Washington face à sa “Bataille d’Angleterre”

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Au contraire du rassurant quoique furieux ron-ron pré-électoral de America the Beautiful qui tendrait à nous faire croire que tout est normal dans le meilleur des Nouveaux Mondes, la formation au cœur de l’establishment washingtonien d’un groupe bipartisan d’unité nationale, hors des partis, est un signe puissant du désarroi régnant au sein de cet establishment. Qu’on envisage une candidature indépendante (3ème candidat) sérieuse pour une élection présidentielle US est déjà un signe de trouble politique; qu’on envisage une candidature indépendante dite d’“unité nationale” au sein même de l’establishment est un signe d’un très puissant désarroi politique, et dans tous les cas une situation politique sans précédent. (Les candidats indépendants, même issus de l’establishment comme Theodore Roosevelt en 1912 rompant avec les républicains pour devenir candidat “progressiste”, ont toujours évolué hors des structures de l’establishment.)

L’initiative est présentée par David S. Broder dans sa chronique du 30 décembre 2007 du Washington Post. Il s’agirait d’étudier les conditions d’une relance d’un leadership et du système politique à Washington sur l’idée d’unité nationale (bipartisanship), hors des structures des deux partis; on envisagerait le lancement et le soutien d’une candidature hors-parti, bipartisane, pourtant issue de l’establishment. L’hypothèse avancée est une candidature à la présidence du maire de New York, démocrate devenu républicain puis ayant quitté le parti républicain, Michael R. Bloomberg (dont on sait qu’il envisage depuis longtemps, pour son compte, une candidature indépendante). Il y aurait alors un co-listier de tendance démocrate, comme l’ancien sénateur Gary Hart par exemple. Le groupe attendrait les deux ou trois premiers mois des primaires (jusqu’en mars-avril 2008) pour se prononcer, selon les orientations de la campagne, et notamment la confirmation du caractère actuel de la situation politique plongée dans une atmosphère de concurrence acharnée et stérile entre les deux partis. (De ce point de vue, rien ne semble s’arranger…)

Broder annonce la première réunion du groupe pour le 7 janvier 2008:

«New York Mayor Michael R. Bloomberg, a potential independent candidate for president, has scheduled a meeting next week with a dozen leading Democrats and Republicans, who will join him in challenging the major-party contenders to spell out their plans for forming a “government of national unity” to end the gridlock in Washington.

«Those who will be at the Jan. 7 session at the University of Oklahoma say that if the likely nominees of the two parties do not pledge to “go beyond tokenism” in building an administration that seeks national consensus, they will be prepared to back Bloomberg or someone else in a third-party campaign for president.

»Conveners of the meeting include such prominent Democrats as former senators Sam Nunn (Ga.), Charles S. Robb (Va.) and David L. Boren (Okla.), and former presidential candidate Gary Hart. Republican organizers include Sen. Chuck Hagel (Neb.), former party chairman Bill Brock, former senator John Danforth (Mo.) and former New Jersey governor Christine Todd Whitman.

»Boren, who will host the meeting at the university, where he is president, said: “It is not a gathering to urge any one person to run for president or to say there necessarily ought to be an independent option. But if we don't see a refocusing of the campaign on a bipartisan approach, I would feel I would want to encourage an independent candidacy.”

»The list of acceptances suggests that the group could muster the financial and political firepower to make the threat of such a candidacy real. Others who have indicated that they plan to attend the one-day session include William S. Cohen, a former Republican senator from Maine and defense secretary in the Clinton administration; Alan Dixon, a former Democratic senator from Illinois; Bob Graham, a former Democratic senator from Florida; Jim Leach, a former Republican congressman from Iowa; Susan Eisenhower, a political consultant and granddaughter of former president Dwight D. Eisenhower; David Abshire, president of the Center for the Study of the Presidency; and Edward Perkins, a former U.S. ambassador to the United Nations.»

La chose est sérieuse, cela ne fait aucun doute. Des noms comme Sam Nunn, Chuck Hagel, David Boren, Gary Hart, William Cohen, David Abshire, le nom de Bloomberg lui-même en témoignent. La chose est d’autant plus sérieuse qu’elle ne s’adresse pas à la présidence GW Bush, avec les critiques habituelles qui vont avec, mais au monde politique washingtonien dans son ensemble, et concernant son avenir. La lettre de Boren, qui est l’organisateur de la première réunion, ne cache pas la gravité de la situation: «…our political system is, at the least, badly bent and many are concluding that it is broken at a time where America must lead boldly at home and abroad. Partisan polarization is preventing us from uniting to meet the challenges that we must face if we are to prevent further erosion in America's power of leadership and example. […] Today, we are a house divided. We believe that the next president must be able to call for a unity of effort by choosing the best talent available – without regard to political party – to help lead our nation.»

Le thème de l’unité nationale est récurrent. Boren compare la situation de la direction US aujourd’hui à celle de Churchill pendant la Deuxième Guerre mondiale, – Churchill le conservateur qui fit effectivement appel aux énergies nationales et forma un gouvernement d’unité nationale avec le leader travailliste Ernest Bevin. La comparaison est audacieuse et surtout dramatique. Elle donne une mesure du sentiment régnant à Washington.

Sur la perspective d’une candidature indépendante de Bloomberg, il faut réserver son jugement. En tout état de cause, elle n’interdirait évidemment pas une autre candidature indépendante, une qui viendrait plutôt d’un appel populaire (on pense inévitablement à Ron Paul s’il décidait de quitter le parti républicain selon l'évolution des élections primaires, comme il l’a laissé entendre dans une déclaration controversée au sein même de son équipe électorale). Ces diverses réalités font penser que la perspective électorale US évolue plutôt, pour l’instant, vers le désordre d’éventuelles candidatures multiples, une situation où la référence à la IVème République française ou à l’Italie en vitesse de croisière (ou à la Belgique actuelle?!) est plus conforme que la référence à l’Angleterre churchillienne de la Bataille d’Angleterre.


Mis en ligne le 31 décembre 2007 à 05H19