Right or Wrong, BAE

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Right or Wrong, BAE

23 février 2007 — Expliquons-nous aussitôt : puisque George Monbiot écrit que «<[t]here is a state within a state in the United Kingdom, a small but untouchable domain that appears to be subject to a different set of laws», il nous semble logique de proposer, en pastichant le si fameux adage caractérisant “nos amis britanniques” (comme d’autres, comme Sarkozy, disent “nos amis de Washington”) : “Right or wrong, BAE”.

C’est ce qu’il nous semble ressortir de cette annonce faite par le Guardian aujourd’hui, selon quoi le gouvernement britannique examine un plan, pour clore le bec au Serious Fraud Office (SFO) qui court sur les traces de l’empire de la corruption qu’est BAE depuis des années. “Clore le bec”, dites-vous? Supprimer le SFO, voilà ce qu’ils machinent. Si vous voulez effacer la faute et qu’on n’en parle plus, liquidez l’enquêteur et qu’il ne parle plus. Ainsi l’“empire de la corruption” qu’est BAE, qui est la nouvelle façon britannique et travailliste d’être un empire, restera bien cette puissance sur laquelle le dollar ne se couche jamais. Tony Blair aura achevé son mandat historique et il pourra partir en paix, complètement propre sur lui, — car sur lui aussi le soleil ne se couche jamais, — et “Right or Wrong, Tony Blair”, bordel !

«Ministers have begun working on proposals to disband the Serious Fraud Office, merging operations with other agencies, the Guardian has learned. The plan comes three months after relations between the attorney general, Lord Goldsmith, and SFO director Robert Wardle reached an all-time low over the latter's two-year investigation into kickback allegations linked to a BAE Systems contract with Saudi Arabia.

»According to well-placed sources, one of the proposals favoured by the attorney general is partially merging the SFO within the much larger Serious and Organised Crime Agency (Soca), which was launched last year and characterised as an FBI-style organisation. The remaining SFO lawyers would join the Crown Prosecution Service.

»Lord Goldsmith has ordered an independent review of the body, which will inform any decision.

(…)

»The SFO said last night that it knew nothing of any merger plans and declined to comment further. But a QC who prosecutes for the agency said morale was low. “It doesn't seem to be a very happy place. Obviously there's plenty of room for improvement but if you take the last two years I think you'd find they've been more successful than they have in the past. But things do take a long time there to get off the ground. Money's no object in some of the cases and maybe they're found wanting when you hold them up against that light.”»

Ce développement extravagant mesure la petitesse de ces esprits de bandits de médiocres chemins, — on parle des ministres, — cette petitesse qui ne cessera jamais de nous surprendre. On imagine des complots, de la passion, une fièvre idéologique, et l’on tombe sur la petitesse de la machination quotidienne à laquelle les £milliards et les $milliards n’arrivent pas à donner de hauteur. L’on tombe de haut.

Le Guardian est manifestement, dans cette affaire, le réceptacle des informations contestatrices. Le reste de la presse britannique, pour ce que nous en avons pu lire, ne semble pas avisé de la machination en marche du côté du SFO. Le propos est plutôt de recueillir les cris de victoire de BAE, dont le chiffre d’affaires ne cesse d’enfler, dito les dividendes. Le Guardian s’en fait également l’écho, pour commenter dans son édito, avec un certain dégoût sous-jacent :

«Like a drunk emerging from a bruising brawl shouting “what doesn't kill me makes me stronger”, BAE Systems yesterday bounced back from a battery of questions about potential sleaze to boast of its rude health. Criminal investigations into corruption in Tanzania, Chile and Romania, among others, continue, yet the company reported that its profits were up by more than a third, to exceed £1bn. In other circumstances executives with such news might have dashed to the media, but there was no press conference this time. Whatever awkward questions lurk in the background, the City was the audience that mattered. It responded by boosting BAE's already healthy price.

La vérité est que BAE s’en fout…

Ce que nous dit ci-dessus le Guardian, disons entre les lignes ou traduit d’une façon plus leste, est simplement que BAE s’en fout. Les préoccupations à propos de ses activités corruptrices, les préoccupations à propos de l’attaque lancée contre le SFO, de tout cela BAE se fout absolument. BAE ne voit que deux choses, illustrées par des extraits du Guardian toujours :

• la réaction de ce qu’on nomme “le marché”, absolument enthousiaste à la nouvelle des bénéfices de BAE : «The news saw BAE shares rise almost 20p to 466.5p, making it the second highest climber on the day among the top 100 companies listed in London. Defence industry analyst, Francis Tusa, said the investigations were not casting a shadow over the share price: “If the City believed BAE Systems was exposed ... they would be extremely nervous to put it mildly. The City is pretty easy, they don't think there's a problem”» ;

• ses ambitions, qui commencent à devenir mégalomaniaques, tant BAE commence à ressembler à une sorte de GW Bush de l’industrie de l’armement mondiale, avec les thèses “neocons” qui vont bien. BAE ne peut plus que penser à l’échelle de la planète, à partir de sa base londonienne où cette société est assurée de tenir l’essentiel de l’establishment britannique et le gouvernement lui-même (il ne fait aucun doute que la décision du gouvernement de tenter de liquider le SFO est inspirée, voire exigée par BAE) : «[The BAE’s CEO Mike]Turner yesterday laid out the company's credentials to be regarded as the leading player across the world. “Our strategy is to be the premier global defence and aerospace company by being a leading member of the defence industrial base of each of our home markets.”»

Ce en quoi il n’est pas certain que BAE soit bien avisée

BAE est en train de devenir un phénomène unique du monde économico-industriel. Etant installée sur le marché US comme compétiteur de premier rang, la société britannique a pris goût aux pratiques du complexe militaro-industriel (CMI) US. Elle en fait partie, certes, mais seulement en partie, — justement. C’est son avantage et son handicap.

• Son avantage : BAE estime disposer d’autres marchés, d’autres soutiens. Notamment, BAE tient la direction (politique) britannique ; en un sens et pour les domaines qui lui importent, l’Angleterre et l’influence de l’Angleterre lui appartiennent. A partir de là, BAE veut conserver ses avantages initiaux, ses marchés et son influence de société britannique et même “européenne”. Si elle cumule ces atouts à ceux qu’elle possède désormais aux USA, elle peut rêver de conquérir le monde en devenant le vrai numéro un.

• Son handicap : sa partie non-US ne dispose pas du cadre d’action du CMI américaniste. Le CMI tient aux USA parce que tout est organisé pour lui, y compris le cadre légal et politique. Tout cela n’existe plus hors des USA. La position de force de BAE au Royaume-Uni n’est pas obtenue grâce aux structures qui la favorisent (comme cela est le cas aux USA pour une société des USA), mais à l’activité de force justement de cette société, qui force comme c’est le cas de le dire à des décisions contestées et proches d’être illégales. Aux USA, le CMI peut agir d’une façon qui serait illégale ailleurs parce que la légalité est arrangée pour lui ; hors des USA, ce que la force impose de façon presque illégale n’est pas entériné par un système transformant cette illégalité en légalité. L’arbitraire reste arbitraire. Les enquêtes sur la corruption contre BAE existent et le SFO n’est pas encore éliminé, — et il faut voir dans quelle mesure les révélations du Guardian ne vont pas provoquer des réactions mettant en cause la puissance de BAE.

BAE n’a pas que des amis et a de plus en plus d’ennemis. Ce n’est pas parce que la bourse exulte que la City est vraiment heureuse, contrairement à ce que dit Tusa. La question du scandale Yamamah est loin d’être réglée à l’OCDE. Aux USA mêmes, la position de BAE est aussi loin d’être verrouillée et il n’est pas sûr que le département de la justice, à Washington, apprécie l’éventuelle liquidation du SFO. Si BAE a le bras corrupteur et intimidateur très long, ses concurrents US, tel Lockheed Martin, l’ont également et ils n’apprécient pas les ambitions de l’usurpateur britannique installé sur leur marché.

La partie n’est pas jouée. Le vrai handicap de BAE enfin, c’est la certitude de l’impunité dans laquelle baigne sa direction ; certitude acquise lorsque la société britannique se contentait d’être britannique et maîtresse en son royaume. Aujourd’hui, BAE est “global”. Cela enivre les esprits et cela suscite bien des jalousies et des haines. Ce qui était certes la “Saga Yamamah” est en train de devenir la “Saga BAE”. Il s’agit d’une aventure extraordinaire où sont exposés tous les vices et tous les travers d’un monde qui a perdu le sens de la mesure. Les braves pépères, couturés d’expérience et que plus personne n’écoute, vous disent en ricanant : “plus dure sera la chute”. Absurde disait-on, in illo tempore, du côté d’Enron.