Suivez bien Washington : les digues sont en train de céder

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Suivez bien Washington : les digues sont en train de céder


18 novembre 2005 — Le vote bipartisan du Congrès de mardi est salué par le sénateur républicain Chuck Hagel comme « un tournant historique ». C’est une législation anti-Bush sur l’Irak (voir plus loin) qui est ainsi saluée par un républicain respecté. « Le barrage a cédé », observe The Independent en rapportant la première condamnation explicite de la guerre d’Irak par l’ancien président Clinton. Venue du prudent Clinton, qui n’aime rien moins que peaufiner son image de “jeune-vieux sage” en ne heurtant surtout pas l’establishment washingtonien tout en gardant le vernis de liberté du progressisme dont il reste quelques écailles chez certains démocrates américains, — venue de lui, certes, cette condamnation est un autre “tournant historique”.

« The dam has burst. Former president Bill Clinton's verdict that the war in Iraq was “a big mistake” is echoing around the world. »

Les démocrates sortent du bois, accompagnés de nombre de républicains qui, désormais, ne supportent plus le comportement de l’administration GW (« Enough is enough », dit-on désormais). Psychologiquement plus que politiquement, — la psychologie est une fois de plus essentielle ici, — nous avons peut-être passé ce “tournant historique”. Même les centres politiques le plus psychologiquement corrompus peuvent être portés au seuil de l’écoeurement d’eux-mêmes. Il semble que c’est le cas. Cheney attaque fielleusement les parlementaires qui votent des lois bipartisanes faites pour entraver l’action du gouvernement ; John Kerry, autre prudent démocrate avec quelques écailles d’une dignité restante, riposte avec mépris: « Few people have less credibility than Mr Cheney, who said before the war that Saddam was reconstituting nuclear weapons, and the US invaders would be greeted with garlands. »

The Independent écrit : « On Tuesday, US senators voted 79-19 to endorse a Republican amendment demanding a regular accounting for the war from the Bush administration. Not only was it a bilateral statement that things could not go on as they were, it came at the moment Mr Bush was in Asia, thanking Japan, South Korea and Mongolia for their contributions to coalition forces in Iraq.

» From foreign soil, Mr Bush fired back at his Democratic critics, accusing them of “playing politics in America”, with their charges that his administration had distorted pre-war WMD intelligence. In short, a foreign trip by a sitting president no longer guarantees a cessation of hostilities at home; indeed this time it has only served to stoke them. (...)

« [...] in another stunning development, John Murtha, an old-school Democratic congressman from Pennsylvania of 30 years' standing, demanded an immediate withdrawal of US troops from Iraq, “because they have become the target”. A decorated marine veteran and ranking Democrat on the House defence appropriations subcommittee, Mr Murtha has been a hawk on military matters, and voted for the 2003 invasion. But close to tears at times in a press conference, he said he had changed his mind.

» “It is time for a change in direction. Our military is suffering, the future of our country is at risk. We cannot continue on the present course. It is evident that continued military action in Iraq is not in the best interests of the US, the Iraqi people or the Persian Gulf region.” His call for an “immediate redeployment” not only flies in the face of the refusal of the White House to set any date for a draw-down of American forces. Mr Murtha went further even than liberal Democrats, who mostly go no further than seeking a timetable for a phased pull-out of the 160,000 US troops in Iraq.

» The latest polls show that up to two-thirds of Americans now oppose the war. »

Washington débouche sur le cœur incandescent de la crise, que le scandale Plamegate et le débat indigne sur la torture institutionnalisée ont contribué à chauffer à blanc. La clef de tout ce qui nous a jetés dans ce tournant sur les chapeaux de roue, c’est la débandade, au sens propre du mot, qu’on voit secouer les rangs des républicains. Les parlementaires républicains ne sont plus une bande au service d’une administration qui fait une politique stupide et insupportable du poids des mensonges éculés et ressassés. Les républicains commencent à songer à ce minimum de dignité qui importe pour parvenir à boucler, au milieu de l’océan de la corruption, une élection d’une façon acceptable. (On parle ici des élections de mid-term, en novembre prochain.)

Certains, qui tentent de garder leur sang-froid, tentent de contenir ce flot irrésistible. Le très sage International Herald Tribune du jour, qui parle d’une “guerre des mots” sur l’Irak, qui paraît à Washington bien plus intense que la réelle, rapporte sans beaucoup d’enthousiasme ni trop d’espoir: « As the rhetoric grew more intense, two senior Republican senators, John Warner of Virginia and Ted Stevens of Alaska, urged their colleagues to show restraint, saying criticism of the war could only hurt U.S. troops in Iraq »… Tout le monde se fout de Ted Stevens, le vieux sénateur de l’Alaska archi-corrompu par le complexe militaro-industriel.

Le mécontentement n’est pas “sectoriel” (l’Irak), comme on dit. Il touche les us et coutumes d’une administration qu’on ne supporte plus, moins pour ses actes d’apparent autoritarisme que pour sa pratique jusqu’à la nausée d’une dialectique du mensonge qui finit par tout corrompre. Il y a une fatigue psychologique de l’acte de l’administration GW Bush à Washington. (Preuve que cette fatigue dépasse tout et transcende tout : « And on Thursday, 22 House Republicans joined united Democrats in rejecting a $142 billion spending bill for health, education and social programs. Democrats said that the program would slash health-care funding and would cut education for the first time in years. »)

Où tout cela mène-t-il? Rien n’est prêt, aucune politique de retrait d’Irak, aucune exit strategy ou autre chose du même tonneau. Voire, en cas du pire, rien n’est prêt pour une crise majeure qui interromprait la course chaotique de l’actuel président. (Horreur! Imaginez-vous un GW Bush destitué, car le nouveau président des USA serait… Dick Cheney?!) Alors: Bush aux ordres d’un Congrès furieux qui prendrait le pouvoir? Mais l’on sait que GW est un homme simple qui ne cède sur rien de ses convictions d’homme simple. GW a l’acier de ses convictions simples. Le Congrès ne le fera pas reculer ; s’il recule, ce sera pieds et poings liés, ou destitué, — s’il “accepte” la destitution.

Nul ne sait où nous allons. Mais si nous y allons, ce sera pire que le Watergate… La démocratie américaine est prisonnière du système de mécanique politique qui a engendré ce monstre, cette horreur politique absolue qu’est l’administration GW.