AIIB contre TPP, signification et conséquences

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AIIB contre TPP, signification et conséquences

MK Bhadrakumar fait un très grand cas de la position qu’a pris l’Inde dans la banque d’investissement AIIB lancée par les Chinois, et qui a recueilli un succès sans précédent à la fureur des USA. Avec 10-15% des $100 milliards de dépôt, l’Inde est deuxième actionnaire et en position de codirection de cette institution au côté de la Chine qui assure bien entendu le leadership avec 25-30%. Les deux pays rassemblent donc entre 35% et 45% du dépôt, tandis que les pays asiatiques dans leur ensemble atteignent 75%. En tout, 57 pays sont “fondateurs” de l’AIIB, dont la charte sera signée à la fin juin, et dont l’opérationnalité est prévue pour la fin de cette année.

Dans une chronique du 22 mai 2015, Bhadrakumar examine les relations entre l’Inde et la Chine dans ce partenariat d’une institution dont la dimension politique est désormais évidente. Bhadrakumar est en général nuancé et parfois sévère dans ses jugements sur la politique de balancement du Premier ministre Modi vis-à-vis des grands courants à tendance antiSystème prédominante d’une part, vis-à-vis des grands courants à tendance-Système d’autre part (les USA en l’occurrence). Il juge ainsi la politique de Modi stratégiquement incertaine pour sembler vouloir courir plusieurs lièvres à la fois, quoique la position structurée naturelle de l’Inde inscrit majoritairement cette puissance dans la tendance dite-antiSystème. Bhadrakumar observe cette fois que cette position de la Chine dans l’AIIB constitue un véritable engagement de l’Inde au côté de la Chine, par conséquent contre les USA dans ce domaine très sensible des institutions financières internationales. (...Et ce domaine des institutions financières qui fait partie de la sphère économique, est en état de politisation permanente dans une époque où les antagonismes politiques ne s’expriment plus par les confrontations stratégiques et militaires mais par les affrontements économiques et communicationnels, – les deux, économie et communication allant de pair, et eux-mêmes entretenant leur politisation permanente par leurs interconnexions, parce qu’ils sont l’expression même de la politique dans les conditions présente d’affrontement général.)

«Evidently, India’s strong backing for the AIIB conveys its own message that it shares China’s concerns as an aspiring power regarding the inequities of the international economic order. Quite obviously, feeling frustrated over the unrepresentative character of the world economy and after years of frustrated attempts to reform the World Bank and the IMF, China and India are simply moving on.

»Beyond that, in political terms India also has signaled its full satisfaction that China has kept its word to provide high governance standards for the new financial institution. China is most certainly redeeming its pledge that it has no intention to dominate the decision-making or the lending policies of the bank. Again, the bank is all but certain to increase China’s sphere of influence in Asia – and, over time, elevate the Chinese currency Yuan to compete with the US dollar and the Japanese Yen as the region’s reserve currency. But such a prospect – plainly put, an inevitable rise in the Chinese influence in world affairs and the high risk of the US losing further influence in Asia – doesn’t seem to worry India...»

Bhadrakumar poursuit donc en nuançant sa critiques récurrente déjà signalée contre la politique de Modi, cette fois en précisant que le fait de ne pas faire de choix clair entre la coopération avec la Chine (en corrélation avec la position indienne dans les BRICS et bientôt dans l’OCS) et la coopération avec les USA mérite largement cette nuance avec cette position à très haute visibilité de l’Inde dans l’organisme AIIB. (Une position plus conforme à la politique “stratégiquement incertaine” selon Bhadrakumar eut été un engagement indien dans l’AIIB, mais discret, perdu dans la masse des autres pays-fondateurs.) Ces diverses remarques concernant l’AIIB sont d’autant plus importantes que, parallèlement au développement de la banque AIIB avec les engagements que cela suppose, ont lieu les derniers développements du traité de libre-échange Pacifique/Asie du TPP. (En fonction de ce qui est dit précédemment, nous considérons l’émergence de ces mécanismes non du point du vie économique [financier, commercial] mais du point de vue politique du fait de leur politisation instantanée.)

Après une défaite pour obtenir le soutien du Congrès au travers de la FTA (Fast-Track Authority), le 13 mai 2015, Obama a renversé le courant, avec diverses manœuvres politiciennes basées sur la coopération des directions des deux partis qui sont particulièrement acquises aux intérêts du corporate power en obtenant un vote favorable du Sénat jeudi dernier. Cet épisode a marqué la considérable puissance du corporate power auprès des deux principales branches du pouvoir washingtonien. La partie n’est pas complètement gagnée pour le TPP aux USA parce qu’il reste le vote de la Chambre, notoirement plus réticente aux engagements de libre-échange, mais il importe de reconnaître que l’espoir est assez mince d’un renversement du courant favorable au TPP à Washington. Avec le TTIP concernant la zone euroatlantique, le TPP intéressant l’ensemble Pacifique/Asie, les méga-traités de libre-échange constituent l’une des offensives majeures, sinon ce que certains jugeraient comme l’“offensive finale” du Système dans le processus de dissolution des principes de souveraineté et de légitimité des États.

C’est là qu’apparaît un autre aspect, l’aspect essentiel pour nous, qui tient à la remarque essentielle faite plus haut sur la dimension politique de tout acte économique et civilisationnel (“...les antagonismes politiques ne s’expriment plus par les confrontations stratégiques et militaires mais par les affrontements économiques et communicationnels, – les deux, économie et communication allant de pair, et eux-mêmes se politisant instantanément, également par leurs interconnexions, parce qu’ils sont l’expression même de la politique dans les conditions générales présentes.”). Cet aspect tient justement à l’aspect politique du TPP, qui est désormais l’essence cachée de cet accord derrière l’apparence d’une substance économique, et le TPP étant à cet égard politiquement dirigé contre la Chine comme nous le notions le 11 mai 2015 :

«Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin ... Là-dessus, surgit une autre interprétation du TTP. Elle vient de l’excellent Alastair Crooke, de “Conflicts Forum”, dans son dernier “Weekly Comments” du 8 mai 2015, à la lumière d’une importante étude qui vient d’être rendue publique du Council of Foreign Relations (CFR) datée de mars 2015 et préfacée par le président du CFR, Richard Haas. L’étude juge que le développement de la Chine est une menace contre l’hégémonie des USA, qui doit être bloquée à tout prix... Crooke examine la question des sanctions contre l’Iran à la lumière de l’aspect légal de ces sanctions, et des sanctions en général interprétées comme une politique hégémonique des USA. Le document du CFR est présenté au début du texte, pour conduire à l’analyse du régime des sanctions contre l’Iran, avant d’en revenir, en conclusion, à ce même document, et de conclure que, dans l’esprit du préfacier et président du CFR Richard Haas, le traité TPP revient, dans le chef des USA, à imposer un régime de sanctions contre la Chine...»

Mais ce même argument, selon la règle générale énoncée qui fait de l’économique et de la communication une essence politique constitutive de l’antagonisme, vaut en sens contraire pour l’AIIB. Si le TPP revient à instaurer un régime de sanction contre la Chine, alors l’AIIB devient, quoi qu’en veuillent les uns et les autres, y compris les Chinois, un élément d’une puissante dynamique qui est de nature absolument politique, destiné à se regrouper avec toutes les initiatives qu’on pourrait qualifier d’antiSystème et au sein de laquelle s’inscrirait l’AIIB (les BRICS et la banque qu’ils viennent de créer, l’OCS, etc.). Dans ce cas, l’Inde selon la critique de Bhadrakumar (d’autant plus qu’elle est dans les BRICS et va entrer dans l’OCS), va très vite se trouver devant un choix stratégique et politique à faire par rapport à son engagement à très haute visibilité dans l’AIIB. Elle ne sera pas la seule, et c’est pourquoi le cas indien doit être considéré ici comme référentiel plutôt que spécifique ... Il y aura bien sûr le cas des pays asiatiques et autres faisant partie du traité TPP en même temps que de l’AIIB, et il y aura la cas des pays du bloc BAO membre de l’AIIB dans le cadre euroatlantique lorsqu’on passera au TTIP, qui seront placés dans la même situation difficile et incertaine parce que le TTIP peut être considéré, de la même façon que le TPP par rapport à la Chine, comme une machine instituant de facto un régime de sanctions occidentales contre la Russie, c’est-à-dire aussi bien contre l’axe Russie-Chine.

L’on sait suffisamment que l’axe Russie-Chine est désormais une réalité de plus en plus puissante, qui s’appuie d’abord sur la dimension économique même si l’aspect stratégique de sécurité est en train de s’étendre ; mais cette dernière remarque n’a pas d’importance primordiale dans le contexte que nous avons proposé de la politisation instantanée de la matière économique, et l’axe Russie-Chine est nécessairement une entité complètement et instantanément politique (et à tendance antiSystème). L’économique et le communicationnel n’étant plus seulement des moyens exprimant un antagonisme qui se concrétiserait en véritable conflit de nature politique et stratégique par la dimension militaire, sont eux-mêmes, et directement, plus que la substance mais l’essence même de la confrontation générale parce que l’antagonisme général est justement de moins en moins exprimable par le fait militaire. Dans de telles conditions, tous les pays qui croient pouvoir jouer soit “double jeu” (l’Inde), soit faire un accroc sans conséquence à leur sphère politique (pays du bloc BAO entrés dans l’AIIB), vont être en fait confrontés à des dilemmes politiques de guerre totale par rapport à leurs positions qu’on peut considérer comme marquées par l’ambiguïté, – ce qui implique évidemment la nécessité, à un moment ou l’autre, d’un choix clair.


Mis en ligne le 24 mai 2015 à 07H59

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