.

La chronologie est en effet remarquable et très significative : partis d’une situation “exceptionnelle” avec deux candidats antiSystème, nous en sommes pour l’instant à cette même situation “exceptionnelle” où le thème de l’antiSystème est revenu au premier plan. C’est en effet cette chronologie qui est remarquable : d’abord deux candidats antiSystème considéré comme les originaux et exotiques inévitables qui seraient dispersé avant même le début des primaires ; leur maintien au premier plan au début des primaires, qui engendra effectivement une vague de panique du Système de voir l’antiSystème s’installer dans le processus central du Système ; une période intermédiaire, qui sembla voir l’essoufflement de Trump alors que Sanders, malgré une belle série de performances, n’arrivait pas à s’installer en tête.

Durant cette période intermédiaire, les antiSystème semblaient perdre leur rythme et, également, perdre leur caractère antiSystème ; et puis, depuis quelques jours, le retour au premier plan de l’argument antiSystème (voir Trump le 24 avril), avec des commentaires dans ce sens. Le Système n’a pas réussi à éliminer de la communication la puissante prégnance du fait antiSystème dans ces élections, par conséquent s’impose la durabilité de l’“insurrection”.

Quant à la prévision de Lind sur un ticket Trump-Sanders, qui paraît absurde à la raison surtout lorsque cette raison sacrifie à l’idéologie, et à une idéologie de bien un siècle d’âge (du temps où, pour plagier une formule célèbre concernant le Progrès, “l’Idéologie, c’était mieux avant”), il faut tout de même noter que, ce 26 avril, The Donald a tweeté pour la première fois en recommandant une formule pour Sanders, où il prend le parti de Sanders au nom d’une solidarité antiSystème. (« Bernie Sanders has been treated terribly by the Democrats—both with delegates & otherwise. He should show them, and run as an Independent! »)

Évidemment, diront les fins stratèges, Trump a tout intérêt à diviser le camp démocrate pour sa propre élection où il pourrait être le candidat républicain ; c’est une façon de voir ; l’autre est que Trump réagit naturellement en conseillant à Sanders de faire ce que lui-même ferait, et même fera, s’il se trouve écarté de la nomination républicaine, puisqu’il ne cesse lui-même de clamer que la direction du parti républicain (l’establishment) le “traite horriblement”. Finalement, si Lind a raison sur la prévision des désignations et si Trump et Sanders sont écartés de leurs partis respectifs, la logique Système versus antiSystème sera totalement maîtresse de la communication et, en un sens, l’“impensable” idéologique pourrait se trouver mis de côté selon les circonstances.

Ce qui revient à ceci : à notre sens, l’élection présidentielle US de 2016 pourrait bien nous garder en réserve quelques autres surprises de taille pour les mois qui viennent... L'exceptionnalité dure.

 

Mis en ligne le 27 avril 2016 à 11H16

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