$380 en 2015, est-ce possible?

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$380 en 2015, est-ce possible?

24 avril 2005 — Un rapport réalisé par les économistes français Patrick Artus and Moncef Kaabi envisage qu’en 2015 le prix du baril de pétrole pourrait atteindre $380.

« A report prepared by energy economists at the French investment bank Ixis-CIB has warned crude oil prices could touch $380 a barrel by 2015. Analysts Patrick Artus and Moncef Kaabi said in the next 10 years demand for oil will outstrip supply by around 8 million barrels per day (mbpd). “If one takes into account the level of previous oil shocks such as in the 1970's, we don't think a price level of $380 per barrel is out of the question,” they said.

» The analysts argued that the shortfall in energy needs would not be made up by alternatives as they were not developed as yet. “Thus the world will still need to rely upon traditional fossil fuels,” their report said. They also said existing new oilfield projects would not be enough to satisfy unprecedented growth in demand from developing economies, particularly China.

» “We have taken into account every new oil discovery and potential source … as well as this we note the continuing situation of a fall in new field discoveries,” the analysts said. »

Cette sorte de prévision répond à un courant général maintenant bien établi, et établi autour de ce qui est considéré comme un fait objectif, et non une spéculation politique: le déclin de la production de pétrole parallèlement à l’accroissement continu et accéléré de la demande. La dernière estimation en date est celle d’un article très récent, (le 21 avril dans le Guardian), de John Vidal, estimant que le déclin de la production de pétrole commencera en 2007.

C’est une perspective de crise qui n’a pas de précédent dans les caractères qu’on identifie. La crise pétrolière du début des années 1970 était une crise spéculative, notamment due à la volonté des pays de l’OPEP emmenés par l’Iran d’augmenter le prix du brut (dans le cas des années 1970, c’est l’augmentation du prix du pétrole qui provoquait la crise; dans le cas exposé ici, l’augmentation est la conséquence de la crise). Diverses hypothèses de crise de production furent également évoquées, notamment la crise de production en URSS autour de 1985 comme le prévoyait la CIA en 1979 (la prévision s’avéra fausse); mais c’était des hypothèses de crise portant sur les moyens de production (technologie de forage, moyens de communication, moyens de transport du pétrole, etc.), nullement sur les réserves. Il s’agissait aussi de crises relatives, concernant certains pays et entrant dans un jeu stratégique où la manipulation politique avait sa place (dans le cas évoqué, l’affaiblissement de l’URSS, qui pouvait être accéléré selon l’hypothèse envisagée par des restrictions à l’exportation de divers types de technologies; paradoxalement, cet affaiblissement eut lieu, mais pour la raison inverse de l’abondance de pétrole qui fit chuter le prix et provoqua une crise de devises en URSS). Aujourd’hui, l’hypothèse envisagée, sur laquelle convergent toutes les évaluations, porte sur une situation naturelle, et à très court terme.

Il est évident que les chiffres envisagés, dans tous les cas l’ordre de grandeur impliqué, sont intenables pour le système international tel qu’il est (on peut mesurer l’ordre de grandeur en rappelant qu’en 1985 le prix du brut était tombé à $10 le baril, 38 fois moins que l’hypothèse envisagée ici pour 2015). Il s’agit d’une perspective de crise globale radicalement déstabilisante, qui va provoquer ses effets avant même qu’elle ne se manifeste dans toute sa plénitude, par des actions préventives, des changements d’alliance radicaux, etc. D’autre part, les effets quotidiens, au niveau des populations, vont également se faire sentir très vite, avec des enchaînements d’effets secondaires au niveau de la stabilité interne des nations et groupes de nations. D’autres enchaînements déstabilisants encore plus indirects sont à craindre (par exemple, pour prendre le cas des USA : la politique belliciste actuelle, qui va être exacerbée par les perspectives de la chute de production du pétrole, nécessitera le retour rapide à la conscription; une telle décision pourrait conduire à des effets déstabilisants graves à l’intérieur des Etats-Unis).

Il n’existe pour l’instant aucune perspective d’initiatives stabilisantes, notamment au niveau de la prévision du monde politique, lequel est figé dans des actions retardatrices de dissimulation des réalités par crainte d’effets incontrôlables (la plus importante de ces “actions retardatrices” étant la prise en compte officielle, dans toutes ses conséquences, de la politique déstabilisante des Etats-Unis par les autres pays occidentaux). La crise de la production du pétrole, comme la crise climatique, est une de ces menaces transnationales d’un nouveau type, suscitées par des développements naturels sur lesquels la politique n’a aucune prise, et dont la perspective réelle est même niée par la politique. Ces menaces concernent directement la cohésion générale du système mondial et doivent être définies, par leurs conséquences potentielles très rapides, en termes qui vont, à leur extrême, jusqu’à la mise en question de la survie de l’espèce. L’effet au niveau de la psychologie, à mesure que les conditions de la crise se préciseront, sera dévastateur et contribuera grandement à la déstabilisation générale.