Ne quittez pas, je vous passe Vladimir

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Le coup de téléphone de Nicolas Sarkozy plonge l’Europe dans le désarroi le plus complet. (Déclaration du porte-parole du président, David Martinon, aux journalistes, lundi, dans le courant de la visite de Sarko en Algérie: «Le président a téléphoné à Vladimir Poutine pour le féliciter.»)

Une source européenne plutôt sensible à l’ironie observait pour nous ce matin: «On ne sait plus où on en est, et il n’est pas question d’adopter une attitude commune vis-à-vis de cette élection russe, comme certains Etats-membres suggéraient de faire. Les Allemands ont fait savoir, d’une façon très réglementaire, qu’ils considéraient ces élections comme “neither free, fair nor democratic”. C’est simple, ils ont pompé le communiqué de l’OSCE. Et puis il nous semble que Kouchner a critiqué le processus électoral, – mais est-ce bien important? Et puis, voilà qu’on apprend que Sarkozy a téléphoné à Poutine pour lui dira “bravo Vladimir”…»

Barroso a-t-il voulu, lui aussi, téléphoner à Poutine (pour le féliciter, suppose-t-on)? D’abord, on vous confiait vertement qu’il n’en avait pas été question une seconde. Puis un porte-parole s’est contenté de noter sobrement, hier après-midi : «Je ne suis pas au courant qu’on ait envisagé un coup de téléphone». La présidence portugaise s’est couverte de ridicule avec une conscience exemplaire. Elle avait fait savoir discrètement mais fermement, lundi matin, qu’il y aurait un communiqué commun des 27. Ce matin, freinage des quatre fers : «Il était difficile d’arriver à un consensus. Certains veulent une chose, d’autres veulent autre chose.» Précision instructive. La semaine dernière, le Portugal, en tant que président de l’UE avait distribué un communiqué sévère trois jours après l’arrestation de Kasparov à Moscou. Quelques heures plus tard, le communiqué était annulé, remplacé par un autre, absolument neutre, inodore et sans saveur.

Mais enfin, que disent les institutions européennes, à la fin, et qu’en est-il de la position commune? La réponse du porte-parole Johannes Laitenberger, homme à la peine s’il en est, vaut son pesant de cacahuètes (nous traduisons de son English) : «Je crois qu’il y a une analyse commune entre les Etats-membres de l’UE et cette analyse commune est partagée par la Commission…» Puis, après quelques toussotements embarrassés sur l’absence de position publique commune : «Tout le monde sait que des observateurs ont dénoncé un certain nombre d’irrégularités et … il est dans l’intérêt de la démocratie russe, dans l’intérêt d’une Russie forte et crédible, de clarifier toutes ces allégations d’irrégularités.» Ce qui était jusqu’alors dans le langage des couloirs “des irrégularités scandaleuses” était donc devenu “des allégations d’irrégularités”. Tout cela est politiquement audacieux et bouleversant.

Parmi ces “allégations d’irrégularités”, il y a la puissante accusation d’une “atmosphère politique dominée par le Kremlin”. Cela a permis au chef de la commission électorale de Vladimir Churov de se payer un peu d’humour sympathique. «Je peux dire que, par exemple, à Moscou et à Saint-Petersbourg, les élections ont eu lieu dans une atmosphère de sérieuse pollution à cause de la circulation automobile intense. Mais, en tant que physicien des questions atmosphériques, je ne pourrais pas vous dire dans quelle atmosphère politique les élections ont eu lieu.»

Pendant ce temps, et pour achever cette note par un élément plus sérieux, correspondant au premier cité (le coup de téléphone de Sarko), le secrétaire d'Etat français chargé des Entreprises et du Commerce extérieur, Hervé Novelli, était en visite à Moscou. Novelli a fortement insisté pour un renforcement marqué des relations économiques entre la France et la Russie. Il veut aider les entreprises françaises à profiter des opportunités de l’expansion russe et favoriser des investissements infrastructurels. («De la même manière, en termes d'investissements croisés [...] la situation là encore mérite d'être largement améliorée par une participation des entreprises françaises aux grands projets d'infrastructures russes: je pense notamment aux transports, l'aéronautique, l'énergie, mais aussi le bâtiment et travaux publics.»)

Ces divers épisodes et incidents ont évidemment un rapport entre eux. Ils expriment une leçon politique importante quoique sans réelle nouveauté, – comme toutes les choses imùportantes. D’un côté, la politique affirmé, selon les intérêts nationaux, d’un pays (la France) que la logique économique et politique pousse évidemment vers la Russie. Les jérémiades sur la pseudo-morale politique sont laissées aux autre, éventuellement à l'un ou l'autre ministre qui passe par là, et, bien entendu comme la cerise sur la meringue glacée, aux institutions européennes évidemment incapables d’élaborer une politique conséquente, que ce soit en leur nom propre comme au nom de 27 Etats-membres aux intérêts et aux conceptions différents. Il devient de plus en plus probable que la France de Sarkozy suivra la voie de celle de Chirac, comme celles des précédents présidents, puisqu’en cette matière de la grande politique les nations souveraines obéissent à des lois politiques immuables plus qu’aux caprices de la mode et de la morale. Il est probable que les Français retrouveront, sur cette même voie, ô surprise, les … Polonais.


Mis en ligne le 4 décembre 2007 à 23H27