Voyez Krugman, il nous dit tout

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Voyez Krugman, il nous dit tout


6 décembre 2003 — Dans les années 1980, le mouvement punk effrayait le bourgeois, ou ce qu’il restait du bourgeois dans l’Occident “reaganisé”, avec ce cri terrible : « no future ». GW, c’est bien mieux, c’est « no tomorrow ». Avec lui, nous avons un gouvernement de l’instant, du “maintenant et rien d’autre”. C’est ce que nous dit Paul Krugman, dans sa superbe chronique du jour.

Il y ajoute quelques diagnostics simples, directs, compréhensibles par tous et qui, eux aussi, nous disent tout de notre crise dont GW est le minable ordonnateur du jour (mais pas vraiment méchant, ce n’est pas un Hitler, non). Cette phrase, par exemple, qui nous éclaire sur l’avenir immédiat, c’est-à-dire sur la survie demain, dès 2004, dans l’ordre, de l’Amérique, de la démocratie et de l’Occident : « What really makes me wonder whether this republic can be saved, however, is the downward spiral in governance, the hijacking of public policy by private interests. »

Krugman commence son texte par cette remarque finalement pleine d’intérêt, sur la légèreté absolue par refus de toute substance de ce qu’est devenue la politique, sur l’absence définitive de la mémoire comme outil de l’esprit, sur l’enfermement total du libre-arbitre et du jugement dans le conformisme général, sur le sacrifice définitif de la vérité et de la réalité aux montagnes de mensonges bien rangés que nous nommons virtualisme  : GW annonçant que son administration, dont il est extrêmement fier (touchant, cela), a résolu le problème des armes de destruction massive en Irak (en même temps que celui de l’assurance-maladie des Américains) par leur élimination.


« One thing you have to say about President George W. Bush: He's got a great sense of humor. At a recent fund-raiser, according to The Associated Press, he described eliminating weapons of mass destruction from Iraq and ensuring the solvency of Medicare as some of his administration's accomplishments. »


La chose est simple : dites qu’il y a des ADM en Irak (alors qu’il n’y en a pas) ; conquérez l’Irak comme d’autres vont au super-marché ; cherchez des ADN et n’en trouvez naturellement pas ; dites que vous êtes fier de votre administration qui a éliminé les armes de destruction massive en Irak. So what ?, comme aurait pu dire Alfred Jarry, s’il avait parlé “bushspeak”.

Pour autant, ne pas perdre espoir, car il se trouve, comme nous le montre Krugman, qu’il reste de quoi s’interroger à ce propos.

La question, en effet, est de savoir, pour mesurer s’il reste de l’espace dans notre époque pour l’espoir, s’il est plus effrayant d’explorer, chaque jour, les limites surréalistes de la direction du monde occidental (i.e., notre-“Amérique à moi”, comme disait Jacques Brel et Madeleine), — ou s’il est plus revigorant, finalement, de savoir qu’un Krugman existe et qu’il écrit ce qu’il écrit, et que c’est publié en bonne place. Nous sommes au coeur du virtualisme, cette chose monstrueuse, visqueuse et aux mille tentacules, qui nous ensevelit sous des tonnes de mensonges et d’appréciations d’une complète conformité à la médiocrité nécessaire ; et qui ne peut interdire, à côté, à ceux qui la dénoncent aussi radicalement et aussi justement de la dénoncer effectivement sans lui accorder la moindre circonstance atténuante (le virtualisme est une chose sans circonstance) ni le moindre sursis (accorde-t-on un sursis à ce qui est un virus de la mort instantanée ?). Et nous pouvons applaudir à cela, comme qui dirait, en toute impunité, et même avec des murmures d’approbation autour de nous.

Lisez donc Krugman, qui nous dit tout pour son compte, — qui nous dit notamment que GW est un extra-terrestre qui dit avec une conviction parfaite des choses dont il ne sait parfaitement rien, et qui d’ailleurs ne sait pas une seule seconde ce qu’il dit, et qui d’ailleurs s’en fout comme vous et moi. On peut donc en rire et lui balancer des jugements complètement radicaux et pleins de bon sens sans qu’il s’en émeuve vraiment. Il y a, avec GW, une sorte de liberté presque surréaliste qui règne. Krugman en use à merveille.

Lisez donc Krugman. Il nous dit tout, de son point de vue de sentinelle avancée, de ce qui n’est même plus du nihilisme de l’administration GW, mais qui est plutôt sa réalité ontologique (si l’on peut dire pour ce phénomène de non-substance) issue d’un processus de “néantisation” (i.e., selon Sartre notamment : « conçu comme non-être »).


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