Etre ou ne pas être le “candidat noir“

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La question non dite et non soulevée officiellement, ou le moins possible dans tous les cas, à propos de la candidature du sénateur Obama, est celle du racisme. Obama est Africain-Américain, selon la terminologie américaniste, de père noir (mais non américain) et de mère blanche. La possibilité de son élection est évidemment qu’il est aussitôt identifié comme un possible “premier Président noir”. Mais Obama lui-même refuse cette identification, selon la philosophie de sa candidature disant qu’il veut être un président pour tous les Américains.

C’est une position délicate, notamment par rapport à la communauté noire. Un désaccord fameux, entre le révérend Jesse Jackson Sr. et son fils, Jesse Jackson Jr., a déjà éclairé le sujet. Le révérend Jackson estime qu’Obama tourne le dos à sa communauté en ne s’affirmant pas suffisamment en tant que Noir, tandis que son fils fait partie, en tant que parlementaire, du noyau d’origine soutenant la candidature d’Obama.

Un commentaire particulièrement tranchant, publié aujourd’hui dans le Guardian par le professeur de mathématiques Jonathan Farley, rend compte d’une façon encore plus précise de ce dilemme qui caractérise la candidature Obama. Farley, qui est Noir bien sûr, reprend la querelle notamment fameuse dans les années 1960, au sein de la communauté noire, entre les réformateurs et les révolutionnaires. Les premiers, avec Martin Luther King (sauf dans sa dernière période, avant son assassinat, où il s’était radicalisé), prônaient la non-violence et l’intégration, en coopération avec l’effort du gouvernement fédéral (Johnson essentiellement) en faveur des droits civiques. Les seconds, avec Malcolm X et les Black Panthers, avaient choisi la rupture révolutionnaire contre le système américaniste, qu’ils jugeaient intrinsèquement raciste.

Farley termine ainsi son commentaire:

«Which brings us to Obama, a black candidate who refuses even to say whether he supports reparations for slavery. One of the worst aspects of the King legacy is that, thanks to him, no African-American today is allowed to bring up racism, even in the most objective fashion, without severe repercussions. You will be instantly labelled a radical, a Black Panther (a bad thing), or a Mau Mau (a very bad thing) who wants to kill the white man. King has eliminated the possibility of other black people speaking out, people with other philosophies, who do not necessarily want to hug racists. Obama can succeed only insofar as he makes it plain that, like the British trade unionist Bill Morris, he is “not the black candidate”, that he can be counted on neither to be a champion for, nor to defend the rights of, black people.

»Our love for King notwithstanding, if we are honest we will concede that King built nothing, and taught us only how to take a beating. As Gandhi said: “I have admitted my mistake. I thought our struggle was based on non-violence, whereas in reality it was no more than passive resistance, which is essentially a weapon of the weak.”

»It is time we all admitted our mistake. A black King did not redeem us. And neither will a black president.»

Il s’agit là d’un véritable problème pour Obama, sans doute son principal problème: comment ne pas être “le candidat noir” alors qu’il l’est évidemment dans la perception générale? Obama sait parfaitement que s’il s’affirme trop selon cette ligne, il risque de se heurter à un réflexe raciste, – lequel, selon certaines analyses, se serait déjà affirmé dans le New Hampshire selon la thèse dite du “Bradley effect” (les sondages annonçant la victoire d’Obama étant faussés à cause du refus, conscient ou pas, de certains sondés blancs de répondre qu’ils ne voteraient pas pour le candidat noir par crainte de paraître racistes). Au contraire, s’il accentue le refus d’identification raciale pour combattre ce risque, Obama risque d’exacerber une opposition noire type-Farley, laquelle peut à son tour entraîner ou accentuer une réaction raciste chez les Blancs.

Le problème US est accentué par l’accusation implicite ou explicite portée par certains Noirs (type-Malcolm X) contre le caractère intrinsèquement raciste d’un système qui a bien d’autres tares. Dans ce cas, l’intégration est vue comme un acte de collaboration avec un système lui-même perçu comme pervers, non seulement pour son racisme, mais à cause de ses orientations générales, qui incluent par logique dominatrice le racisme anti-noir. L’accusation de “collaboration” porte aussi bien sur l’absence de solidarité avec sa communauté raciale que sur le fait de s’intégrer dans un système américaniste qui a bien d’autres perversités en plus de celle qu’il exerce contre les Noirs. (C’était l’attaque de Harry Belafonte contre Colin Powell, accusant le secrétaire d’Etat de se conduire comme un “house slave”, expression du temps de l’esclavage désignant un esclave collaborant avec ses maîtres blancs contre des privilèges.)


Mis en ligne le 17 janvier 2008 à 05H25