La crise de l’OTAN en Afghanistan, c’est d’abord la crise américaniste

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La crise de l’OTAN en Afghanistan, c’est d’abord la crise américaniste


14 septembre 2006 — L’OTAN a fêté le 11 septembre à sa façon, avec une réunion destinée à déterminer quels pays contribueraient pour réunir les 2.500 soldats supplémentaires que le général Jones demande pour l’Afghanistan. Devant l’échec de cette réunion, l’état de crise de l’organisation a été proclamé, selon un rituel déjà connu. Ainsi a en décidé le Times du 12 septembre puis du 13 septembreNato facing ‘crisis of resolve’ over Afghanistan»). Ce même 13 septembre, une nouvelle réunion n’a pas donné plus de résultats. D’autres réunions sont prévues, allant jusqu’à une réunion des ministres des affaires étrangères d’ici la fin du mois. Les sources officielles de l’OTAN tendent, comme d’habitude, à prédire qu’un arrangement sera trouvé (“pour le début octobre”, dit-on).

Les pays surtout sollicités ont été la Turquie, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Norvège et la Pologne. Comme d’habitude, le Royaume-Uni, engagé sur le front Sud (là où la situation est très délicate) avec plus de 5.000 hommes, est le plus pressant avec les USA pour obtenir les 2.500 hommes et renforcer le contingent de 18.000 hommes commandé par le général britannique Richards.

A côté de cette situation de crise diplomatique, il existe une situation de crise militaire aiguë sur le terrain, avec des perspectives particulièrement peu encourageantes. Notamment, l’article de Kim Sengupta, dans The Independent du 13 septembre, montre la violence exceptionnelle des combats. (On peut lire aussi l’article du Times de ce jour, sur les opérations menées par le contingent canadien.)

Kim Sengupta : «Lt Gen Richards, who says British forces have been involved in some of the fiercest fighting since Korea, has now decided to withdraw from outlying positions, which will be taken over by the Afghan forces. It is a decision that some have questioned. An officer who has served in Helmand said: “We have to ask, can we rely on them? Especially the police.”

»He continued: “We did not expect the ferocity of the engagements. We also expected the Taliban to carry out hit and run raids. Instead we have often been fighting toe to toe, endless close-quarters combat. It has been exhausting. I remember when we had to extract a Danish recce group which was getting attacked on all sides; it was bedlam. We have greater firepower, so we tend to win, but, of course, they can take their losses while our casualties will invariably lead to concern back home.You also have to think that each time we kill one, how many more enemies we are creating. And, of course, the lack of security means hardly any reconstruction is taking place now, so we are not exactly winning hearts and minds.”»

D’une façon plus générale, la vision de la situation par les experts non-engagés auprès de l’OTAN est très pessimiste, notamment parce que la méthode otanienne est mauvaise. Simon Tisdall, du Guardian, expose l’analyse d’une experte du RIIA (Royal Institute of International Affairs).

«But even if Nato obtained all the troops it wanted, its current southern strategy would not achieve its stated aims and should be reconsidered, said Ayesha Khan, an Afghanistan specialist and associate fellow of Chatham House. “In fact, it's destabilising the area. It has sidelined the state-building and reconstruction agenda. It has sidelined the disarming of [independent] militias. It has also undermined efforts to stop the opium trade,” she said.

»“The US has made the south the frontline in the ‘war on terror’. Nato came into this thinking peacekeeping, not conflict operations. They did not foresee the complications and the potential for mission creep. The strategy is not working.”»

L'OTAN ne fait que suivre l'Amérique

L’OTAN n’a pas peur des crises, a-t-on coutume de dire. La “crise” semble être sa façon d’être, plaisantent souvent ses officiels, pour mettre en évidence la difficulté de tenir ensemble un si grand nombre de pays sur des matières si délicates, mais aussi la capacité de l’Organisation d’y parvenir (puisqu’elle triomphe de ses “crises”). Aujourd’hui, cela (la “crise” coutumière) commence à devenir plus sérieux, peut-être plus sérieux qu’en aucune autre occasion, peut-être plus sérieux que durant la guerre du Kosovo.

D’abord la crise est double : sur le terrain, en Afghanistan, autant qu’à Bruxelles. Ce n’était pas le cas avec le Kosovo, où l’aspect opérationnel ne présentait pas le caractère d’urgence qu’on voit aujourd’hui en Afghanistan. Cela implique une double pression, en Afghanistan et à Bruxelles, parfois dans des conditions dramatiques.

Ensuite, cette crise de l’OTAN est la première dont les USA ne peuvent être la solution. L’OTAN est évidemment une architecture très particulière où, derrière la rhétorique officielle sans le moindre intérêt, s’impose une réalité d’équilibre. Il y a d’un côté une super-puissance qui contrôle tout dans l’Organisation et peut exercer, par ce biais, un contrôle et une hégémonie sur les autres pays-membres (sauf l’exception française). En contrepartie de cette vassalité acceptée à un degré plus ou moins grand, les pays-membres attendent des USA une protection pour leur sécurité, et, d’une façon générale, la solution de tout problème important de sécurité générale. Cela signifie que toutes les crises de l’OTAN avaient, comme solution ultime, l’intervention des USA. En temps normal, la crise actuelle (la demande de renfort du général Jones) aurait dû être résolue par un apport supplémentaire de forces US, — au milieu de récriminations, de critiques, de mises en demeure US, — toutes choses auxquelles les vassaux sont habitués.

Mais cela n’est plus possible parce que les USA sont eux-mêmes dans une crise stratégique profonde et n’ont plus les moyens de fournir des forces supplémentaires. On peut même aller plus loin et observer que, loin d’être la solution ultime de la crise, ils sont la cause initiale de la crise, par leurs méthodes, leurs obsessions, leur façon brutale d’opérer et ainsi de suite. L’appel à la solidarité des autres membres, — spécialité de l’hypocrisie des Britanniques, pas fâchés de pouvoir humilier les autres alors qu’ils sont eux-mêmes si humiliés par les USA, — n’a guère de sens dans la réalité des rapports de l’OTAN. Les Américains récoltent ce qu’ils ont semé et l’OTAN est sur la voie de se payer la crise du siècle. Peut-être y laissera-t-elle sa vertu, sa cohésion, et plus encore.

En attendant, cet enseignement essentiel s’impose, qu’on n’oubliera pas. Les USA ne sont plus capables aujourd’hui de résoudre une crise de sécurité à l’OTAN.