Considérations (I) autour d'un “incident de parcours”

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Considérations (I) autour d'un “incident de parcours”


16 juin 2008 — Le vote irlandais n’est-il qu’un “incident de parcours”? Les affaires européennes après le vote irlandais s’agitent autour de l’impulsion centrale, concentrée sur une volonté commune franco-allemande, de pousser pour que le processus de ratification du traité continue. Néanmoins, on est loin de voir une unanimité établie sur la question, quant à la marche à suivre, jusqu’à l’extrême de la Tchéquie qui déciderait de stopper le processus de ratification. (Les Tchèques ont eu une position incertaine dans cette affaire avec de fortes pressions pour qu’un référendum ait lieu. Finalement, le gouvernement avait choisi la voie de la ratification parlementaire. Depuis le vote de l’Irlande, le président de la république Klaus a déclaré qu’il considérait le traité comme “mort”. Il semble que cet avis ait été suivi par le gouvernement.)

Un texte de l’International Herald Tribune du 15 juin résume l’évolution des sentiments divers dans cette affaire, durant les quelques jours depuis le vote irlandais. On voit comment le débat porte essentiellement sur la question de savoir comment l’on traiterait les Irlandais dans la seule hypothèse considérée en général qu’il faut faire avancer le traité. La pratique éminemment démocratique, – la démocratie “par la force”, dirions-nous, – de forcer les Irlandais à recommencer leur vote est notamment envisagée, alors que les dirigeants irlandais jugent cette idée inapplicable (non parce qu’elle n’est pas “démocratique” mais parce qu’elle a peu de chances de réussir, – on en reste au “comment”, en refusant de considérer la question de la valeur du traité confronté au refus populaire des Irlandais).

«After Ireland's rejection of the Lisbon Treaty, a split began to emerge Sunday in European capitals over whether to press Dublin to hold another vote – with an implicit threat to consign the Irish to an outer tier of the European Union should they say no again.

»Wolfgang Schäuble, the German interior minister, said there was clear support for “the continuation of the process of European unification” and proposed going even further, by creating direct elections to the job of president of the European Commission, one of the most powerful positions in the 27-member bloc.

»“Of course we have to take the Irish referendum seriously,” Schäuble said in an interview with the German newspaper, Welt am Sonntag. “But a few million Irish cannot decide on behalf of 495 million Europeans.”

»But Britain made it clear that, while it will continue to ratify the Lisbon Treaty, it will not attempt to isolate the Irish or force them to vote again if Dublin believed the result would be another no.»

»“There is no question of bulldozing or bamboozling or ignoring the Irish vote,” David Miliband the British foreign secretary, said on BBC television. “The rules are absolutely clear. If all 27 countries do not pass the Lisbon Treaty it cannot pass into law.”»

Autre point: l’hypothèse habituelle d’une “Europe à deux vitesse” apparaît à nouveau, en général comme à chaque crise européenne depuis quelques années.

«Miliband added that a “two tier” Europe – with some countries pressing ahead with greater integration and others being left behind – was not “in our interests or going to happen.”

»Miliband's comments reflected worries that the fallout from the Irish no vote could ultimately lead to a schism in the bloc between those committed to closer integration and an outer tier, which would probably include the British.

»Prime Minister Jean-Claude Juncker of Luxembourg warned over the weekend that a group of like-minded states could form their own “Club of the Few” to advance joint policies.

»A no vote in a second Irish referendum could prompt calls for a new union of more committed European Union states.»

Nécessité et incertitude

Les réactions politiques après le vote irlandais sont marquées par deux attitudes qu’on pourrait caractériser comme la nécessité et l’incertitude. Elles correspondent à deux perceptions de la situation européenne, l’une n’étant pas exclusive de l’autre, c’est-à-dire trouvant à être exprimées parfois par la même personne, le même gouvernement, etc.

• La nécessité, c’est celle de poursuivre, de ne pas laisser échapper le traité, considéré comme la sauvegarde de l’Union et la clef de l’affirmation de l’Europe. Il s’agit de la vision conventionnelle connue, qui correspond à une attitude fondamentale des classes dirigeantes européennes. La logique est celle de l’évolution politique nécessaire de l’Europe, pour permettre une affirmation politique active. Bien entendu, l’obstacle rencontré par cette façon de voir repose sur le processus d’élaboration du traité, le contenu de ce traité dans des domaines importants, tout cela renvoyant aux raisons profondes du vote négatif irlandais.

• L’incertitude découle de l’obstacle mentionné ci-dessus. Le vote négatif irlandais peut aussi être considéré hors de son cadre national, hors du poids réel peu important du pays concerné, pour être apprécié comme un signe de plus du malaise général qui affecte les opinions publiques. Bien qu’il ait été déclaré avec emphase que le vote irlandais ne stopperait pas le processus, et suggéré dans le même élan que l’Irlande n’avait guère d’importance pour nombre de raison, il n’en reste pas moins qu’à cause des caractères mentionnés diversement existe cette sensation que ce vote exprime effectivement quelque chose qui dépasse le seul cadre irlandais. D’où cette incertitude, qui traduit un malaise plus général, qui a aussi à voir avec les diverses turbulences de l’époque qui convergent pour la mise en cause d’un modèle structurel de gouvernement inspiré par une idéologie spécifique, dont le traité reste plus ou moins inspiré.

Il y a donc une certaine retenue dans les commentaires, par rapport à ce qu’on aurait pu attendre et par rapport à ce qu’avait déclenché, par exemple, le référendum français de mai 2005. Cette retenue n’est pas celle de l’indifférence mais celle de l’incertitude mentionnée plus haut. Cette incertitude n’est pas trop exprimée parce qu’il y a par ailleurs la nécessité mais la nécessité n’est pas assez forte pour empêcher l’incertitude de s’exprimer passivement par la retenue des commentaire.

Il est vrai que la situation extérieure pèse de tout son poids. La crise est partout, bien plus qu’en 2005, lors du référendum français. Elle affecte la globalisation elle-même, l’économie, les USA, etc. Tout le monde sait que la Commission européenne est le “clone” de ce modèle en crise et que le traité en reprend bien des traits. Il y a donc une certaine contradiction inhérente. La nécessité mentionnée plus haut conduit donc à soutenir un traité inspiré par le modèle libéral dont on voit bien qu’il est partout en crise. Cela n’empêche pas le malaise d’être considérable puisque, par ailleurs, on voit les uns et les autres, tel ou tel ministre, attaquer avec violence le modèle implicitement favorisé par le traité dans son domaine de compétence, alors qu’il est conduit par solidarité gouvernementale à favoriser le traité.

Le cas était flagrant hier soir lors de l’émission du Grand Débat de TV5-Monde, de 18H00 à 19H00, avec le ministre de l’agriculture et de la pêche français Michel Barnier. Le ministre, qui est un homme célèbre pour son conformisme et sa “langue de coton”, s’est emporté avec passion pendant près d’une heure dans la défense des méthodes traditionnelles, de la vieille corporation des pêcheurs, de l’agriculture si proche du terroir, etc., contre les dogmes de la globalisation niveleuse et nihiliste qu’il a dénoncés en termes dignes d’un dirigeant d’ATAC, avec des attaques feutrées mais virulentes contre la Commission. Parfois, Barnier s’arrêtait, à une question ou l’autre, pour son “minimum syndical” en faveur du traité, et la chose sonnait bien étrangement par la contradiction inhérente qu’elle impliquait, qu’on a signalée plus haut.

Curieuse circonstance. Le “non” irlandais met aussi bien en évidence la “fuite en avant” des élites européennes que les limites de cette “fuite en avant”. Ce vote “sans grande importance” d’un petit pays qui n’en a guère plus, aux yeux des démocrates européens perchés à Bruxelles, n’en débusque pas moins les grandes angoisses d’une crise qui ne cesse de s’approfondir, de s’élargie, d’enfoncer un coin dans les psychologies les plus endurcies dans le conformisme du système. Le “oui” irlandais accélère la prise de conscience de la crise.


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