Sarko, demi-tour droite

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Sarko, demi-tour droite


2 mars 2007 — Sarko est sorti du bois, sans réelle surprise. Pourtant, il y a des surprises. Mercredi 28 mars, il nous a confié ses conceptions en matière de politique extérieure au cours d’une conférence de presse annoncée depuis longtemps comme devant constituer une sorte de programme en la matière de son éventuelle présidence. Pas de surprise réelle par rapport au discours classique, ce qui est une surprise puisque l’un des arguments de certains sarkozystes était qu’avec Sarko on aurait des surprises.

L’orientation que semble prendre Sarko est une orientation française classique, gaullienne bien entendu (tout ce qui est “français classique” renvoie à la perception gaullienne et vice-versa), renvoyant de façon plus générale à la tradition souveraine française (souverainiste sans le dire ou en le disant, c’est selon). Bien entendu, Sarkozy s’adresse à un électorat français et il n’est plus temps de plaisanter. Le discours de Sarkozy s’est donc rapproché du discours caractérisant la politique extérieure française telle qu’on la connaît.

Pour en retenir certaines des grandes lignes, pour ensuite offrir quelques commentaires, les sources anglo-saxonnes sont bien utiles parce que les Anglo-Saxons sont certainement ceux qui mettaient le plus d’espoir dans un “Sarko révolutionnaire” (c’est-à-dire rompant avec cette fameuse “orientation française classique” pour entrer dans la mouvance anglo-saxonne). Ainsi soulignent-ils ce qui nous intéresse dans le discours sarkozyste.

• Sur la question de la défense, où l’on voit que la “gaffe” (ou pas?) de Ségolène Royal a fait son effet en poussant a contrario aux engagements fermes en matière de défense : Sarko «pledged to keep French defense spending at two percent of the gross domestic product, calling it unfair that France and Britain were the only two European Union countries to spend enough and make sacrifices for defense. He said it was important, for example, for France to build a second aircraft carrier.» (Selon l’International Herald Tribune du 1er mars 2007.)

• Sur l’Europe, le Financial Times (du 1er mars) a compris l’essentiel, implicitement dirons-nous. Il a compris, — ou bien nous fait-il enfin comprendre ? — que le but des Français “réformistes européens”, les soi-disant “libéraux”, Sarko dans ce cas, est d’annoncer que la France s’ouvre au monde, qu’elle abandonne ses défenses commerciales structurelles contre le monde extérieur évidemment ; et d’exiger aussitôt que l’Europe prenne le relais, qu’elle prenne en charge cette défense, implicitement qu’elle devienne cette Europe-puissance dont les Anglo-Saxons se gaussent bruyamment tout en la craignant intimement… (L’argument de l’Europe-puissance est d’autant plus acceptable qu’on a vu plus haut que Sarko appelle les Européens autres que France et UK à augmenter leurs dépenses de défense. Tout est lié à cet égard.)

«In his most expansive speech on foreign policy, Mr Sarkozy said Europe was too often a spectator in the international arena. “After half a century of European construction, we are sufficiently united to ensure that none of our states can conduct a great diplomatic action on its own, but not enough to act together and to count significantly on the international scene,” he said.

»In particular, Mr Sarkozy called for a more aggressive defence of Europe’s trade, industrial and technological interests, saying the EU should pursue a more active anti-dumping policy and insist on reciprocity of market access. He staunchly defended Europe’s agricultural policies, saying the security of food supply was a “strategic issue” that could not be left at the mercy of commodity traders in London and New York. »

• Concernant les relations avec les USA, l’essentiel est dit dans le sens français courant : amitié indéfectible avec les USA, donc d’autant plus de liberté pour être indépendant de nos “amis américains” et leur dire ce qu’il faut.

Le FT encore : «Professing France’s “profound, sincere and indestructible” friendship for the US, Mr Sarkozy said Europe must nonetheless be in a position to act independently of Washington and never be under “submission”.

»“I want a free France, and a free Europe. I ask our American friends to leave us free, free to be their friends.”

»Mr Sarkozy, who has been criticised for being too Atlanticist, praised President Jacques Chirac’s conduct of foreign policy and said the US had made an “historic mistake” in Iraq. He also rejected the US insistence that Turkey become a member of the EU.»

L’inéluctabilité de la politique d’indépendance de la France

D’une façon générale, les médias anglo-saxons se sont peu attardés sur d’éventuels commentaires des déclarations de Sarko, n’ayant rien trouvé de particulièrement excitant pour leur cause. Par ailleurs, nous l’avons dit, il n’y a pas de vraie surprise à saluer. Sarkozy ne “s’aligne” pas sur une circonstance électoraliste, — s’il semble le faire, ce n’est que tactique ; fondamentalement, il s’incline devant l’inévitable. La structure de la puissance française autant que la structure de la psychologie française ne permettent pas d’explorer une politique de sécurité différente de celle qui est conduite. Puisque les moyens existent (défense notamment), cette politique est conduite avec force dans le sens classique qu’on voit.

(Quand nous disons “structure de la psychologie française”, nous entendons par là dépasser la seule référence gaulliste, qui n’est magistrale que parce qu’elle a donné à la France les outils permettant de développer cette structure et cette psychologie indépendantes, et surtout parce qu’elle a su pour son époque hausser la présentation du cas français du niveau de la politique au niveau de l’Histoire. La même psychologie existait auparavant, y compris sous la IVème République si décriée. La politique va de même. Observant que les Français avaient tiré de la crise de Suez «une leçon inverse de celle des Britanniques , savoir qu’il fallait poursuivre une politique d’“indépendance” par rapport aux Américains…», Irwin M. Wall (dans Les Etats-Unis et la guerre d’Algérie) remarque : «Implicite sous Guy Mollet, cette politique fut explicitée par de Gaulle et sous-tend celle actuellement [en 2007] suivie par Paris.»)

La question de la défense est un bon exemple de cet inéluctable engagement français, — presque mécanique dirait-on, en plus de la psychologie, — dans la politique de l’indépendance, par conséquent dans une politique américaine de la France très heurtée et souvent antagoniste. Qui se veut un grand ami de l’Amérique, et surtout un ami “aligné”, doit avoir de fortes dépenses de défense. C’est ce qu’exigent les USA, qui veulent que leurs amis alignés soient aussi des supplétifs capables de fournir (les Britanniques en savent quelque chose). Pour la France, de fortes dépenses de défense signifient nécessairement une politique indépendante car toutes les structures de sécurité en France poussent dans ce sens et interdisent l’inverse ; une France forte en défense comme le veulent les USA sera le contraire d’un supplétif comme le réclament les USA. Concluez vous-mêmes : les relations avec les USA ne peuvent être différentes de ce qu’elles sont.

L’inéluctabilité de la politique d’indépendance de la France est d’autant plus grande que les hommes politiques sont de leur époque. Ils n’ont aujourd’hui ni l’envergure ni la liberté qu’il faudrait pour tenter de forcer une politique aussi structurée, aussi fondamentale ; ils sont prisonniers de leurs propres conceptions de l’Histoire, sacrifiant au théâtre d’ombres qui en fait office et se gardant bien de s’attaquer au fondement des choses. Nous soupçonnons que Sarkozy est de cette trempe. D’ailleurs, le discours convenu en France est très glorieux puisqu’il exalte l’indépendance. De la gloire à si bon compte, cela ne se refuse pas. Toutes les tendances vont dans le sens de la poursuite de l’actuelle politique française.

D’autre part, la grandeur et la liberté qu’il faudrait “pour tenter de forcer une politique aussi structurée, aussi fondamentale” que la politique d’indépendance de la France, impliquent un sophisme qui achève de verrouiller le dispositif naturel de l’orientation française. Si vous avez cette grandeur et cette liberté, vous ne chercherez pas à forcer et à briser cette politique française d’indépendance dont l’objectif idéalisé est la grandeur et la liberté. Vous ferez le contraire, vous la renforcerez en toute lucidité. De Gaulle est l’un des derniers dirigeants français à avoir eu cette grandeur et cette liberté. Il mit bien entendu ces caractères au service de l’indépendance de la France. L’inéluctabilité française est vraiment dans tous les sens et de toutes les saisons, jusqu’à faire oublier la médiocrité de la plupart de ceux qui prétendent la servir.

Ce que nous regrettons, c’est l’absence d’un débat qui affleure ici ou là mais ne s’ouvre jamais complètement : savoir pourquoi la France est comme elle est, c’est-à-dire savoir pourquoi il lui est impossible d’avoir une politique de sujétion avec les Etats-Unis ; savoir pourquoi l’Amérique, sa substance et sa politique, interdisent qu’on puisse être son plus fidèle allié autrement qu’en état de sujétion. Lorsque Sarkozy demande aux Américains de “laisser les Français être libres d’être leurs amis”, il s’ébat dans la version américaniste du sophisme déjà signalé : être un vrai et grand ami de l’Amérique, aujourd’hui comme hier, implique comme condition sine qua non de ne plus être indépendant. Le candidat-président, comme les autres candidats d’ailleurs, se lassera très vite des contraintes de ce sophisme. S’il est élu, il poursuivra donc la politique française, — comme les autres, aurait-on envie d’écrire pour sauvegarder notre vertu bien connue d’impartialité. Bien entendu, la chose fera grand tintamarre chez “les amis” de la France qui espèrent avec ferveur un changement depuis la nuit des temps.


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