Le code de conduite et la préférence européenne: de la vertu aux arrière-pensées

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Le code de conduite et la préférence européenne: de la vertu aux arrière-pensées


27 novembre 2005 — La chose a été célébrée: le code de conduite pour les marchés publics de défense pour les pays de l'UE, accepté dans son principe par les ministres de la défense de l'UE le 21 novembre, est salué comme une avancée considérable de la rationalisation de l’industrie de la défense européenne. Les pays de l’UE ont jusqu’à juin prochain pour signifier leur acceptation ou leur refus du code, qui fonctionne sur base volontaire.

Cette satisfaction officielle ne dissimule pas diverses incertitudes et des interrogations variées. Nous nous attacherons à celles qui concernent l’interprétation qu’il faut donner à cette décision, dans son sens le plus large qui est le sens transatlantique, — avec la question habituelle : ce code de conduite est-il une porte ouverte du marché européen aux Américains? Ou bien la fermeture d’un marché européen réorganisé pour mieux rentabiliser la production européenne? Lorsqu’on interroge des fonctionnaires européens impliqués dans le processus, on observe d’abord une attitude marquée par une inquiétude proche de la panique. Tout ce qui concerne l’Amérique et la possibilité qu’un fonctionnaire européen puisse être perçu comme partisan d’une affirmation européenne face à l’Amérique est la cause de cette réaction, comme s’il y avait l’hypothèse de la trahison d’un code déontologique non écrit. La réponse qu’on obtient donc est celle-ci : « Pour nous, la question du code de conduite et du marché européen de l’armement ne concerne que l’Europe. La question transatlantique n’est pas dans nos attributions. »

Si l’on veut pousser plus loin et poser la question de savoir si l’on peut concevoir qu’il y ait là-dedans, ou qu’on y vienne bientôt, une notion comme la “préférence européenne”, on obtient une réponse de cette sorte, après qu’on vous ait signifié que la notion de “préférence européenne” n’est pas au programme: « Une meilleure organisation et une rentabilisation du marché européen, c’est une façon d’inciter les Européens à acheter plus de produits européens. »

Les Américains, eux, semblent avoir répondu. On peut considérer que le titre complet de l’article du 21 novembre de Defense News, en effet nous dit tout : «  EU Tears Down Protectionist Walls — But New Rules Only Help European Companies » Il n’y a là rien d’assuré mais un scepticisme complet des Américains qu’on retrouve en filigrane dans le corps du texte, avec ce passage:

« Yet two big questions hover over the code. Does it make room for non-EU companies to participate in the tender rules? Can a voluntary policy achieve its goals?

» U.S. defense companies with offices in the Belgian capital have been closely following the EDA’s work on the code, but many say they’ve been kept at a polite arm’s distance. Others are simply waiting to see what impact the code will have and whether it will lead to a more closed market.

» Witney has declared that the agency’s work carries no seeds of Fortress Europe, but also that the construction of an internal defense market is designed to benefit European defense firms above others. »

On se rappelle que ce même Defense News avait rapporté, au début de juin, une déclaration du même Nick Whitney (directeur de l’Agence Européenne de Défense Européenne [AED]) parlant explicitement d’une “préférence européenne”. Il semble qu’il faille ne plus en parler mais tout le monde y pense.

Certains, au Parlement européen (PE), y pensent lorsqu’on lit le texte d’une résolution de ce même PE, le 17 novembre dernier, intitulée “Résolution du Parlement européen sur le Livre vert sur les marchés publics de défense (2005/2030(INI))” (texte disponible sur le site du PE). L’article 25 de la résolution nous est signalé comme particulièrement intéressant: « 25. [Le PE] admet que les problèmes que connaissent les marchés publics de la défense dans l'UE sont dus en partie à l'absence de réelle réciprocité avec les États-Unis; s'interroge dès lors sur la nécessité de recommander aux agences nationales chargées des marchés publics de la défense d'acheter davantage de produits européens dans le but de renforcer stratégiquement l'industrie européenne de défense dans certains secteurs; est convaincu que la nouvelle législation européenne en matière de marchés publics de la défense ne devrait pas permettre aux intérêts commerciaux américains de s'introduire unilatéralement sur les marchés publics européens de la défense. » Le membre de phrase « … dans le but de renforcer stratégiquement l'industrie européenne de défense dans certains secteurs » est le passage le plus intéressant.

Que conclure de cette succession de faits et déclarations à la fois ambigus, feutrés et pourtant significatifs?

• Le soupçon est général. Il l’est particulièrement en transatlantique, il l’est à l’heure où les Américains amènent les négociations avec les Britanniques et les Australiens sur la législation ITAR vers un cul-de-sac. La décision européenne sur le code de conduite assortie de protestations d’innocence vertueuse et libérale est observée de tous côtés avec des tonnes d’arrière-pensées.

• Ces arrière-pensées sont complètement justifiées. On se trouve dans l’habituel dialogue de sourds, qui conduit les Européens à affirmer qu’ils forment un marché intérieur pour mieux coopérer avec les Américains, et les Américains à conclure que les Européens sont en train de renforcer leur industrie pour mieux concurrencer les Américains, d’abord en reprenant leur propre marché intérieur.

• La donne est faussée parce qu’on part d’une situation déséquilibrée (les Américains possédant une part importante du marché européen, la volonté d’organisation des Européens ne peut que sembler marquer une volonté de reconquête de leur propre marché). L’évolution implique au mieux l’incompréhension (d’abord), au pire l’antagonisme (ensuite). C’est ce que nous aurons successivement: “d’abord” et “ensuite”...

• En effet, dans le contexte général qu’on connaît (antagonisme transatlantique, crise du système de libre-échange), l’évolution des Européens, quoiqu’en veuillent les initiateurs et auteurs de cette évolution, est destinée à déboucher sur une forme à peine aménagée de “préférence européenne”. L’esprit est celui d’un Buy European Act, comme il existe un Buy American Act, dans la lettre et dans l’esprit. Il y a là une mise en ordre des priorités et des nécessités qui ne correspond pas aux théories idéologiques et aux intentions des hommes bureaucratiques qui les prônent, mais qui correspond aux pressions des grandes tendances historiques.


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