Le droit international est-il du terrorisme? Le Pentagone dit oui

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Le droit international est-il du terrorisme? Le Pentagone dit oui


21 mars 2005 — Le Pentagone est en train de refaire l’Amérique selon les conceptions de GW Bush et du reste. Il va au bout de la pensée fondamentale qui a envahi l’Amérique d’après 9/11, ce qui ne peut étonner de la part d’un homme comme Rumsfeld qui est évidemment l’inspirateur fondamental de la “pensée” du Pentagone. On trouve les échos de cette démarche d’abord dans le Wall Street Journal du 11 mars, puis d’une façon officielle par des interventions de David J. Feith, n°3 (démissionnaire) du cabinet du secrétaire à la défense. Il s’agit des directives stratégiques contenues dans la fameuse QDR 2005 (Quadriennal Defense Review) qui doit être publiée, dans sa forme définitive, à l’automne prochain. Le document publié énonce la nouvelle stratégie américaine et ce sera ensuite aux armes (USAF, Navy, Army, Marine Corps) à adapter leur programmation, leurs choix de programmes, leurs choix opérationnels, etc., à cette nouvelle stratégie.


Selon le Los Angeles Times du 19 mars : « Pentagon managers use the strategic plan to guide such decisions as where to place bases, which bases to eliminate, what weapons to buy and where to position them. The heads of the United States' regional commands across the globe, in turn, use the strategy to prioritize spending and form strategies for eliminating threats in their regions. »


Il y aura beaucoup à dire sur la QDR 2005, qui s’avère d’ores et déjà révolutionnaire dans tous les domaines qu’elle aborde (c’est la première QDR d’après le 11 septembre 2001) : choix des programmes, structures, orientation, etc. Mais, pour l’instant, c’est l’aspect de la stratégie américaine qui importe, puisque le document divulgué traite de ce domaine. Bien entendu, cette stratégie est ultra-dure et intègre la notion de stratégie préventive édictée dans le document (National Military Strategy) de septembre 2002 par la Maison-Blanche. Ce n’est ni une surprise ni une nouvelle.

L’aspect le plus intéressant du document concerne sans aucun doute l’attitude américaine vis-à-vis des alliés et vis-à-vis des organisations et règles internationales. Il s’agit de la confrontation des notions d’unilatéralisme et de multilatéralisme, et l’on découvre sans surprise que la stratégie ainsi développée est fondamentalement unilatéraliste, à un point tel qu’elle développe un unilatéralisme radicalisé d’un effet complètement étonnant.

Le premier exemple de cette attitude, — mais le moins révélateur, — est celui de l’OTAN. Il est intéressant parce qu’il est caractéristique et qu’il met les choses au point pour les Européens.


« It appears to move the nation further from reliance on such international coalitions as NATO and more toward what Defense Secretary Donald H. Rumsfeld has called ‘coalitions of the willing’ under clear American leadership, analysts said. “NATO is kind of missing in action now in their strategy,” said Loren Thompson, a military analyst with the Lexington Institute, a public policy group in Arlington, Va. “During the Clinton years coalition warfare with the other members of NATO was a centerpiece to our strategy, and now the administration is expecting almost nothing from the Europeans.” »


Pour bien montrer la rupture impliquée par cette position, Donald J. Feith a indiqué que des pays alliés, les Britanniques en premier, seraient invités à suivre les travaux de la QDR (application de la doctrine aux programmes, à la planification, etc.). Il s’agit de rassembler hors des contextes multilatéraux habituels les alliés les plus fidèles, ceux dont on est assuré du soutien et ceux dont on attend un alignement exclusif et sans broncher, hors de toutes les sornettes comme le droit de veto ou la nécessité de l’unanimité (ce sont les règles de fonctionnement de l’OTAN). Le chroniqueur Michael Chossudovsky, en général très sensibles aux hypothèses de complot, analyse le document comme la confirmation du renforcement de l’affrontement entre un axe anglo-américain et l’alliance franco-allemande. (Nous reviendrons sur ce thème car, en politique appliquée, c’est lui qui va dominer le processus de développement de la QDR, comme, d’ailleurs, les relations transatlantiques au-delà de la QDR et dans d’autres domaines que ceux traités par la QDR.)

Venons-en à l’essentiel. Le point le plus sensationnel du document est l’appréciation portée sur le système du droit international, des structures du droit international (tribunaux notamment) aux organisations internationales. Les jugements sont absolument radicaux : « Our strength as a nation-state will continue to be challenged by those who employ a strategy of the weak using international [forums], judicial processes and terrorism » Le Los Angeles Times apprécie ce développement de cette façon : « Respected global organizations seem to be viewed with suspicion. In describing the vulnerabilities of the United States, the document uses strong language to list international bodies — such as the International Court of Justice, created under a treaty that the United States has declined to sign — alongside terrorists.  »

Transcrite en termes simples, cette appréciation signifie que, pour le Pentagone, — et l’on sait son influence sur la pensée US actuelle, au point où on peut en faire le porte-parole de cette pensée, l’institution qui l’exprime le mieux sans les fioritures habituelles, — le système du droit international est autant un danger pour les USA que le terrorisme. Cela rejoint d’ailleurs le jugement implicite de John Bolton, futur nouvel ambassadeur US à l’ONU, dans tous les cas si Bolton perpétue le jugement que portait le sénateur Jesse Helms, dont il était un adjoint, sur la chose (sur l’ONU notamment).

C’est une affirmation complètement extraordinaire. Certes, on dira aussitôt, parce que la “raison” nous y pousse et qu’elle est évidemment pro-américaine par les temps qui courent où l’on croit que le pouvoir est du côté de l’Amérique: mais les Américains ne parlent des institutions internationales dans ce cas que comme d’un moyen (utilisable par les ennemis de l’Amérique), nullement en tant que telles. Rien n’est moins sûr. Après l’attaque 9/11, les Américains ont déclaré la guerre la guerre “au terrorisme” (guerre contre la Terreur). Les Européens se sont exclamés : mais on ne fait pas la guerre contre un moyen, une tactique! C’était pourtant l’idée américaine et elle perdure (simplement, l’Amérique identifie de plus en plus de pays, de groupes, d’ethnies, une religion évidemment, au terrorisme).

Désormais, cette étrange logique s’exprime aussi bien pour les institutions internationales. De moyen anti-américain (“strategy of the weak”), le système du droit international dénoncé à l’égal du terrorisme tend à être identifiée avec ceux qui l’utilisent. L’on sait de qui il s’agit: l’ONU, le Tribunal Pénal International, etc., sont utilisés par d’autres pays et d’autres forces, — que ce soit les Français (à l’hiver 2002-2003 à l’ONU), les Européens, les Russes, les Chinois, tous ceux qui se réfèrent aux lois internationales pour critiquer l’action de l’Amérique, enfin les bureaucraties, les organisations diverses s’appuyant sur ce même argument, — c’est-à-dire, au bout du compte: the Rest Of the World. Il faut donc mesurer cette conclusion implicite complètement extraordinaire de la logique américaine: tous ces pouvoirs divers sont désormais “officiellement” identifiés, en degré de dangerosité pour les Etats-Unis et d’agressivité contre les États-Unis, au même niveau d’hostilité que Al Qaïda.


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