Lecture d’une élection sans joie

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Lecture d’une élection sans joie


18 juin 2007 — Les élections législatives françaises se sont déroulées avec autant d’entrain, de feu et d’enthousiasme que les élections en Belgique. Pour nous qui connaissons, c’est tout dire. (Nous rêvons parfois à ce qui se passerait en Belgique si le vote n’était pas obligatoire...)

Pour ce qui concerne ces élections législatives françaises, qu’importe la victoire de qui, et quelle victoire, en partant du “tsunami” sarkozyste annoncé au soir du premier tour, au ressac par rapport à cette première prévision constaté au soir du second tour. Pour nous, seuls importent les chiffres des participations, seuls ces chiffres nous paraissent expressifs de courants profonds. Lesquels chiffres sont les suivants, —

• à l’élection présidentielle, une participation presque-record (sauf 1965) et des abstentions à mesure : 16,23% et 16,03% respectivement ;

• aux élections législatives, une considérable désaffection du public, avec une abstention combinée des deux tours mesurée après le 17 juin à 40,01%.

C’est seulement à partir de ces chiffres que ces élections nous “parlent”. Nous considérons comme accompli le discrédit du politique en tant qu’engagement idéologique ; c’est-à-dire que les votes, plus qu’épouser des programmes et des hommes, utilisent ces programmes et ces hommes selon les intuitions, les jugements, les perceptions des votants. Les choix (gauche-droite) sont pour nous une question de circonstances, d’habileté, et n’ont pas une importance fondamentale. Cette attitude est d’autant plus compréhensible que les commentateurs et les hommes politiques passent leur temps à affirmer que le politique, face à la globalisation et à la puissance des forces économiques, n’a plus de réel pouvoir. C’est faux mais on finit par se convaincre de cette tromperie. Le discrédit du politique en sort renforcé et il n’a qu’à s’en prendre à lui-même.

L’effet des choix de ces élections (notamment ces élections “secondaires” que sont les législatives) est tactique. Il peut être intéressant mais il n’est jamais essentiel par lui-même. Il ne devient essentiel que dans la mesure où les choix épousent, confirment, facilitent, etc., les grandes tendances exprimées par la puissance du vote, et cette puissance étant appréciée par l’importance de la participation suivant l’intensité de la campagne et des thèmes de cette campagne. Pour ce qui concerne le processus électoral lui-même, la participation est devenue un facteur absolument fondamental de la psychologie de la population, et son moyen favori de faire entendre sa voix.

C’est à partir de ces considérations que nous offrons quelques remarques sur la saison électorale française. Il doit être entendu que le jugement intéressant est celui qui embrasse les deux élections (présidentielles et législatives), par comparaison relative (notamment aux thèmes et à l’intensité de la campagne), évaluation réciproque, etc.

Voici ces réflexions, pour une saison électorale vierge de toute interférence artificielle, au contraire de la précédente (la mobilisation anti-Le Pen du deuxième tour en 2002).

• Quoi qu’on pense institutionnellement du système en cours (élections équivalentes tous les 5 ans, alors qu’avant les présidentielles [tous les 7 ans] et les législatives [tous les 5 ans]), l’élection présidentielle est plébiscitée comme la seule élection qui porte en elle la légitimation. Elle est le véritable acte transcendantal qui exprime la volonté du peuple de fonder la légitimité d’un élu au travers de la fonction dont il est investi. Seule la campagne présidentielle justifie des thèmes fondamentaux (identité nationale). La campagne des législatives est, aujourd’hui, dans l’ombre de la présidentielle, une élection “politicienne” pleine de calculs, qui n’engage aucune légitimité, pour aucun parti.

• La démocratie n’est plus aujourd’hui dans le choix du vote mais dans l’acte du vote. Le discrédit de la politique est certes la cause de ce constat, mais cela n’empêche qu’un vote peut et doit être parfaitement compris. Entre les différents moyens de communication, les échanges massifs de communication de la campagne, les nouveaux modes de communication, etc., les citoyens sont capables de déterminer qu’une élection peut se mesurer à un enjeu, et que cet enjeu mérite (ou ne mérite pas) d’être sanctifié par le simple acte du vote. Si, toutes choses étant par ailleurs égales, Royal avait été élue à la place de Sarkozy, la puissance du vote aurait été la même et l’enseignement du vote également semblable. Dans une époque où, temporairement ou pas, dans ce domaine seul de la politique ou dans tous les domaines des élites, un de Gaulle n’est plus concevable, — dans cette époque le choix final du président relève effectivement de la tactique, le fondamental étant exprimé par la participation.

• Même si on peut avec nombre d’arguments considérer que le système gaullien a été trahi (notamment par la correspondance des deux élections comme par la possibilité désormais assumée de la cohabitation, comme par certaines combinaisons partisanes), cette trahison n’est que de peu d’importance par rapport à son triomphe ontologique. L’élection de la présidence au suffrage universel fut établie par référendum en octobre 1962, alors qu’un président (de Gaulle) exerçait effectivement le pouvoir, et avec quelle force, depuis 1958. C’est donc à cette fonction politique suprême et active qu’ont été attribués par vote populaire la charge et l’honneur de recevoir en même temps le rôle de représentation légitime directe de la nation. Cela a été fait lors du premier vote de 1965. La chose a été renouvelée avec éclat le 6 mai 2007, après une campagne électorale qui a porté sur des matières essentielles. La différence de puissance des votes entre les deux élections (la présidentielle par rapport aux législatives) confirme bien que c’est la présidence qui est investie de la légitimité et qui dispose de la transcendance du pouvoir.

• La question essentielle que pose aujourd’hui la situation de crise générale où nous nous trouvons concerne la légitimité du pouvoir, et nullement sa politique, ses choix idéologiques, etc. Nous avons atteint le cœur même du phénomène politique comme représentation de la vie collective et comme outil de fonctionnement d’une civilisation. Dans ce cœur se détermine si telle ou telle décision, telle ou telle orientation est la substance même de la chose ou si c’est une usurpation.

• Il va sans dire que ces réflexions valent essentiellement pour le système français, qui semble le mieux adapté pour résister à l’irrésistible décadence du système politique occidental en général, qui semble le mieux placé pour exprimer sans ambages les réalités de notre crise de civilisation.