Isolationnisme par la Corée

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Isolationnisme par la Corée


16 janvier 2003 — L’intéressant article de Jim Lobe : «US: Korea crisis fuels isolationism» met en évidence une évolution probable de l’aile “pensante” extrémiste de l’administration GW (les neo-conservatives, Wolfowitz au DoD, le Wall Street Journal, etc), à l’occasion de la crise de la Corée du Nord, — évolution qui, à son tour, pourrait influer de façon importante la politique extérieure américaine. Cela nous conduit à poser la question  : à terme, qu’est-ce qui est le plus important, la crise tragicomique d’Irak ou la crise véritable de Corée du Nord  ?

Jim Lobe pense que la crise coréenne va aboutir à un regain de l’isolationnisme américain. Il décèle déjà des indications de cette tendance dans divers commentaires venus des milieux neo-conservatives. Effectivement, citations et interventions dans ce sens ne manquent pas.


« [The hawks] recognize, of course, the practical impossibility of destroying the nuclear reactors with US military action without risking the destruction of the South Korean capital, Seoul, and the lives of the 37,000 US troops who have acted as a "tripwire" against any North Korean invasion since the end of the Korean War. But they do not see that as an excuse for letting Tokyo and Seoul, as well as Pyongyang and China, the North's main external source of fuel and food, off the hook.

» Their frustration has expressed itself mainly in surprisingly radical suggestions that Washington should withdraw its troops from South Korea and even encourage Japan to go nuclear, even though either move would radically alter, if not destroy, Washington's oldest Asian alliances.

»Troop withdrawal was first floated last month by the editorial writers of the Wall Street Journal, a neo-conservative mouthpiece close to Deputy Defense Secretary Paul Wolfowitz and the chairman of the Defense Policy Board, Richard Perle. It followed the victory of South Korean President-elect Roh Moo-hyun, who defeated the US-favored candidate on a tide of anti-American protests over Bush's hard line against Pyongyang and a US military court's acquittal of soldiers who accidentally killed two South Korean schoolgirls. "Perhaps in his call of congratulations, President Bush should inform Mr Roh that the US does not stay where it isn't wanted. American troops are there to protect Koreans, and if they no longer feel that is necessary, we will bring them home," said the Journal.

» As the crisis intensified, the hawks became more resentful of Seoul's refusal to adopt Washington's hard line. "I've been saying for a week or two now that we should pull our troops out of South Korea," noted New York Times columnist William Safire, a prominent neo-conservative, who suggested that the very presence of US troops acted as a constraint on US military options. "If we have to attack or take out a nuclear plutonium-producing facility," he asked on Meet the Press, the United States' most widely watched public-affairs television program, "why should we have 37,000 US troops vulnerable right there?"

» And Kenneth Adelman, a protege of both Defense Secretary Donald Rumsfeld and Perle who serves with the latter on the Defense Policy Board, recommended withdrawing at least half of the US troops from Korea, in a recent comment on National Public Radio. Such a move would have two benefits, he argued: it would "challenge the South Koreans on whether our military presence is, indeed unwanted", and, more significant, it would "show the world what Americans instinctively know ... the default position of US foreign policy is isolationist, not expansionist". »


Lobe cite l’analyste Charles Kupchan, que nous avons déjà rencontré, et notamment Kupchan rappelant que l’unilatéralisme prôné et pratiqué par les faucons extrémistes américains est, fondamentalement, de même essence que l’isolationnisme (l’unilatéralisme n’est finalement rien d’autre qu’un “isolationnisme offensif” puisqu’il s’appuie sur les prescriptions fondamentales de l’isolationnisme  : défense exclusif de l’intérêt national, refus absolu de tout partage de souveraineté, de tout engagement politique pouvant mettre en péril cette souveraineté).

La crise coréenne a produit un choc fondamental qui est la réalisation des limitations décisives de la puissance américaine. Le fait est peu spectaculaire pour l’instant parce qu’il est absolument ignoré par les relais médiatiques et, au-delà, par les centres d’analyse politique, par les bureaucraties occidentales, par les dirigeants politiques, — mais il s’agit d’un fait et, sur le terme, toutes les illusions admiratives de la puissance américaine seront balayées. La réalité est que les USA ont été complètement paralysés, d’un point de vue militaire, devant les menaces nord-coréennes. Par exemple, ils n’ont même pas pu affecter un groupe de porte-avions spécifiquement pour contrôler la crise coréenne parce qu’ils n’en disposent pas aujourd’hui, avec les six groupes principaux déployés dans le Golfe ou affectés à ce théâtre en cas de nécessité. Les Américains ont donc cédé. Les Nord-Coréens ont joué sur du velours.

Le “message” ne sera pas ignoré, d’abord par les deux Corées, qui vont accélérer leur rapprochement, essentiellement aux dépens des liens de la Corée du Sud avec les USA ; ensuite par le Japon et Taïwan, qui vont devoir assumer un rôle stratégique régional plus important, avec là aussi distension des liens avec les USA selon la simple logique qu’un supplément de responsabilité renforce (ou crée quand il n’y a rien) l’attitude de l’autonomie. Tout cela, du côté américain, devrait être effectivement interprété comme la nécessité d’un repli sur la dimension continentale, avec l’accent mis sur des capacités d’action unilatéralistes contre des “ennemis” divers sans engagement terrestre (ce qui est dans l’idée d’un William Safire lorsqu’il dit  : « If we have to attack or take out a nuclear plutonium-producing facility, why should we have 37,000 US troops vulnerable right there? » — on sait que les Américains affectionnent ces situations où ils sont de la position de pouvoir liquider beaucoup d’“ennemis”, de loin, sans risquer beaucoup et en n’ayant aucune force à terre).

L’analyse de Jim Lobe paraît tout à fait acceptable, contribuant notamment à dissiper, dans tous les cas à mettre en perspective les appréciations guerrières et impériales qui sont faites à propos des ambitions de l’Amérique depuis l’attaque du 11 septembre 2001. L’échec américain de Corée représente un sérieux revers, pour l’instant qui n’est en rien compensé par quelque chose qui ressemblerait à une victoire (du côté de l’Irak), et tout cela découvre la réalité des capacités militaires américaines. Finalement, cette hypothèse selon laquelle la réaction de repli et de protection de l’extérieur enregistrée au niveau intérieur sera transcrite dans l’évolution de la politique extérieure US par un repli isolationniste avec désengagements de forces semble assez acceptable. Il est possible qu’on en voit les prémisses indirectement et fortuitement avec le transfert de troupes US des Balkans vers le “front” autour de l’Irak  ; ces forces pourraient ne pas revenir à leur déploiement initial, abandonnant un de ces engagements terrestres dont les Américains voudraient désormais être quittes.