A Washington, l’extraordinaire est notre pain quotidien

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A Washington, l’extraordinaire est notre pain quotidien


12 juillet 2003 — John Solomon, de Associated Press, dans sa dépêche du 12 juillet à ce propos, qualifie sans hésiter la dernière péripétie washingtonienne : « Tenet's extraordinary statement ». C’est à propos de la déclaration publique du directeur de la CIA, George Tenet.


« CIA Director George Tenet gave Congress and the White House the accountability they demanded, declaring Friday that the blame for President Bush’s false allegation about an Iraqi nuclear deal rested squarely with him and his agency.

» The CIA should never have let Bush repeat a British report that Iraq was seeking uranium from the African country of Niger when U.S. intelligence analysts could not corroborate it, Tenet said in a statement. Ultimately, the allegation proved false.

» “These 16 words should never have been included in the text written for the president,” Tenet said, referring to Bush's State of the Union speech in January.

» [...] “This was a mistake,” the director said. »


Chaque jour un peu plus, la dégradation des moeurs politiques à Washington est mise en évidence dans l’affaire irakienne. Cette manoeuvre d’une extraordinaire grossièreté pour dégager la responsabilité du président n’aboutit qu’à mettre en évidence son irresponsabilité, ce qui n’est pas une vertu politique, en même temps qu’elle éclaire les processus de grossière manipulation de tout ce qui touche au pouvoir, et notamment des organismes de renseignement.

Cette intervention du directeur de la CIA met en évidence deux situations extraordinaires à Washington, aujourd’hui :

• Le président des États-Unis ne peut plus être tenu responsable de rien. Dans ce cas, c’est son subordonné, le directeur du renseignement, qui porte toute la responsabilité de ce qu’a dit le président. Dans d’autres cas, les mêmes dispositions seront prises, le département d’État, le FBI, la réserve fédérale, Wall Street étant invités à assumer leurs responsabilités. La fonction de président n’est plus celle de l’autorité suprême que pour les pouvoirs de décider. En cas de problème, il s’avère qu’elle n’est qu’un simple relais des prises de position et des décisions des centres de pouvoir dans son administration. C’est une révolution copernicienne dans la définition du chef d’État et de gouvernement, élu par le suffrage universel : GW use de tous ses droits de président, il n’en accepte aucun des devoirs.

• La perte totale du sens de leur devoir de la part des hauts fonctionnaires. On savait George Tenet suffisamment ondulant pour avoir réussi sans vrai problème la transition de Clinton à GW. Il le prouve encore plus, en affirmant une chose notoirement fausse et d’une façon si contradictoire puisque, exactement en même temps, on annonce en large et en travers que la CIA avait tenté, quatre mois avant le discours incriminé de GW, de convaincre les Britanniques que cette affaire d’uranium nigérien ne tenait pas la route. Par contre, la CIA aurait approuvé à 100% un texte du président, — et quel texte, le discours sur l’état de l’Union, — qui prenait pour de l’argent comptant cette affaire d’uranium nigérien ; ou bien non, elle s’est trompée la CIA, le re-lecteur de service à mal lu, pensez, 16 mots, quelle tâche gigantesque, il a dû défaillir d’épuisement au huitième ou au neuvième ... On serait tenté, pour donner une dernière chance à Tenet, d’avancer l’hypothèse que son intervention, évidemment exigée par la Maison-Blanche, est faite de façon tellement grotesque qu’elle pourrait être une dénonciation a contrario de cette machination infantile. L’affaire devrait encore accroître la crise de la CIA, qui passe par une rupture totale de son actuel directeur avec le personnel de l’Agence, et de ce personnel avec le reste de l’administration.

Le résultat, outre l’aspect Barnum circus que prend cette affaire, est une formidable destruction de la fonction présidentielle, avec une accélération du processus de l’éclatement du pouvoir. A Washington, le pouvoir et l’administration sont de plus en plus mal armés pour affronter la crise qui semble se profiler à l’horizon, qui sera une crise de la fonction présidentielle en même temps qu’une crise pour GW. Si la crise éclate, on pourra remiser le Watergate au magasin des accessoires, et il ne sera pas seulement question d’une défaite de GW à l’élection de 2004. Tout le système en sera secoué jusqu’à ses tréfonds.