Airbus est-il un casus belli?

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Désormais, l’alarme ne connaît plus aucune nuance parce que l’affaire est une question de vie ou de mort. Les déclarations de Tom Enders, patron d’Airbus, reprise aujourd’hui notamment par le Financial Times, sont sans la moindre nuance: Airbus est menacé de mort, – par qui? Par le dollar, bien entendu. On appréciera l’amertume du sel de la situation, qui met en évidence l’absurdité de cette même situation. Le système international est tout entier organisé autour de la piraterie de l’hégémonie US (la position arbitraire du dollar), laquelle menace ce que l’Europe a sans doute de plus puissant par le fait même de son propre affaiblissement dramatique. (Affaiblissement du dollar, mais aussi affaiblissement US dans tous les autres domaines de la puissance.)

«Airbus signalled a significant cut in its research and development budget yesterday, as part of emergency measures to face the “life-threatening” effects of the weak US dollar on its largely European production base.

»Tom Enders, chief executive of the European aircraft maker, raised the alarm over Airbus’s future development plans in a hard-hitting speech to German unions detailing the consequences of the sharp decline in the dollar, which this week hit new lows against the euro.

»The dollar had “passed the pain barrier”, he said. “This is life-threatening.” Mr Enders added that the group could no longer afford the investments it had budgeted for next year.

»Airbus, fighting to regain the high ground against arch-rival Boeing after two years of management and operational turmoil, had planned a 25 per cent increase in its annual €2bn R&D spend from next year.

»But one senior Airbus insider said this was now off the agenda, and R&D spending could even fall significantly from the current level of €2bn. The group, which is implementing a painful restructuring plan to cut €2.1bn and 10,000 jobs by 2010, has little room for more headcount reductions given the sharp increase in production as a result of record sales and deliveries, he said.

»“We are in a situation where the next measures we have to take will really endanger the future of Airbus,” the insider said.

»Mr Enders’ comments, coming two weeks after the group fell into loss for the first nine months, appear to be a deliberate attempt to spur the group’s founding European governments to take action over the continuing weakening of the dollar. Nicolas Sarkozy, French president, has led a campaign for a “fairer exchange rate”.

»Mr Enders indicated to unions that Airbus could shift an increasing proportion of R&D activities to countries outside Europe and would have to move more production to dollar-zone economies.

»“We need to question our business model. It is no longer sustainable,” he said.»

Cinq jours plus tôt, le 18 novembre, le même Financial Times avait recueilli les mêmes échos d’une très grande alarme de la bouche de Louis Gallois, patron du groupe EADS, dont Airbus est le plus important composant. «“My main concern for the future is the weakness of the US dollar,” he said. “It is a sword of Damocles hanging over our heads and it is a fantastic handicap against our only competitor [Boeing] in commercial aircraft.”»

Une fois de plus, et cette fois de façon dramatique, on voit se vérifier l’idée que la solidarité européenne se forge dans les situations tragiques, et particulièrement les situations tragiques opposant l’Europe aux USA. En effet, il n’est plus question des tensions entre la composante française (Gallois) et la composante allemande (Enders) du groupe. C’est même Enders, l’Allemand pro-atlantiste notoire, qui est le plus alarmiste dans ses déclarations dont le ton est inévitablement anti-américaniste. Rétrospectivement considérée, et considérée d’un point de vue politique et du point de vue du volontarisme européen, la décision de le placer à la tête d’Airbus apparaît heureuse grâce aux circonstances qui veillent. La position d’Enders le place en pointe, et l’Allemagne politique avec lui, dans le mouvement dont la logique politique est d’aboutir à une contestation politique de la position dominante du dollar (des USA) dans les relations internationales.

A cette lumière, l’activisme de Sarkozy vis-à-vis de la Banque Centrale Européenne et en faveur d’une plus grande protection de l’Europe, voire d’un protectionnisme sélectif mais agressif, prend tout son sens politique. On ne propose pas ici, ni un raisonnement industriel ou monétaire, ni un raisonnement politique strictement européen, mais le constat d’une situation internationale générale. Qu’on le veuille ou pas, qu’il y ait eu intention ou pas, – et notre perception est qu’il s’agit plutôt de la logique d’une situation qui échappe à tout contrôle des dirigeants, – l’évolution de la crise place l’Europe en position antagoniste des USA dans un domaine (la puissance d’Airbus) où l’unanimité européenne existe. C’est une des premières fois où l’existence de l’euro, par position antagoniste du dollar avec ses effets dans la situation d’Airbus, prend un sens politique fort de confrontation avec les USA.

On n’affirme nullement ni qu’il y ait une possibilité de “défaite” ou de “victoire“, de “riposte”, etc., on n’envisage aucune des mesures que pourraient prendre les Européens, – bref, on ne s’intéresse pas à la tactique. On constate le point d’affrontement où conduit la situation stratégique et politique générale. Il met en position antagoniste radicale l’Europe et les USA. Que les petits hommes le veuillent ou non, la logique et la transcendance du temps historique vont dans ce sens.

La question intéressante pour l’immédiat est une question de circonstances. La situation dramatique d’Airbus est-elle un casus belli conduisant à cette “guerre commerciale” dont Sarkozy a averti le Congrès US de la possibilité, si les Américains ne font rien dans la crise du dollar?


Mis en ligne le 23 novembre 2007 à 10H29

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