L’échec d’une conception du monde

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Les enquêtes d’opinion sur l’image et l’influence des USA dans le reste du monde se succèdent. Depuis 9/11, elles montrent toutes la même tendance. Certaines de ces enquêtes nous apparaissent plus significatives que d’autres parce que, en plus de fixer une opinion générale, elles s’accordent à un projet politique et/ou à des politiques en cours d’une façon directe qui nous paraît significative. Ainsi, l’importance que nous accordons à cette enquête que présente Jim Lobe, aujourd’hui sur Antiwar.com. (Sixième enquête du type depuis 2002, conduite par le professeur Shibley Telhami de l’université du Maryland, et réalisée par Zogby International.)

L’enquête porte sur l’opinion générale au Moyen-Orient, sur 4.000 personnes dans six pays qui ont la particularité d’être des alliés des USA ou, en général, proches de la politique US et/ou occidentale: l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, la Jordanie, le Liban, le Maroc.

Les résultats sont impressionnants, – en plus d’être en évolution négative (contre les USA) depuis 2006, et positive (pour l’Iran, qui apparaît dans diverses questions). Selon Jim Lobe:

«Despite renewed U.S. efforts to achieve an Israeli-Palestinian peace agreement this year, popular views of the United States in the Arab world have actually worsened since 2006, according to a major new survey of public opinion in six Arab states.

»Nearly two-thirds, or 64 percent, of more than 4,000 respondents in Egypt, Jordan, Lebanon, Morocco, Saudi Arabia and the United Arab Emirates (UAE) said they held a "very unfavorable" attitude of the United States, up from 57 percent in late 2006, while 19 percent more said their views were "somewhat unfavorable" – roughly comparable to the results of 17 months ago.

»At the same time, support for Iran and its nuclear program appears to have risen over the same period, according to the new survey, the sixth in a series designed by University of Maryland Prof. Shibley Telhami and carried out by Zogby International since 2002.

»The poll found that two-thirds of the Arab public (67 percent) believes Tehran has the right to pursue its nuclear program and that international pressure to freeze it should cease. That compares to 61 percent who took the same position in 2006.

»Remarkably, nearly three out of four Saudi respondents said that if Iran acquired nuclear weapons, it would have a "positive" influence on the region, while 51 percent of UAE respondents agreed. Pluralities in Morocco and Egypt took the same position, while pluralities of roughly one-third in Lebanon and Jordan said Tehran's acquisition of a nuclear weapon would make no difference.

»The new survey also found that fears regarding both U.S. and Israeli designs in the region have also increased over the past 17 months, despite the length of time that has passed since the summer 2006 Israel-Hezbollah war, which inflamed anti-Israeli and anti-Western opinion throughout the region.

»Asked to name two countries that, in their view, posed the “biggest threat” to them, a whopping 95 percent and 88 percent of respondents named Israel and the U.S., respectively. That compared to 85 percent and 72 percent, respectively, in late 2006.

»By comparison, the sense of threat posed by Iran appears to have diminished over the same period. While 11 percent of Arab respondents named Iran as one of the two greatest threats in late 2006, only seven percent did so in the most recent survey.»

Cette enquête résume bien les effets dans la réalité d’une politique US développée depuis 2001 d’une façon agressive, par des moyens divers d’influence et d’usage de la force brutale. Tous les fondements de cette politique sont démentis d’une façon catégorique. (Il va de soi qu’en l’occurrence, tout ce qui est pensé et perçu des USA l’est également d’Israël. Jamais Israël n’a été autant identifié à une politique impérialiste et belliciste qui est celle des USA. Cette perception tend à accélérer l’appréciation d’Israël comme un pays “étranger” à la région, ce qui est une position très largement en recul depuis les années 1950, 1960 et 1970 malgré les guerres de ces périodes. L’alliance inconditionnelle d’Israël avec les USA, jusqu’à son “américanisation” depuis les années 1980, a conduit ce pays à troquer la possibilité d’une politique de tentative d’intégration dans la région qui pouvait encore démarrer à la fin des années 1970 avec la dynamique Sadate-Begin de la paix avec l’Egypte, contre une politique de “sécurité par la force” – une force qui s’avère de plus en plus illusoire et de plus en plus en échec, – qui accentue paradoxalement l’insécurité d’Israël par le sentiment de non-intégration dans la région.)

• La “croisade pour la démocratie”, qui est le fondement idéologique de la politique US dans cette région du monde. (Théorie des néo-conservateurs mais aussi profondément ancrée dans l’américanisme, puisqu’on peut aussi bien parler de néo-wilsonisme, à l’inspiration delà politique du président Wilson des années 1912-1920.) Il s’agit d’installer la démocratie dans ces pays, pour avoir une région stable et, surtout, pro-occidentale et pro-US. (Quelle que soit l’hypocrisie qu’on puisse déceler et dénoncer dans cette démarche, il reste qu’il s’agit d’une politique bien réelle et qui a été effectivement suivie dans des circonstances semblables. L’hypocrisie apparaît soit dans la définition qu’on donne de la “démocratie”, soit dans les moyens brutaux qu’on emploie lorsque l’installation de la démocratie ne se fait pas comme on l’attend.) L’enquête nous montre l’échec complet de la démarche. Si la démocratie était réellement appliquée dans les pays cités, pourtant tous amis ou proches des USA, tous ces pays seraient anti-américanistes. Leur proximité des USA ou leur alliance avec les USA tient à la corruption des régimes en place et au refus de leurs dirigeants d’entendre les vœux de l’opinion publique.

• La politique US hégémonique et belliciste a complètement déformé l’image que les USA veulent projeter dans le monde. Les USA sont identifiés désormais à leur politique et non à ce qu’ils jugent être leur substance de “modèle”. La conséquence paradoxale, puisque la politique implique une appréciation relative, est que l’Iran, perçu et dénoncé comme concurrent et adversaire des USA, est de plus en plus perçu comme un facteur de stabilité dans la région. De là, la perception de la légitimité pour l’Iran d’avoir un armement nucléaire. Sans effort exceptionnel de sa part, sans rien concéder de ses principes, “l’Iran des mollahs” est en train d’acquérir une véritable légitimité régionale, notamment dans un rôle de puissance stabilisatrice.

On devrait chercher dans l’Histoire, sans doute assez vainement, l’exemple d’une grande politique de puissance qui soit plus radicalement, plus fondamentalement contre-productrice pour la puissance qui l’a initiée et conduite que celle des USA dans la région. Elle l’est d’autant plus qu’elle produit ces effets catastrophiques au moment où le principal atout de cette politique, la puissance militaire, est ridiculisé en Irak et s’essouffle dangereusement dans ses capacités générales. On en viendrait à se demander, si l’on a le goût du complot, si l’Iran n’a pas introduit quelques “taupes” bien placées dans l’appareil de sécurité nationale des USA, tant la politique US lui est objectivement favorable…

Peut-être les alliés européens des USA, qui ont tant de liens économiques, sociologiques et culturels avec les pays arabes, pourraient-ils remplacer dans leurs réflexions les slogans des intellectuels médiatiques par les constats du bon sens. Cela occuperait leur week-end. Peut-être découvriraient-ils alors dans quel sens et vers quelles situations les conduit leur alignement “infantile” sur les USA (Anatol Lieven: «…in much of Western Europe, the infantile syndrome of dependence on the United States...»).


Mis en ligne le 15 avril 2008 à 12H28

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