Mesure de la crise

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Mesure de la crise

13 mai 2007 — Reprenons la déclaration de Holbrooke. Pour la première fois, un personnage officiel du système, de l’establishment, évoque l’idée de la crise US devenant systémique, dépassant le cadre de l’administration, — cela, lorsqu’il dit : «We must assume ... that the next president will inherit the most difficult foreign policy challenges ever to land in the Oval Office on day one.» L’important : “on day one“, le premier jour du premier mandat du successeur de GW Bush, ce qui implique que la crise a d’ores et déjà dépassé Bush lui-même, qu’elle est devenue systémique. Implicitement et sans le dire, Holbrooke nous dit : la crise irakienne est devenue la crise de l’américanisme.

Autre phrase importante de Holbrooke : «Iraq already presents us with the worst situation internationally in modern American history.» Elle confirme ce que nous évoquons ci-dessus (crise irakienne devenue crise systémique de l’américanisme) et conduit à rechercher une analogie historique. Oublions le caractère “international” de la crise, selon Holbrooke. Non, désormais la crise est intérieure puisque la crise irakienne est devenue la crise de l’américanisme. Il n’y a qu’un seul précédent de gravité dans l’histoire des USA (toute l’histoire des USA) : Roosevelt en 1933.

Seule l’investiture de FDR le 5 mars 1933 est un précédent pour ce que pourrait être l’investiture du futur président : la crise présente “on day one”, dans une circonstance de pression extraordinaire, avec une crise quasiment hors de contrôle. (Rappel du 5 mars 1933 et d’une situation de crise hors de contrôle, — la Grande Dépression dans ce cas : le secrétaire au trésor de Roosevelt quittant précipitamment la cérémonie de la prestation de serment pour rejoindre le ministère dont il prend la direction et ordonner les premières mesures d’urgence de fermeture des banques pour éviter l’effondrement par faillite du système bancaire.) (*)

Un article du Financial Times publié le 11 mai reprend d’autres déclarations de Holbrooke qui vont dans le même sens («For the first time in America’s history, the next president will come to office inheriting two ongoing wars in Afghanistan and Iraq – that is the situation we are in»). L’article nous confirme la profondeur de la crise à Washington même s’il se contente de s’en tenir aux perspectives électorales, et, notamment, à la colère montante parmi les parlementaires républicains.

«Such is the Democratic party’s confidence that some Democrats are talking of bringing about the same kind of splits in the Republican party that so damaged their own party’s electoral fortunes following the Vietnam war a generation ago. “There are a lot of people on the Republican side who are not happy with the situation,” said Trent Lott, a normally hardline Republican Senate leader.

»As a result Republican lawmakers are now wondering aloud about the contents of the Iraq war “Plan B” that Pentagon officials and US generals have hinted will be provided in September should the troop “surge” fail to achieve its purpose. More than 300 US soldiers have died since Mr Bush unveiled the “new way forward” in January.

»“The assumption has always been that Mr Bush was planning to bequeath the Iraq war to his successor and that the Republicans in Congress would go along with him,” says Charlie Cook, a leading political analyst. “But that looks increasingly difficult by the day. We could be facing a Nixon in 1975 situation where senior Republicans ultimately prevail on George Bush to change course.”

»This week a Newsweek poll put Mr Bush’s approval rating at a new low of 28 per cent, making him the most unpopular US president since Jimmy Carter registered similar scores during the Iranian hostage crisis in 1979. Almost two-thirds of those polled said his actions in Iraq showed he was “stubborn and unwilling to admit mistakes”.

»An even stronger measure of Mr Bush’s declining sway within his own party came on Thursday night when he addressed his party’s official convention at a gala fund-raising evening in Washington. “Our mission is to keep the White House in 2008 and retake the Senate and the House,” he said.

»Mr Bush managed to raise $10.5m for his party at the event compared to $17m last year and $38.5m the year before. For the first time in many years both the Democratic presidential field and the Democratic congressional leadership are out-fundraising their Republican opponents by about 50 per cent.

»In the next 10 days Mr Bush will have another opportunity to demonstrate his immunity to the US public’s backlash against the Iraq war, when Congress sends him its second version of the Iraq and Afghanistan war funding bill he vetoed in its first incarnation last month.»

On demande un nouveau FDR

Dans l’étrange épopée catastrophique de l’Irak, qui semble progresser comme une fatalité indomptable, la situation américaniste est en train de prendre le dessus. Les décomptes électoraux du FT ne doivent pas nous tromper. Les mots dramatiques de Holbrooke correspondent fort peu à l’homme d’un parti qui tient à portée de main une victoire écrasante, en 2008. Ils mesurent l’ambiguïté de la situation.

Lorsque le FT termine son article à propos du “czar wars”que GW ne parvient pas à recruter parce que les candidats au suicide politique sont rares, on se prend à imaginer que ces propos pourraient concerner un futur candidat à la présidence, — en remplaçant Bush par le peuple américain, à la recherche d’un nouveau président capable et prêt à prendre cette crise à sa charge, et les candidats se défilant : «Meanwhile, Mr Bush is searching for someone credible to fill the new post of Iraq war “tsar” in the White House. Up to six US generals have reportedly rebuffed the White House’s overtures. “You’d have to be very patriotic to take on a job like that at a time like this,” says Mr Cook.»

C’est un cap psychologique fondamental qui est en train d’être franchi. Il s’agit de la réalisation que la crise irakienne est d’une telle ampleur, d’une profondeur si horrible, qu’elle est promise à dépasser la présidence Bush. Ce n’est plus la crise de Bush, c’est la crise de l’américanisme. Cette spéculation ne date pas d’hier, notamment en Europe, entre ceux qui pensent que la crise américaniste commencera à régresser avec le départ de Bush, qu’elle n’est qu’un accident dû à un président, — et ceux qui pensent le contraire. Aux USA, également, on débat sur ce thème, mais dans les milieux dissidents ou proches. Mais il s’agit ici d’une appréciation venue du cœur de l’establishment, et c’est toute la différence.

L’intervention de Holbrooke sur le fond d’une situation complètement bloquée à Washington fixe le franchissement de ce cap psychologique. Elle est elle-même une sorte de détonateur psychologique. Elle pose en termes ouverts et clairs la question de la succession, qu’on pourrait d’ailleurs résumer par cette image : l’Amérique trouvera-t-elle son nouveau Franklin Delano Roosevelt, son nouveau FDR? On comprend combien poser cette question c’est n’être pas loin d’y répondre, tant le niveau psychologique de la direction américaniste s’est abîmé dans la décadence et la corruption.

Certes, notre analogie avec l’affaire du “czar wars” est plus une boutade qu’une réalité. Il ne manque pas de candidats et il y aura bien des présidentielles avec des candidats, aboutissant à une élection. Ce qui nous intéressait, on s’en doute, c’est l’esprit de la chose. Désormais, c’est une hypothèque majeure, dès lors qu’il est apparu que l’hypothèse de la crise systémique, dépassant le cadre de la seule administration actuelle, est considérée comme très probable, sinon déjà vérifiée.

(*) Certes, il y a eu des présidents investis alors que le pays se trouvait dans une crise ou au bord d’une crise. Mais chaque fois, sauf dans le cas de FDR en 1933, il s’agit d’une crise contrôlée ou contrôlable. Lincoln en 1861 n’est pas confronté à une crise déjà en route. C’est lui qui va déclencher la crise ouvrant la Guerre de Sécession, avec sa politique qui conduit aux déclarations de sécession et à l’attaque du Fort Sumter, ouverture de la guerre en avril 1861. Nixon en 1968 hérite d’un pays déchiré mais la guerre qui en est la cause (le Vietnam), si elle est en train de ressembler de plus en plus à un enlisement, reste néanmoins contrôlée au niveau militaire et contrôlable au niveau diplomatique (ouverture des pourparlers de Paris en juin 1968). Comme le dit Holbrooke, rien à voir avec l’Irak.