Rumsfeld, le meilleur ami de l’Europe ?

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Rumsfeld, le meilleur ami de l’Europe ?


3 avril 2003 — Assez curieusement en apparence, assez logiquement en réalité, il y a une connivence “objective” entre Rumsfeld et les partisans d’une Europe indépendante. Ce point est mis en évidence par la visite de Powell à Bruxelles, ce jour.

Actuellement, comme le détaille l’excellent Jim Lobe, il y a une bataille entre Rumsfeld et Powell. Ce n’est pas nouveau mais c’est encore plus vigoureux. A partir de ce constat et de celui que Powell est à Bruxelles autant pour obtenir le soutien des Européens que pour les informer de la situation en Irak, faisons quelques remarques en apparence innocentes.

• Avec le déclenchement de l’attaque en Irak, Powell a complètement disparu de la scène washingtonienne. Certains ont même réclamé sa tête, pour sanctionner le désastre diplomatique US à l’ONU.

• Depuis qu’il s’avère que le plan US initial a échoué, parce que la liquidation de Saddam et le ralliement enthousiaste des Irakiens aux USA n’étaient pas au rendez-vous, Powell reparaît.

• ... Il réapparaît d’autant plus qu’on parle de l’avenir de l’Irak post-guerre. Powell veut quelque chose où l’on puisse mêler Américains, si possible du département d’État, Européens, ONU, pourquoi pas l’OTAN, qui aurait enfin l’impression de servir à quelque chose (ce serait bon pour ses nerfs).

• Le DoD bloque comme un beau diable toutes les initiatives du département d’État, notamment les nominations de fonctionnaires du département à tel ou tel poste en Irak post-guerre. La haine entre les deux factions est toujours aussi vive, d’autant que le DoD pouvait espérer que Powell serait complètement et définitivement dévalué par son revers de l’ONU.

Dans cette bataille, Powell cherche des alliés contre Rumsfeld. Il les trouve sur son côté naturel : la diplomatie, les institutions multinationales, l’Europe également, à la fois payeuse éventuelle en Irak, partie prenante en Irak, partisane du multilatéralisme, etc. Ce faisant, Powell offre une alternative soft qui est son fond de commerce, sa façon d’être et sa façon de penser ; au-delà, il n’offre rien, aucune garantie de rien du tout puisqu’il n’est maître de rien à Washington. On peut comprendre que si Powell arrive à faire croire qu’il pourrait imposer sa ligne pour l’Irak, il rallierait tous les hésitants, surtout en Europe, les hostiles honteux, etc, qui n’ont pu faire que désapprouver Washington en mourant de transport de ne pouvoir approuver Washington. Powell les délivre de ce dilemme, et tout le monde peut croire que tout rentre dans l’ordre. Bien évidemment, le temps qu’un nouvel objectif soit désigné et qu’une nouvelle expédition soit montée (Powell sera alors rangé dans un placard). On peut imaginer que le même scénario se reproduise pour chaque conquête hypothétique, Syrie après Irak, Iran après Syrie, etc, Powell étant ressorti pour raccommoder la vaisselle après la sorte de conquête du pays par les USA.

On comprend bien cela dans cette initiative lancée à Washington par 29 personnalités pour « atteindre un compromis », c’est-à-dire introniser le retour de Powell et dédouaner Washington.


« The breach between the Pentagon on the one hand and Powell, the aid groups and the Europeans on the other, has become so serious that 29 prominent Democrats, neo-conservatives and right-wing Republicans published a joint letter this week that they proposed as the basis for an acceptable compromise.

» Signed by analysts and former policy makers from the mainstream Brookings Institution and the Council on Foreign Relations and from right-wing think tanks such as the American Enterprise Institute and the Hoover Institution, the letter called for Washington to ''seek passage of a Security Council resolution that endorses the establishment of a civilian administration in Iraq, authorizes the participation of UN relief and reconstruction agencies, [and] welcomes the deployment of a security stabilization force by NATO allies''.

» ''While some seem determined to create an ever deeper divide between the United States and Europe, and others seem indifferent to the long term survival of the trans-Atlantic partnership,'' the letter stated in what some sources called an implicit rebuke to both Rumsfeld and French President Jacques Chirac, ''we believe it is essential, even in the midst of war, to begin building a new era of trans-Atlantic cooperation''.

» ''To my mind, it's a statement of opposition to the 'scorched earth' sense we have crossed the Rubicon and we can do everything by ourselves,'' said one right-wing signer, Tod Lindberg of the Hoover Institution.

» ''The message is: 1) The US doesn't need to go it alone; and 2) That it can't,'' said Lee Feinstein, another signer and former Bill Clinton official currently with the Council on Foreign Relations. »


Mais Rumsfeld veille. Il ne l’entend pas de cette oreille. Ce qu’il tient, il ne lâche pas. D’où son durcissement extrême à l’encontre des initiatives du département d’État. Il apparaît bien difficile d’imaginer une circonstance où Powell réussirait effectivement à imposer ses vues, tant est grande l’influence du secrétaire à la défense, tant elle serait (sera) grande après une victoire significative.

Maintenant, voyons le point de vue européen, — le vrai, bien sûr, celui qui implique une autonomie de l’Europe. Voyons-le selon l’appréciation théorique qu’on a donnée de l’attitude politique de Powell, qui reflète évidemment l’état d’esprit de la politique qu’on retrouve également dans la déclaration citée par Jim Lobe. Épouser la démarche de Powell, malgré toute la sympathie qu’on peut avoir pour le secrétaire d’État, c’est évidemment donner un blanc-seing rétrospectivement à la guerre américaine et retrouver l’alignement transatlantique traditionnel, — et la signification décodée de « a new era of trans-Atlantic cooperation » que propose le document ne dit pas autre chose.

D’où il ressort ce paradoxe, qui n’est d’ailleurs pas vraiment nouveau, que la dureté et l’unilatéralisme de Rumsfeld sont les véritables alliés de la véritable Europe, par logique et pression contradictoires. (De tous les temps, on a constaté que les tendances les plus dures des USA avaient pour effet de contraindre les Européens à certaines attitudes de fermeté. C’est une mécanique d’une simplicité extrême, qui montre qu’en temps normal, lorsque les Américains sont un peu moins malhabiles, les Européens savent d’où viennent les consignes.)

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