Ainsi McCain devint-il (temporairement) une colombe

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Ainsi McCain devint-il (temporairement) une colombe

Peut-on rêver abruti belliciste plus emblématique, plus aveugle, plus catastrophique que lui ? Non, on ne peut pas rêver... Ainsi dirons-nous qu’une fois de plus, la réalité dépasse la fiction à une vitesse inimaginable, et la distance en la ridiculisant d'une manière qu'il était impossible d’imaginer. Car, ces dernières soixante-douze heures, l’on voit et entend le sénateur de l’Arizona, neocon breveté-inoxydable, pompier pyromane partout où gronde l’incendie, en Ukraine, en Syrie, au Yemen, en Afghanistan, partisan de tous les complots, de toutes les tentatives, de tous les projets de strike-fiesta depuis des années (rappelez-vous son “Bomb Bomb Bomb Iran”, sur un air des Beach Boys), car voici John McCain devenu soudain un homme de l’apaisement, un véritable homme de paix cherchant par tous les moyens à éviter l’affrontement ; un de ces gens que les neocons nous ont habitués à désigner de “Munichois” en souvenir de Munich-1938 restant dans leur imagerie d’Epinal comme la capitulation des démocraties face aux dictateur. John McCain est-il un “Munichois” et une colombe ? Damned, les traditions se perdent.

... En attendant de trancher sur les causes de cet étrange volte-face par rapport à son rôle de boutefeu, – ce à quoi nous allons essayer de nous employer plus loin, –, McCain se dépense terriblement. Son argument : un conflit avec la Corée du Nord serait terrible, il s’agit d’une crise des missiles de USA de 1962 qui se renouvelle mais en mouvement lent (“slow motion”). Il faut tout faire pour l’éviter, et “je crois que le président Trump est très conscient de la dangerosité de la chose” ... Nous, nous dirions que cette dernière phrase, qu’il répète, McCain, ressemble plus à une incantation, à une prière, qu’à une information dont il aurait connaissance et une certitude qu’il aurait acquise. Voici quelques interventions successives de et concernant McCain.

• Vendredi, dans Time, une intervention de McCain via Bloomberg.News : « Arizona Sen. John McCain said President Trump knows that launching a preemptive military strike against North Korea is a last resort.“I hope there’s a lot more to go before we have a preemptive strike,” McCain said Thursday, Bloomberg reports. “They are exploring every option and the last option, and the least desirable option, is armed conflict.” “One of the major reasons is because of that artillery that’s north of Seoul," McCain said, meaning that North Korean leader Kim Jong Un has weapons he could unleash on South Korea's capital. “That is really of concern.”[...] “The carnage would be horrendous.”

» Trump told Reuters Thursday, “There is a chance that we could end up having a major, major conflict with North Korea.” »

• Reprenant les mêmes déclarations de McCain (d’une interview à CNN), Politico.com titre curieusement (le 30 avril 2017) : « McCain on pre-emptive strike on North Korea: ‘We have to consider that option’ », transformant les déclarations du sénateur de tonalité très apaisante (« I think that we have to consider that option as the very last option, and for a number of reasons ») en une intervention belliciste avec cette option de l’attaque présentée presque avec faveur, comme une possibilité qu’il est nécessaire de considérer en priorité... Les habitudes commandent évidemment lorsqu’on parle de McCain et que McCain parle : ce ne peut être que dans le sens de l’interventionnisme belliciste.

•  Le 1er mai 2017, The Independent reprend une nouvelle déclaration de McCain en même temps que Trump parlait de la crise sur CBS dimanche dans des termes ambigus et contrastés ; McCain allant dans le même sens de l’apaisement, et mettant en évidence les pertes terribles que causerait un conflit avec la Corée du Nord.

« The stand-off between the US and North Korea could be “like a Cuban missile crisis in slow motion” according to Senator John McCain, with Donald Trump once again dancing around the subject of military action... [...] In a nod to the fluctuating rhetoric of the President and his team – which has moved from bombast to varying degrees of caution – Mr McCain told CNN that it might be better at times to “watch what the President does, rather than what he says”. Although he agreed that China was the “key” to averting conflict. “China can put the brakes on this”, Mr McCain said, because he does “not believe Kim Jong-un will do this by himself”. Asked if he thought Mr Trump was preparing a pre-emptive strike on North Korea, Mr McCain said: “I don’t think so but, as somebody said, this could be a Cuban missile crisis in slow motion.” »

• Enfin, il y a une interprétation des propos de McCain par Alexander Mercouris (sur TheDuran.com, le 1er mai 2017), qui va dans le sens d’un complet apaisement. Mercouris crédite McCain à la fois d’une retenue du jugement à cause de son passé de combattant (pilote de l’US Navy au Vietnam), à la fois de ses contacts privilégiés avec les militaires du cabinet de Trump, notamment le directeur du NSC McMaster (surtout) et le ministre de la défense Mattis.

« Senator McCain in contrast to other war-hawks like Senator Lindsey Graham – who has been saying that a war in the north east Pacific would not be so bad because it would not directly affect the US – or Governor John Kasich -who is calling for an assassination team to ‘take out’ Kim Jong-un and other members of the North Korean leadership – is a former active duty military officer who has actually served in combat during the war in Vietnam.  He also comes from a family with a long history of military service.  He therefore presumably understands rather better the danger of some of the farfetched scenarios for military action than some of the people who are advocating them.

« If someone like Senator McCain thinks that military action against North Korea is a terrible idea and that the US should instead rely on diplomacy, then the risk of the US taking military action against North Korea must be very low.

» The fact that Senator McCain also appears to be very close to President Trump’s National Security Adviser General H.R. McMaster – who he continues to praise lavishly at every opportunity – suggests that what he says also reflects the thinking of President Trump’s top national security and defence officials, including presumably General McMaster. That also suggests that the prospects of US military action against North Korea are actually very low.

» . That of course makes the Trump’s administration’s various military moves of the last few weeks, such as the movements of the aircraft carrier Carl Vinson and of the cruise missile submarine USS Michigan, look even more like the empty bluff they obviously were. »

Pour cette fois, nous différons substantiellement de l’appréciation de Mercouris. Nous ne voyons pas pourquoi, cette fois au contraire de tant d’autres occasions où McCain recommanda et intrigua pour accentuer les risques de guerre et les conflits en cours, y compris avec d’horribles pertes de civils, son expérience de pilote de combat au Vietnam pourrait servir de référence et d’explication à une sagesse pacificatrice qu’on ne lui vit jamais auparavant. Par contre, il est vrai que McCain a des liens constants avec les militaires de l’administration, notamment McMaster et Mattis.

Il est vrai également, comme on ne cesse de le noter que Trump continue à entretenir vis-à-vis du conflit nord-coréen, comme vis-à-vis de nombre ce matières politiques, notamment de politique extérieure, une attitude à la fois changeante et bombastique, c’est-à-dire changeante d’une manière extrêmement visible sans en être gêné le moins du monde ; et cette remarque vaut pour Trump devenu Trump 2.0, c’est-à-dire qu’à l’intérieur même de ce rôle il va dans tous les sens... Justin Raimondo note justement (ce 1er mai 2017), employant cette même terminologie (1.0 et 2.0) que nous avons inaugurée pour notre part le 15 avril 2017, combien la question du caractère et de son imprévisibilité joue un rôle essentiel dans le comportement du président (et Raimondo, loyal, reconnaissant combien lui-même s’était trompé à cet égard, ce qui est en bonne partie notre cas) :

« When it came to foreign policy, Trump 1.0 was interesting albeit problematic: Trump 2.0 is menacingly unpredictable. Those of us who saw in him some hope that the “America First” agenda he gave voice to would be implemented, at least to some degree, neglected to take into consideration the vital question of character. I ignored the protestations of some of his critics, who said Trump was unstable, without core principles, and therefore perfectly capable of reversing himself in the name of making a supposedly smart deal. The first one-hundred days of his administration have proved them right. »

A la lumière de ces divers constats, notre interprétation devient alors que l’attitude inattendue de McCain, reflétant en cela ce qu’il sait par l’intermédiaire de ses amis McMaster et Mattis, loin d’être la confirmation que les plans US vis-à-vis de la Corée du Nord sont verrouillés dans l’intention de ne pas provoquer une guerre, sont au contraire le signe d’une crainte que l’une ou l’autre des sautes d’humeur du président n’aggrave brusquement la situation. Il faut rappeler que l’affaire du USS Carl Vinson traînant des hélices pour se diriger vers la Corée du Nord alors que la Maison-Blanche annonçait qu’il était à pied d’œuvre, “sur zone“ comme l’on dit, que Mercouris qualifie de bluff, était selon nous plutôt une confusion marquée de divers incidents entre les armes concernées, la Maison-Blanche ne faisant que répéter ce que le Pentagone lui disait, et le Pentagone lui disant une interprétation à la fois confuse, éventuellement tendancieuse, dans tous les cas ressortant plus d’une inorganisation ou d’une concurrence ridicule entre les armes que d’un coup de bluff bien calculé.

On peut donc avancer l’hypothèse que l’intervention de McCain, si différente de son comportement habituel, reflète la préoccupation de ses amis militaires, et de lui-même par conséquent, moins devant la politique conduite que devant les interférences imprévisibles du président. C’est effectivement que les enjeux sont très importants avec la Corée du Nord, et que le président, même devenu 2.0, garde des pouvoirs d’interférence extrêmement puissants. Nous avons déjà plusieurs fois écrit que Trump 1.0 devenu Trump 2.0, s’il était devenu prisonnier du Deep State, était un drôle de prisonnier, qui pourrait se révéler si imprévisible qu’il retournerait finalement le rôle...

« Trump 1.0 a été liquidé, mais Trump 2.0, qui semblerait leur prisonnier, est en réalité un homme-téléréalité sans conscience des risques qui pourrait bien les tenir prisonnières, ces “forces obscures”, de ses foucades imprévisibles puisque, en dernière minute, c’est lui qui décide si l’on tape (to strike) ou si l’on ne tape pas... Konstantin Kosachev, président de la commission des affaires étrangères de la chambre haute de la Douma dit à propos des intentions US vis-à-vis de la Corée du Nord : « La chose la plus alarmante à propos de l’actuelle administration US, c’est que vous ne pouvez savoir si elle bluffe ou bien si elle est réellement en train de mettre ses menaces à exécution... » Nous sommes à peu près sûr que plus d’un général, plus d’un ministre, plus d’un homme responsable à Washington D.C., – il y en a tout de même, – pense à peu près la même chose, avec juste une nuance (“La chose la plus alarmante à propos de Trump, c’est que vous ne pouvez pas savoir, même si vous êtes un de ses ministres, s’il bluffe ou bien s’il est réellement en train de mettre ses menaces à exécution...”). »

Saluons l’exploit du bouffon-téléréalité qui a changé de casquette (2.0 à la place de 1.0) sans aucune difficulté ni crise de conscience : il a réussi à transformer McCain, au moins pour quelques jours, en une vertueuse colombe plaidant pour la retenue et la mesure dans la crise nord-coréenne. La confusion et le désordre sont absolument et totalement, sinon totalitairement, le moteur universel et exclusif de la politique du monde ; et, bien entendu, l’exceptionnelle “hyperpuissance” mène la charge.

 

Mis en ligne le 1er mai 2017 à 17H48