La nomination de Bolton comme réponse “multilatérale”

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La nomination de Bolton comme réponse “multilatérale”


10 mars 2005 — Cela fait deux jours que la nomination de John Bolton comme ambassadeur américain à l’ONU a été annoncée. Les réactions ont été de l’incrédulité à la rage pour ceux qui réalisent la signification de cette décision. Il y a eu aussi les habituelles tentatives d’“apaisement” chez les Européens régulièrement engagés dans cette sorte de gymnastique intellectuelle et journalistique (voir Le Figaro du 9 mars): tenter de minimiser cette décision pour conserver l’image touchante d’un GW devenu ami du reste du monde après son voyage en Europe. Il y a eu également, pour le folklore et la cerise sur le gâteau, les applaudissements des amis de Bolton qui, selon la coutume des néo-conservateurs et apparentés, ne manquent jamais de se congratuler publiquement les uns les autres (« Bolton is a force for good », nous dit Nile Gardiner, dans The Boston Globe/IHT).

La réalité, à réaffirmer avec force, est que cette nomination enterre tout espoir de changement de la position unilatéraliste et agressive de Washington. Au contraire, elle annonce un durcissement sur tous les problèmes, notamment et particulièrement sur la Chine et sur l’Iran. Bien entendu, les Européens ne seront pas épargnés, eux qui sont impliqués dans ces deux problèmes.

Parmi les réactions qui comptent, on en a distinguera deux :

• Un excellent article de Sidney Blumenthal dans le Guardian, parce que Blumenthal (ancien de l’équipe Clinton) est toujours excellent dans ses jugements sur l’équipe Bush, et que, dans cet article, il donne l’exacte mesure de cette nomination en même temps qu’il en rapporte les diverses péripéties qui y ont conduit. Blumenthal décrit Bolton comme une sorte de John Wayne, mélange d’idéologue américaniste de l’extrême droite sudiste et de remarquable opérateur politicien, dont l’arme principal est la violence affichée et utilisée comme moyen de l’emporter. Blumenthal rapporte l’anecdote qui devrait devenir fameuse sur le but ultime de la “réforme” de l’ONU dont les commentateurs sérieux nous disent que c’est la mission (sérieuse) qui lui a été confiée par un GW Bush devenu idéalement multilatéraliste depuis sa réélection : « If I were redoing the security council today, I'd have one permanent member because that's the real reflection of the distribution of power in the world. »

• … Cette même anecdote (déclaration à la National Public Radio en 2000) est rapportée par le New York Times dans son éditorial repris le 10 mars par l’International Herald Tribune, et complétée comme bien l’on pense : « “And that one member would be, John Bolton?” — “The United States,” Bolton replied. » Le NYT s’étrangle de rage dans son édito, traitant par le sarcasme et l’ironie furieuse cette nomination, notamment avec un rapide florilège de déclarations de Bolton (« We won't make the case that this is a terrible choice at a critical time. We can let Bolton do it for us by examining how things might look if he had his way... ») La violence à peine contenue de l’édito du NYT mesure encore mieux combien la nomination pulvérise toutes les espérances des américanistes convenables d'une administration GW poursuivant certes sa politique mais d’une façon beaucoup plus policée, dans une apparence de coopération et de bonne éducation, et ainsi épargnant à l’Amérique les critiques acerbes du reste du monde et la poursuite de l’expansion du formidable mouvement d’opinion anti-américain.

En deux paragraphes, Blumenthal situe l’enjeu et la signification de la nomination de Bolton (sa référence à la Floride concerne l’action de Bolton, faite de pressions et d’interventions brutales, lors du décompte des voix dans cet État pour l’élection présidentielle de 2000; ni Bush ni Cheney n’ont oublié l’efficacité de Bolton dans cette circonstance, et il en est récompensé):


« The euphoria that Bush's European trip marked a conversion on the road to Brussels is fading. For it was Bush himself who decided to reward Bolton with a position where he could continue his crusade as a “convinced Americanist” against the “globalists,” especially those at the UN and the EU.

(...)

» Like his allies the neoconservatives, for Bolton the ends justify the means. But unlike them he has no use for romantic rhetoric about the “march of freedom” and “democracy”, as he demonstrated so effectively in Florida. And now he has the job he sought above all from the beginning. »


La nomination de John Bolton apparaît, dans cette perspective des réactions des “libéraux” américains (NYT et Blumenthal, qui reste lié aux démocrates bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’un esprit indépendant), comme une décision de confirmation, voire de durcissement de la politique unilatéraliste de l’administration. Il s’agit non seulement d’un “message” clair au reste du monde, mais aussi bien d’un “message” à l’aile “libérale” (les démocrates) du système.

Les démocrates, représentant cette aile “libérale”, avaient espéré, à l’instar des Européens, une incurvation de la politique bushiste vers un certain apaisement. (Le NYT y avait cru, au contraire de Blumenthal dans ce cas, et c’est là qu’on perçoit la différence de qualité du commentaire et de l’analyse de ces deux sources.) La nomination de Bolton est une réponse sèche et sans ambiguïté.